« Les Giacometti, une famille de créateurs » à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence

Dans le Sud de la France, la famille Giacometti est à l’honneur cet été. Et si le célèbre peintre, sculpteur et dessinateur que fut Alberto domine le clan, il est néanmoins temps de rendre hommage aux autres membres de cette famille d’artistes originaires de Stampa, en Suisse italienne : son père Giovanni, son oncle Augusto, mais aussi ses frères Diego et Bruno jouèrent un rôle actif dans la modernité artistique du XXe siècle. La fondation Maeght les réunit à Saint-Paul de Vence, jusqu’au 9 janvier 2022.
Publié le 11 août 2021

Vue de l’expostion « Les GIACOMETTI UNE FAMILLE DE CRÉATEURS », Fondation MAEGHT © Adagp Paris 2021

Dès l’entrée du musée, les œuvres d’Alberto Giacometti témoignent de l’étendue de son talent : difficile d’échapper à l’aura de celui qui éclipsa la gloire de ses proches, pourtant célébrés en leur temps et toujours appréciés des connaisseurs. La Fondation Maeght s’attelle aujourd’hui à faire découvrir l’importance de cette famille dans le tournant de la modernité du XXe siècle.

De g. à dr. Giovanni Giacometti Paysage enneigé, circa 1908, Huile sur toile Collection Fondation Giacometti, Paris © Succession Giacometti (Fondation Giacometti, Paris et ADAGP, Paris)  2021 et In riva al lago (Au bord du lac) 1921, Huile sur toile 80 x 74 cm Collection particulière, Suisse © Adagp Paris 2021

A chacun son espace : Giovanni (1868-1933), le père, ouvre le bal avec des toiles post-impressionnistes à la touche vibrante et au chromatisme puissant. Portraits d’enfants, scènes de vie familiale et paysages du val Bregaglia attestent de sa sensibilité de coloriste, entre symbolisme et expressionnisme. Quasi abstraite, La Récolte (1908) semble prétexte à une expérimentation libre et jubilatoire de la couleur, quand les représentations d’Alberto et de Diego se baignant au bord du lac rappellent la participation de leur père au mouvement allemand Die Brücke, en quête d’harmonie avec la nature; cette dernière se pare ici de mauves, de pourpres et de verts parfois rehaussés d’outremer, ou bien se teinte d’ocres subtils et de roses délicats.

De g. à dr. : Augusto Giacometti, Fleur et papillon – abstraction de couleur « Scabiosa et papillon », 1916, pastel, Collection particulière, Bâle, Photo Peter Schätchli, Zürich © ADAGP PARIS 2021 ; Paysage, arbre, 1912, huile sur toile, Collection particulière Photo Peter Schätchli, Zürich © ADAGP PARIS 2021

Avec Augusto (1877-1947), cousin de Giovanni, c’est un art éclectique et sensuel proche du décoratif qui pousse les couleurs à leur paroxysme. Ses compositions abstraites font de lui un pionnier de la peinture non figurative, proche en cela de Kandinsky, avant d’évoluer vers des formes plus nuageuses et sans contours. Très attaché au village natal familial de Stampa, il en réalise de vives aquarelles et de sobres vues des montagnes enneigées.

Puis viennent les trois frères : Bruno (1907-2012), l’architecte et le plus jeune, réalise un nombre important de bâtiments dans le val Bregaglia mais conçoit aussi le pavillon suisse de la Biennale de Venise en 1952. Son style d’un modernisme simple, proche des principes du Bauhaus, le révèle comme l’un des architectes suisses remarquables de l’après-guerre. Ayant-droit de l’œuvre de son père et de ses frères, il contribuera largement à faire connaître le patrimoine artistique de la famille.

De g. à dr. : Diego Giacometti, Coiffeuse avec oiseau et coupe et Tabouret au souriceau, circa 1960, bronze et marbre, Collection Adrien Maeght, Saint-Paul-de-Vence © ADAGP PARIS 2021 ; Console La Promenade des amis, circa 1976, bronze patiné, Collection particulière, Paris © ADAGP PARIS 2021

Vient ensuite Diego (1902-1985), designer et sculpteur, à la fois modèle de prédilection, assistant et conseiller d’Alberto de treize mois son aîné. D’abord dévoué à la carrière de son frère, avec lequel il réalise en 1933 pour le décorateur Jean-Michel Frank des meubles et accessoires en plâtre, il devient célèbre après-guerre comme « artiste meublier ». Son art décoratif allie de fines structures de bronze ou de fer battu à des motifs végétaux et des bestiaires inattendus : console La Promenade des amis, Table aux feuilles, à l’oiseau et au lézard, ambon L’Arbre de la sagesse, guéridon Arbre au hibou en composent l’alphabet poétique.

Diego Giacometti, Chat maître d’hôtel, 1967, Photo Claude Germain © ADAGP, Paris 2021

Au vu de ces tiges graciles portant l’empreinte de la main de Diego, comment ne pas songer aux statues ravinées d’Alberto, au hiératisme de ses silhouettes, à ses personnages-colonnes aux pieds lestés dans des socles massifs, à ses chats efflanqués inspirés de l’art égyptien ? On sait l’influence qu’eut l’Egypte antique sur Alberto, comme on sait la proximité des deux frères : leurs œuvres se répondent et se complètent admirablement.

Alberto Giacometti, Le Chat, 1951, © Succession Giacometti – Fondation Giacometti, Paris et ADAGP, Paris 2021

Pour finir, donc, Alberto : la dernière salle du parcours lui est presque entièrement consacrée. Face à ses longilignes Femmes de Venise, de larges vitrines mêlent bijoux et menus objets de Diego avec les petites statues de plâtre ou de bronze et les croquis de l’aîné. Car la frontière est poreuse entre sculpture et arts décoratifs : en cohésion avec ceux de Diego, les objets « mobiles et muets » d’Alberto refusent toute césure entre le beau et l’utile, interrogeant le statut même d’œuvre d’art.

Alberto Giacometti, Portrait de Marguerite Maeght, 1961 Galerie Maeght© Succession Giacometti (Fondation Giacometti, Paris et ADAGP, Paris) 2021

La salière-poivrière du premier côtoie des bustes et figurines du second ; un porte-colliers en bronze de Diego jouxte un bracelet-chimère d’Alberto ; deux versions de L’Homme qui marche arpentent la pièce sans se rencontrer, majestueuses figures sculptées de l’essentielle solitude humaine. Statues en mouvement surgies dans l’espace du spectateur ou portraits génériques dégagés de toute émotion, tous parlent de l’irréductible altérité de l’homme, aspirent à rendre la vie frémissante, entre croissance et mort. Dans cette exigence radicale où Alberto trace désormais seul son chemin, les femmes sont élevées au rang de déesses, les hommes à la dignité de prêtres. Une même famille les unit, sombre et familière, inaccessible et altière. Un même mystère les habite.


Odile de Loisy

VUE DE L’EXPOSTION « Les GIACOMETTI UNE FAMILLE DE CRÉATEURS » avec deux versions de L’Homme qui marche de Diego Giacometti, FONDATION MAEGHT © ADAGP PARIS 2021

« Les Giacometti, une famille de créateurs »
Fondation Maeght
623 chemin des Gardettes – 06570 Saint-Paul-de-Vence
Tél: 04 93 32 81 63
info@fondation-maeght.com / www.fondation-maeght.com

Jusqu’au 9 janvier 2022

Toutes les informations pratiques pour visiter l’exposition de la Fondation Maeght en cliquant ici.

A voir également :
« Alberto Giacometti. Le réel merveilleux », Grimaldi Forum, Monaco, jusqu’au 29 août.
« Alberto Giacometti. La réalité dessinée », Château La Coste, Le Puy-Sainte-Réparade, jusqu’au 12 septembre.
« Giacometti et l’Egypte antique », Institut Giacometti, Paris, jusqu’au 10 octobre.

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