La première des trois parties de l’exposition est consacrée à la manière dont les artistes se sont mobilisés aux premières heures de la guerre. A partir de la destruction de la bibliothèque de Louvain (25-26 août 1914) et de la cathédrale Notre-Dame de Reims (19 septembre 14914), les scènes de dévastations saisies par l’objectif et les caricatures et dessins, faisant état des destructions artistiques et architecturales, circulent massivement dans la presse et sous la forme de cartes postales. Tous les médiums sont utilisés pour véhiculer le thème de la Kultur germanique nourrie de ces destructions, et imprégner ainsi l’inconscient collectif.
A cette « guerre des images » s’ajoute la « guerre des esprits » : les intellectuels, notamment les historiens de l’art, se mobilisent par leurs écrits. Leurs supports sont les revues diffusées en grand nombre comme la revue « L’art et les artistes » qui n’hésite pas à consacrer à la guerre une série de numéros spéciaux. Selon les propres mots d’Armand Dayot, président de la revue, ces numéros ont pour but de contribuer à fixer le souvenir des inutiles sacrilèges des vandales modernes, à défendre contre le pardon et contre l’oubli, l’odieuse conduite des soldats allemands et des chefs qui conduisaient […] aux barbares et inutiles destructions des œuvres d’art et des monuments du passé.
Le numéro consacré à la cathédrale de Reims, l’un des traumatismes majeures du début du conflit en matière de destruction, est porté par le médiéviste Camille Enlart, membre de la commission des Monuments historiques. Afin de propager les preuves du vandalisme allemand dans les pays neutres, l’article est même traduit en anglais. C’est d’ailleurs Camille Enlart qui organise à Paris la première exposition sur le vandalisme allemand. Celle-ci a lieu en 1915 au musée de Sculpture comparée, ancêtre de l’actuel musée des Monuments français dans le palais du Trocadéro.
Elle présente côte à côte les photographies de monuments dévastés et les moulages de sculpture médiévale française exécutés avant la guerre sur certains édifices désormais perdus. De grands panneaux accentuent le message accusateur : « sculpture détruite par les barbares, IIIe-Ve siècle », « sculpture mutilée par les Allemands », etc. Le moulage de l’Ange au sourire de Reims, doté d’un grand panneau « sculpture détruite par les allemands », clôt ce second volet de l’exposition actuelle et introduit la notion de « relique », illustrée par une gargouille crachant du plomb, souvenir du désastre de Reims.
La dernière partie de la scénographie est consacrée à l’Exposition d’œuvres d’art mutilées ou provenant des régions dévastées par l’ennemi, présentée au Musée des beaux-arts de la Ville de Paris-Petit Palais de novembre 1916 à décembre 1917. Son but est, selon son concepteur Päul Ginisty, d’inspirer plus de colère encore contre l’envahisseur et de présenter, devant les [pays] neutres, le témoignage direct du vandalisme allemand. Les statues décapitées, estropiées, calcinées, récupérées sur le front, se font métaphore de la violence des combats. Les symboles religieux mutilés, comme le ciboire de Gerbéviller, percé par les balles, témoignent de l’atteinte portée aux valeurs et fondements même de la société française. Avec l’exposition de 1916-17, l’instrumentalisation du patrimoine atteint son paroxysme.
Conçue dans le cadre des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, l’exposition 1914-1948. Le patrimoine s’en va-t’en guerre interroge sur la notion d’identité que représente le patrimoine en cas de conflit et se révèle particulièrement d’actualité…
Informations pratiques
1914-1948. Le patrimoine s’en va-t’en guerre, jusqu’au 4 juillet 2016
Cité de l’architecture & du patrimoine
Musée – Salle Viollet-le-Duc
Accès : 1, place du Trocadéro, Paris 16e
La Cité est ouverte tous les jours sauf le mardi
Lundi, mercredi, vendredi, samedi et dimanche de 11h à 19h
Nocturne le jeudi de 11h à 21h
En savoir plus sur l’exposition : www.citechaillot.fr/fr
Entrée comprise dans le billet d’accès au musée (collections permanentes) tarifs ici
Visioguide remis à l’entrée de la Cité, contre une pièce d’identité (compris dans le prix de l’exposition)
Publication
1914-1918. le Patrimoine s’en va-t-en guerre, aux éditions Norma, 96 pages, 15 euros.