Lorsque les œuvres s’étreignent…et nous étreignent. La collection du FRAC Auvergne

Il faut se rendre à l’évidence : proposer au public une thématique cohérente et forte qui fasse dialoguer les œuvres d’une même collection est toujours un défi. Mais lorsqu’il s’agit de collections publiques d’art contemporain, comme celles des FRAC, l’exercice est périlleux. C’est d’abord le titre de l’exposition présentée au FRAC Auvergne jusqu’au 27 mars 2016, qui a capté l’attention de Narthex : « A quoi tient la beauté des étreintes ». Nous pensions qu’il s’agissait du geste représenté ou symbolisé dans les œuvres elles-mêmes, il n’en est rien !
Publié le 05 février 2016

Les étreintes dont il est question concernent la manière dont les œuvres interagissent entre elles dans une scénographie. Ces vibrations imperceptibles qui participent à l’émotion que nous avons en découvrant la collection. Le rapport provoqué par l’accrochage d’œuvres nées de réflexions communes, fondées sur des rapprochements formels ou chromatiques inattendus, voire improbables. Mais les étreintes désignent aussi la relation qui se crée entre nous, spectateur, et l’œuvre d’art. De la même façon que nous tombons amoureux, nous étreignons certaines œuvres que nous voyons parce qu’elles coïncident avec ce que nous sommes.

A quoi tient la beauté des étreintes, collection FRAC Auvergne 

« L’illusion serait de croire que les œuvres portent en elles les signes de notre émerveillement, d’imaginer que, par un processus miraculeux l’image que nous en conservons serait chargée d’une magie qui leur conférerait un pouvoir. […] Le merveilleux de l’œuvre se loge dans une relation d’intimité où les signes mêmes de l’art passent au second plan au profit d’une étreinte entre l’œuvre et ce que nous amenons avec soi lorsque nous la regardons. » explique Jean-Charles Vergne, Directeur du FRAC Auvergne et commissaire de l’exposition.

La conception du parcours de l’exposition du FRAC Auvergne a donc moins été guidée par la notion de « scénographie » que de « mise en étreinte ». Car les soixante-cinq œuvres issues de la collection ont été choisies avec le même plaisir, la même sensibilité et le même assentiment que lors de leur acquisition. Une moitié des œuvres présentées a d’ailleurs été acquise récemment et se découvre au public pour la première fois.

A l’origine du titre de l’exposition, les trois petites peintures de Marie Zawieja acquises en 2015 nommées « A quoi tient la beauté des montagnes ». L’artiste s’inspire de la conférence du même nom donnée en 1897 au Club Alpin de Paris par Franz Schrader. Dans son intervention, le géographe, randonneur, dessinateur, peintre et cartographe, s’interroge : « Pourquoi, comment, à cause de quoi ces montagnes sont-elles si belles ? Première question suivie d’une autre : après tout, qu’est ce qui me prouve qu’elles sont réellement belles ? Je les trouve telles ; soit, mais n’est-ce pas en moi seul que réside leur beauté ? N’est-ce pas là une chose toute subjective et liée à mon éducation ? »

Marie Zawieja – A quoi tient la beauté des montagnes #7 – 2014 – Huile sur bois – 20 x 20 cm
Collection FRAC Auvergne

Dans une des salles, les toiles de Marie Zawieja et les œuvres qui les entourent, traient le paysage de montagnes avec évidence, ou le suggèrent. L’ensemble rend hommage à la leçon de regard qu’offre Franz Schrader sur ce que sont perception et sensation. Les miniatures de Marie Zawieja transposent ainsi les résidus mémoriels, souvenirs chromatiques et sensations perçues : « je peux commencer à peindre en partant d’un dessin réalisé à la montagne, à la mer, dans une friche, sur un chantier, à la campagne. Ce dessin est déjà marqué par la déambulation, la perception, la distorsion » explique l’artiste.

Adam Adach – Granica, 2003 – Huile sur médium – 150 x 160 cm
Collection FRAC Auvergne

Une autre salle synthétise dans sa mise en scène le principe d’étreinte qui est à l’origine de cette exposition. Le mur de droite présente deux œuvres – celles de Claude Rutault et e Ghada Amer- selon un principe hors du commun. En effet, l’œuvre de Claude Rutault n’a aucune existence physique véritable : ce que le FRAC Auvergne a acquis n’est pas une peinture ou une somme de peintures de peintures monochromes, mais un certificat, un protocole ! Claude Rutault, en effet, ne peint pas ses œuvres mais invente des procédures qui permettent à ses œuvres de prendre forme au moment où elles doivent être montrées. Ces procédures sont formalisées, écrites, dans ce que l’artiste appelle des « définitions/méthodes ».

Claude Rutault, définition/méthode n°131. entourant le tableau, 1981 – Acrylique sur toile – toiles monochromes – dimensions variables

Celle du FRAC Auvergne donne l’intitulé suivant : « définition/méthode n°131. entourant le tableau. 1981. un mur sur lequel est accroché un tableau. entourant le tableau, un certain nombre de toiles sont accrochées et peintes de la même couleur que le mur. ces toiles sont de dimensions variées, une ou deux étant identiques au tableau, les autres, plus petites ou plus grandes, sont dans des dimensions proches. ni le nombre, ni l’accrochage ne sont déterminés à l’avance. ils ne sont bien sûr pas fixes d’une réalisation à l’autre. si plusieurs tableaux sont accrochés au mur, il est possible de réaliser l’œuvre avec plusieurs tableaux à la condition que cette idée d’entourer le tableau avec des toiles peintes de la même couleur que le mur soit évidente. le nombre de réalisations de la proposition est illimité. »

Voici donc une œuvre qui ne peut exister qu’à la condition d’être activée par une autre œuvre. Celle de Ghada Amer choisie ici, conserve son statut originel d’œuvre autonome tout en étant intégrée à celle de Rutault…Une parfaite étreinte.

Un autre ensemble de six œuvres accrochées en vis-à-vis convie le regardeur à une expérience de la couleur et de la matière picturale. Comme avec cette œuvre ambivalente de Jean-Pierre Pincemin qui fait coexister deux langages a priori étrangers : une composition géométrique préalablement pensée sur papier millimétré, et une surface sensible. Constellée de gouttes, cette surface devient par endroit une pellicule, un vernis, une peau diaphane et délicate. Face à cette œuvre, celle du Berlinois Pius Fox dont le travail ancre le réel en le modélisant. Ainsi « Gestell » (cadre en allemand) joue à la fois sur une pure abstraction et la reprise du store de son atelier qui filtre la lumière du jour. Peinture sensible où le geste est maintenu dans la présence des coups de brosses ou dans un certain gauchissement.

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une exposition qui tente de souligner les lignes d’intensité générées par le dialogue entre des œuvres pourtant indépendantes les unes des autres… Sans vouloir répondre à la question, le mérite de cette exposition est de nous interroger : pourquoi, en visitant une exposition, sommes-nous parfois « touchés » sans même rien connaître de ce que nous regardons ?

JEAN-PIERRE PINCEMIN, SANS TITRE, 1981 – HUILE SUR TOILE 250 X 180CM – COLLECTION FRAC AUVERGNE
PIUS FOX, GESTELL (CADRE), 2012 HUILE SUR TOILE 190 X 130 CM – COLLECTION FRAC AUVERGNE

Informations pratiques

A quoi tient la beauté des étreintes ? FRAC Auvergne du 30 janvier au 27 mars 2016
6 rue du Terrail – Clermont-Ferrand – France
04 73 90 5000 
Du mardi au samedi : 14 h – 18 h. Dimanche : 15 h – 18 h.

Visites guidées les samedis à 15 h et les dimanches à 16 h 30.
Visites en famille les samedis à 17 h.
Visites « Flash » les mercredis et vendredis à 15 h.
Entrée et visites guidées gratuites.
www.frac-auvergne.fr

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