Depuis la grande crise iconoclaste qui ébranla le monde byzantin aux VIIIe et IXe siècles, les partisans des images soutenaient que Dieu les approuvait puisqu’Il s’était rendu visible en la personne du Christ. De plus, le Christ avait lui-même laissé durant sa vie terrestre plusieurs empreintes miraculeuses de son visage et de son corps. Aussi, suite au mouvement de réforme qui la secoue tout au long du XVIe siècle, l’Eglise de Rome adopte, pendant le concile de Trente (1545-1563), un décret sur l’invocation, la vénération et les reliques des saints et sur les saintes images. Ce décret précise que « l’honneur qui leur est adressé se rapporte au prototype qu’elles représentent, de sorte que, par les images […], c’est le Christ que nous adorons et les saints, dont elles portent la similitude, que nous vénérons ».
Mais une fois admise la possibilité des images, comment les créer et quel rôle revient à l’artiste dans ce processus ? Comment représenter le Christ et la Vierge alors que l’on ne connaît pas leurs visages ? Dans les années 1580, l’art religieux se reconstruit en Italie sur la base d’une recherche dévote de pureté et de vérité. Les représentations ne peuvent être le simple fruit de la fantaisie de l’artiste.
Une manière de ne pas céder au plaisir sensuel de l’invention est d’y renoncer. Au service de la vérité, l’art doit prendre le risque de la laideur. Ce rejet des séductions est représenté dans l’esthétique naturaliste et authentique du Caravage. L’imagination du peintre se dissimule derrière une brutalité objective : en montrant ce qu’il peut voir, l’artiste manifeste la réalité de ce qu’il représente, impossible à montrer. Dans sa Mort de la Vierge, il laisse des signes des choses invisibles : la lumière qui frappe le visage mort de la Vierge et la draperie pourpre qui flotte au-dessus d’elle, tel un manteau d’un invisible souverain céleste.
Un autre moyen de se préserver des chimères de l’imagination, est de minimiser le rôle créateur de l’artiste et de se faire archaïque. Il s’efface ainsi délibérément derrière les productions antérieures, remontant au siècle précédent, temps béni d’avant la Réforme et la division de l’Eglise. La première manière de Raphaël, celle de son maître Pérugin ou d’autres artistes du Quattrocento servent de modèle. A ces modèles immédiats de la première Renaissance, s’ajoutent des références nouvelles, plus complexes, issues des origines même de l’art chrétien. Cela touche à la fois le choix des sujets et certains partis de la composition, par exemple, le recours à la frontalité stricte.
Ces réflexions s’accompagnent d’une prise de conscience du pouvoir limité des images. En effet, elles portent en elles l’échec à montrer ce qui est spirituel et, par cette impossibilité, elles témoignent d’une réalité supérieure. L’image humaine du Christ permet de comprendre sa nature divine et son irreprésentabilité. L’iconographie des « visions » se développe alors : si on ne peut pas montrer Dieu directement, on peut représenter celui qui le voit en train de voir. L’art des XVIIe et XVIIIe siècles usa de ce procédé, comme si les artistes ouvraient les guillemets d’une citation.
En France, au sortir d’un demi-siècle de guerres civiles qui l’a laissée profondément divisée, le catholicisme français se devait de composer avec l’esprit de la minorité réformée. Si l’iconophilie demeure l’une des marques par excellence de l’appartenance à la foi catholique, elle reste assez discrète. Simon Vouet, le plus « italianisant » des peintres français, répond aux positions des jésuites, nettement favorables à la culture de l’image. Mais les artistes tels que La Hyre, Le Sueur ou Philippe de Champaigne obéissent à un principe de distance, de discrétion, de mesure et de silence, au regard de la grandeur infinie de Dieu.
L’exposition se termine par le signe visible, pour l’Eglise catholique, de la présence du Christ : l’hostie, proposée à la vénération et à la contemplation des fidèles sertie dans l’ostensoir solaire, à la manière d’une image. Ce regain d’intérêt pour la dévotion eucharistique au XVIIe siècle modifie également l’iconographie du dernier repas du Christ. Jadis, les artistes avaient coutume de représenter dans la Cène l’instant où le Christ annonce qu’il est trahi. Désormais, il est figuré en prêtre instituant le Saint-Sacrement de l’Eucharistie.
En contre-point de La fabrique des saintes images, dans le même espace du musée, l’exposition Poussin et Dieu explore un aspect méconnu de l’art du maître français et sans doute le plus émouvant : ses tableaux religieux. Une exposition qui met en évidence la singularité de Poussin, peintre français travaillant dans la Rome baroque d’après le concile de Trente, et qui témoigne du renouvellement des images sacrées à la fin du XVIe et au XVIIe siècles.
Informations pratiques
La fabrique des saintes images, Rome-Paris 1580-1660
Du 2 avril au 29 juin 2015
Musée du Louvre, 75058 Paris – France
Hall Napoléon, sous la pyramide
Tarifs sur place :
Billet spécifique aux expositions du Hall Napoléon : 13€.
Billet jumelé (collections permanentes et exposition) : 16€.
Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 9 h à 18 h. Nocturnes les mercredi et vendredi jusqu’à 21h45.
Renseignements :
01 40 20 53 17
www.louvre.fr/expositions/la-fabrique-des-saintes-imagesrome-paris-1580-1660