Au Monastère royal de Brou, célébrer Marie Madeleine, figure de l’amour absolu et de la foi en la vie éternelle, prend tout son sens. En effet, construit entre 1506 et 1532 à l’initiative de Marguerite d’Autriche afin d’abriter le somptueux tombeau de son mari défunt, Philibert le Beau, duc de Savoie ; le monastère de Brou est une véritable « ode à l’amour ». L’omniprésence de Marie Madeleine, dans la statuaire et les vitraux de l’église, ainsi que dans la collection permanente du musée, témoigne de la dévotion particulière de Marguerite d’Autriche pour celle qui suivi le Christ et qui lui fut fidèle au-delà de la mort.
Un parcours parallèle à l’exposition permet de découvrir ces multiples représentations au sein du monument. Par exemple, les gisants inférieurs des stèles funéraires de Marguerite et de Philibert, représentés pour l’un avec la longue chevelure de Marie Madeleine et pour l’autre avec les traits du Christ, incarnent l’amour inconditionnel et l’union au-delà de la mort.
Pécheresse devenue sainte, Marie Madeleine fait partie des personnages féminins bibliques auxquelles, contrairement à l’immaculée Vierge Marie, il semble plus aisé de s’identifier. Pourtant, elle demeure profondément énigmatique. Cet intercesseur majeur entre le terrestre et le céleste est en réalité un amalgame de trois personnages féminins cités par les Evangiles. Elle est la pècheresse qui se jette aux pieds de Jésus lors du Repas chez Simon de l’Evangile de Luc ; elle est Marie de Béthanie qui accueille le Christ chez elle avec sa sœur Marthe et obtient la résurrection de son frère Lazare ; elle est aussi Marie de Magdala qui suit le Christ pendant la Passion et qui reçoit la révélation de sa Résurrection.
Ainsi, son mystère et les thèmes de l’amour, du péché, de la féminité et du sacré qui l’entourent, n’ont cessé d’inspirer les artistes. De Dürer à Ernest Pignon-Ernest, en passant par Guido Reni, Carrache, Simon Vouet, George de La Tour, Delacroix, Puvis de Chavannes, Maurice Denis ou Rodin ; les artistes de toutes les époques se sont essayés à traduire sa légende à plusieurs facettes.
Le parcours thématique de l’exposition, qui s’appuie sur l’évolution des divers épisodes de la vie de la sainte, devient parfois chronologique ; témoignant combien certains siècles furent particulièrement sensibles à « une » Madeleine.
La châsse émaillée du XIIe siècle, qui introduit l’exposition, marque le début de l’engouement pour Marie Madeleine et sa représentation dans les arts. Le culte des reliques qui se développe à Vézelay au XIIe siècle participe à construire la légende de la sainte: celle-ci serait venue jusqu’en Provence. Après avoir converti une large population, elle se serait retirée dans la grotte de la Sainte-Baume, près de Marseille, où son corps aurait été sauvé des Sarrasins par un moine de Vézelay au IXe siècle.
Jusqu’au XIIIe siècle, Marie-Madeleine est présente uniquement dans les scènes de la Passion.
Puis, lorsqu’au XIIIe siècle, La Légende dorée de Jacques de Voragine donne à Marie Madeleine des origines royales et la propriété du « château de Magdalon », les artistes commencent à la représenter pour elle-même. Sa noblesse et sa beauté deviennent sujets à part entière et les nobles dames des XVe et XVIe siècles aiment à se faire représenter avec les attributs de la sainte.
Le Repas chez Simon (1) traverse les époques, au sens propre comme au figuré : un relief en calcaire du XIIIe siècle est ainsi accroché à côté de « La Madeleine chez le Pharisien » peint en 1891 par Jean Béraud. La scène, introduite dans le milieu littéraire parisien du XIXe siècle, critique avec évidence le « pharisianisme » de la société.
Pour l’épisode du repas de Jésus chez Marthe et Marie (2), les artistes choisissent le plus souvent le moment de la conversion de Marie. Lorsque celle-ci, écartelée entre deux désirs contradictoires, se laisse convaincre de quitter la vie active pour une vie contemplative. Les peintres caravagesques en particulier sont sensibles à ce conflit entre l’amour terrestre et l’amour céleste. La Madeleine de Francesco Cairo, accoudée à un coffret de bijoux dans lequel elle plonge une main nostalgique, exprime la tristesse que signifie le renoncement à une vie facile.
Une fois convertie, Marie Madeleine devient la disciple exemplaire qui n’abandonnera jamais le Christ. Elle vit avec lui l’aventure douloureuse de la Passion sans jamais le renier. D’abord représentée au milieu des saintes femmes au pied de la croix, elle se détache du groupe à partir de 1450 et devient peu à peu centrale dans les compositions. Au XIXe siècle, elle est le personnage principal des images de dévotions qui mêlent parfois, comme chez Rodin, geste de piété et passion charnelle.
Le moment le plus intense dans la relation privilégiée de Madeleine et Jésus se situe dans le jardin où elle le rencontre, ressuscité. Elle ne le reconnait pas tout de suite, le prenant pour un jardinier. Cet épisode de l’Ecriture a donné lieu à la scène du « Noli me tangere », reprenant les mots du Christ, pouvant être traduit par « Ne me touche pas » (3). Cette rencontre du visible et de l’invisible, du terrestre et du céleste, inspire de nombreux artistes. A la manière d’une danse nuptiale, les bras convergeant de la Madeleine et du Christ d’Abraham Janssens ne se rencontrent pas, accentuant l’intensité émotionnelle de la scène. L’absence de visage du Christ dans l’œuvre de Puvis de Chavanne, évoque avec force la nature divine de Jésus retrouvée au moment de rejoindre son Père.
Au XVIIe siècle, après le Concile de Trente, en réponse à la Réforme protestante, les représentations de la pénitence de Marie Madeleine à la Sainte-Baume se multiplient afin d’incarner le sentiment catholique de contrition. C’est alors la grande époque de Marie Madeleine dans l’art et dans la littérature, qui se poursuit jusqu’au XVIIIe siècle. Les peintres caravagesques et les adeptes du clair-obscur, symbolisent ce renoncement au monde par des Memento mori (« souviens-toi que tu vas mourir ») en introduisant dans leurs compositions les éléments des Vanités (crânes, crucifix, etc) : la belle femme dépouillée presque dénudée, aux cheveux lâchés, mélange de sensualité discrète et de piété, évoque le caractère éphémère et illusoire de la vie terrestre et des biens matériels.
Au XIXe siècle, la Madeleine retirée au désert devient une figure de la mélancolie et un prétexte à la représentation du nu féminin. Les attributs de la sainte disparaissent ainsi que toute évocation du caractère religieux du personnage : la Madeleine de La Lyre est telle une Vénus dont le nimbe seul rappelle la sainteté. La tête détournée elle attire l’attention sur la luxuriante chevelure et le corps s’offre sans réserve au regard.
La sélection d’œuvres des XXe et XXIe siècles de la dernière salle de l’exposition permet de mesurer combien aujourd’hui encore la richesse des facettes de cette figure mythique continue à fasciner. Dépouillée de son hagiographie, elle entre dans un imaginaire occidental beaucoup plus vaste où se mêlent fantasme et ésotérisme.
Ceux qui souhaitent prolonger la réflexion sur l’influence de cette figure paradoxale dans l’art contemporain, n’hésiteront pas à aller découvrir l’exposition « Les sept démons » présentée au H2M, l’espace contemporain de Bourg-en-Bresse. En résonnance avec l’exposition du Monastère, la quarantaine d’œuvres des 18 artistes confirmés et émergents, prend comme point de départ l’indépendance et la sensualité assumée de la « possédée exorcisée des sept démons » dont parlent les évangiles de Luc et de Matthieu, pour offrir un aperçu de la complexité et de la multiplicité des expériences du féminin.
– La rédaction
Informations pratiques
Marie Madeleine, La passion révélée
Jusqu’au 24 septembre 2017
Musée de la Chartreuse de Douai
130 Rue des Chartreux, 59500 Douai
Horaires : ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 12h et de 14h à 18h.
Tarif plein : 4,70 €. / Tarif réduit et groupe : 2,35 €.
Site : http://www.museedelachartreuse.fr/
Jean-Joseph Perraud, Marie Madeleine ou La Pénitente, 1860-1871, plâtre
1. Un Pharisien l’invita à manger avec lui; il entra dans la maison du Pharisien et se mit à table. Survint une femme de la ville qui était pécheresse; elle avait appris qu’il était à table dans la maison du Pharisien. Apportant un flacon de parfum en albâtre et se plaçant par-derrière, tout en pleurs, aux pieds de Jésus, elle se mit à baigner ses pieds de larmes; elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux du parfum. Évangile de Luc 7,36-38
2. Comme Jésus était en chemin avec ses disciples, il entra dans un village, et une femme, nommée Marthe, le reçut dans sa maison. Elle avait une sœur, nommée Marie, qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.
Marthe, occupée à divers soins domestiques, survint et dit: Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse seule pour servir? Dis-lui donc de m’aider.
Le Seigneur lui répondit: Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses. Une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera point ôtée. Évangile de Luc, 10, 38-42
3. Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Elle, pensant que c’était le jardinier, lui dit: Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et je le prendrai. Jésus lui dit : Marie ! Elle se retourna, et lui dit en hébreu: Rabbouni ! c’est-à-dire, Maître !
Jésus lui dit : Ne me touche pas ; car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Marie de Magdala alla annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur, et qu’il lui avait dit ces choses. Évangile de Jean, 20, 11-18