Marc Chagall, le triomphe des sons et des couleurs

L’importance de la musique dans l’univers de Chagall est une évidence. Tout le monde a en tête sa plus célèbre réalisation pour l’Opéra de Paris : le plafond commandé par André Malraux en 1962. Mais il ne faut pas réduire Chagall à cette unique création. La place de la musique dans la vie de l’artiste est plus profonde, plus intime, et trouve son commencement dans sa jeunesse. Elle est quasiment devenue, au fil de son parcours, un sujet essentiel. Né d’une envie commune d’explorer cette thématique, Paris et Roubaix ont décidé de réaliser une exposition en deux volets : d’un côté à la Philharmonie de Paris, d’un autre au musée d’art et d’industrie de Roubaix. Un troisième volet s’ouvre au Musée national Marc Chagall de Nice jusqu’au 13 juin 2016, synthèse resserrée des deux précédentes expositions. L’exposition s’enrichit de nouvelles œuvres uniquement visibles à Nice : l’auditorium voulu par Marc Chagall pour son musée, le clavecin peint par l’artiste en 1980 et une salle consacrée au roi David, figure majeure du cycle du Message Biblique.
Publié le 04 mars 2016

Tandis que Paris s’est consacré au Triomphe de la musique, Roubaix s’est attaché aux Sources de la musique. Prolongation de ces deux expositions, celle qui se tient au Musée national Marc Chagall de Nice revient ainsi sur les différents aspects de la relation intime que Chagall entretenait avec la musique. A l’ouverture du musée en 1973, Chagall a par ailleurs souhaité que soit créé un auditorium. Jusqu’à sa mort en 1985, l’artiste y mena, grâce à ses relations amicales, une prestigieuse politique de concerts. Mais au-delà du triomphe de la musique, c’est également une véritable passion pour les couleurs qui se dévoilent à travers ses différents travaux.

Partons tout d’abord du côté de Paris. Au fil de l’exposition, nous découvrons l’exceptionnelle pluralité de Chagall : architectures, décors, costumes…il semble avoir touché à tout. Dans toute l’œuvre de Chagall, la musique se manifeste par un surprenant éventail de résonnances à travers lesquelles notre temps se révèle enchanteur.

Izis, Le Plafond de l’Opéra pour la première fois assemblé au sol, hangar de Meudon, 1964 © Adagp, Paris 2015, Photo Izis © Izis-Manuel Bidermanas

L’exposition débute par l’œuvre incontournable. En effet, comment parler de Chagall sans évoquer le plafond de l’Opéra ? Une sorte de Panthéon musical personnel de l’artiste où il constitue à lui seul un formidable hommage aux compositeurs qui ont marqué l’histoire de la musique. Malraux dira : « Quel autre artiste vivant aurait pu peindre le plafond de l’Opéra de Paris comme Chagall ? C’est l’un des plus grands coloristes de notre temps […] ». Face à cette mission, l’artiste répondra en 1964 le jour de l’inauguration : « J’étais troublé, touché, ému. […] Je doutais jour et nuit ».  Il signe une réalisation dont le chatoiement chromatique rompt avec l’ancienne œuvre de Lepneveu. En une ronde joyeuse se mêlent les figures des couples légendaires, des personnages ailés, des toits des monuments parisiens. Chagall se livre avec éclat à une véritable célébration du spectacle.

En haut : Izis, Marc Chagall travaillant à des esquisses pour le Plafond de l’Opéra, atelier de Vence, 1963. © Adagp, Paris 2015. Photo Izis © Izis-Manuel Bidermanas
En bas : Izis, Marc Chagall travaillant pour le Plafond de l’Opéra, partie Mozart, atelier des Gobelins, 1964 © Adagp, Paris 2015. Photo Izis © Izis-Manuel Bidermanas

Le festival des couleurs de Chagall nous surprend et nous laisse rêveur. Les compositions sont très riches, complexes, avec de multiples éléments qui se laissent apprécier, méditer dans une contemplation qui peut durer longtemps. L’expression y est parfois naïve mais toujours extrêmement touchante.

Chagall poursuivra toute sa vie ses talents dans le domaine de la musique. Viennent de grands projets monumentaux, décoratifs et architecturaux tels que la réalisation de lieux de spectacle, des salles de théâtre, ainsi que des édifices religieux. L’exposition présente des trésors souvent méconnus de l’artiste grâce à des prêts rares : notons par exemple le panneau mural de Metropolitan Opera, les panneaux pour le Théâtre juif de Moscou, mais également les sublimes costumes conçus pour le ballet « l’Oiseau de feu ». Dans ce ballet, la lutte éternelle des forces du Bien et du Mal nourrit l’imaginaire de l’artiste, qui crée des figures chimériques et des montres d’une inventivité formelle inégalée. Il se rapproche, subtilement et intelligemment, du rythme pulsé et des timbres chatoyants de la musique de Stravinski.

Projet pour le rideau de scène de L’Oiseau de feu 1945 Gouache, encre de Chine, pastel, crayons de couleur et papier doré collé sur papier contrecollé sur carton. Collection particulière. ©ADAGP, Paris, 2015 – CHAGALL ®

Dans les années 1950, Marc Chagall donnera une orientation nouvelle à son art par une exploration aussi vitale que jubilatoire de toutes les techniques et les matières. A la recherche de nouveaux moyens d’expression répondant au besoin de dialogue avec les matériaux, il se consacre à la sculpture et à la céramique. Il cherche à faire « parler » la matière, à lui faire émettre des sons. Encore et toujours ce lien avec la musique qui revient inlassablement. Prélevant, intervenant directement sur la matière, il devient lui-même producteur de sons, donnant naissance à des objets pleins ou creux, dont les formes résonnent d’éclats, d’échos ou de silence.

Poupée Kachina Kuwan Heheya 1910, bois, pigments, plumes, fourrure, nacre © Galerie Flak – Paris

Mais nous ne pouvons pas comprendre ce lien si étroit avec le monde musical sans s’intéresser à la jeunesse de l’artiste. Le musée de Roubaix se consacre à nous dévoiler la partie plus intime de Chagall, ses racines à Vitebsk en Russie. Cette mémoire Vitebsk, entretenue et revendiquée, résonne de personnages, de lieux et de rites qui sont les fondements de l’inspiration de Chagall. Le hassidisme dans lequel a été élevé l’artiste prône l’exaltation de l’âme par la prière et la danse, la musique et le balancement des corps créant le rythme propice à l’extase de la relation avec Dieu. Cette fusion du personnel et de l’universel crée une galerie haute en couleur qui traverse toute l’œuvre du peintre.

Marc Chagall, Costumes © ADAGP, Paris, 2015 – CHAGALL ®

Si la musique a été essentielle dans sa vie, c’est bien l’amour qui est le fil conducteur de toute son oeuvre : «Malgré les difficultés de notre monde, je n’ai jamais renoncé en mon for intérieur à l’amour dans lequel j’ai été élevé, pas plus qu’à l’espoir de l’homme dans l’amour. Comme sur la palette d’un peintre, il n’y a dans notre vie qu’une seule couleur qui donne un sens à la vie et à l’art, la couleur de l’amour.»

Toutes ces œuvres témoignent superbement de ses affinités profondes avec la musique. Le meilleur témoignage de cet amour réside cependant dans un lieu qu’il a créé à Nice pour qu’y vive la musique : la salle de concert du musée national Marc Chagall qui continue d’accueillir chaque année une riche programmation.

Auditorium du musée national Marc Chagall avec le clavecin peint par Marc Chagall en 1890 et les vitraux de La Création du monde (détail), 1971-1972 © musée national Marc Chagall / Catherine Weil © Adagp, Paris 2015

En écho à cette exposition, retrouverez l’article d’Emmanuel Bellanger :

« Peindre la musique ? »

Informations pratiques :

– MARC CHAGALL ET LA MUSIQUE du 5 mars au 13 juin 2016 

Musée national Marc Chagall
avenue Docteur Ménard – 06 000 Nice
+ 33 (0) 4 93 53 87 20
musees-nationaux-alpesmaritimes.fr/chagall/

– « MARC CHAGALL ET LA MUSIQUE. LES SOURCES DE LA MUSIQUE ».
La Piscine : 23 rue de l’Espérance, 59100 Roubaix.
Du 24/10/15 au 31/01/16.

Site officiel : www.roubaix-lapiscine.com

– « MARC CHAGALL ET LA MUSIQUE. LE TRIOMPHE DE LA MUSIQUE ».
Philharmonie de Paris : 221 avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris.
Du 13/10/15 au 31/01/16

Site officiel : philharmoniedeparis.fr/fr

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