On aimerait pouvoir se glisser seul dans l’ancienne sacristie du Collège des Bernardins, plongée dans la pénombre. S’isoler de toute distraction sonore pour laisser agir pleinement sur nous le nouvel univers spatio-temporel qui nous est proposé. Pas de hasard pour les rares sources de lumière : elles révèlent de manière tamisée les différentes parties de l’installation de Lyes Hammadouche, comme le ferait la lumière du soleil sur une planète, éphémère et répétitive.
Pour la première fois, un artiste a été invité en résidence ouverte sur plusieurs mois aux Bernardins pour s’emparer de ce lieu dont l’architecture et l’ancienne fonction sont si particulières.
« Je savais que je confiais à Lyes Hammadouche une responsabilité importante […] En effet, dans cette sacristie, une étonnante sensation d’espace envahit le spectateur, alors même que mesurée au sol, elle n’est guère plus grande qu’une petite galerie, ponctuée de colonnes. […] le moindre bruit prend des proportions « cathédralesques ». […] Assurément ici, on ne peut pas emprunter les codes du « white cube » muséal. On ne peut pas non plus s’imposer par la force, c’est un lieu qui rappelle sans cesse qu’il était là avant nous, fort de l’histoire du Collège des Bernardins, et qui nous plonge près de huit siècles en arrière » explique Gaël Charbau, nouveau programmateur des arts plastiques du Collège et commissaire de l’exposition.
Après avoir passé du temps à « écouter » l’ancienne sacristie pour mieux en comprendre l’acoustique, l’échelle et les règles, l’artiste, né en 1987, a puisé dans les multiples références qui nourrissent son travail : le temps, la conquête spatiale et le paysage extra-terrestre ou encore l’art du jardin japonais…L’intention de Lyes Hammadouche n’est pas de chercher à expliquer ni à faire réfléchir, mais d’ouvrir le champ d’interprétation le plus large possible pour que l’approche de son œuvre soit celle de la perception, de la sensation.
Le titre de l’exposition fait référence aux deux colonnes centrales de l’ancienne sacristie sur lesquelles se projette un rayon laser, rappel de la précision, du fil de plomb des bâtisseurs de cathédrales. Au milieu des deux colonnes, un savant jeu de miroirs divise le faisceau en diverses lignes qui traversent tout l’espace. Elles forment, au centre de la pièce une croix lumineuse, point de départ d’une troisième colonne, invisible.
Imaginaire sollicité.
Comme lorsqu’on est face à jardin zen, paysage miniature basé sur l’économie de moyen. Car l’autre source d’inspiration de Lyes Hammadouche est le jardin de pierre du monastère japonais Ryoan-ji datant du XVIe siècle. Si l’artiste rend hommage à ce jardin qu’il affectionne, en utilisant des outils technologiques comme le laser, c’est que l’ensemble de l’installation dans la sacristie nous parle aussi des nouveaux paysages découverts par l’homme dans sa constante recherche d’un « ailleurs », conquête spatiale en pleine explosion.
Pour ce lieu propice à la méditation, l’artiste a voulu concevoir une œuvre d’art totale qui sollicite tous les canaux de perception du visiteur. Dans une recherche d’ascétisme, il a souhaité provoquer un état de relâchement, d’abandon proche de la transe. Pour y parvenir, Lyes Hammadouche fait appel aux principes de « l’induction hypnotique » : ces mécanismes courts ou étendus dans le temps destinés à placer un sujet dans un état d’hypnose. Il base alors son travail sur l’idée de cycles, séquences répétitives qui coupent le spectateur du monde extérieur, et que l’on retrouve omniprésents dans l’exposition.
L’ensemble de l’installation est ainsi un jeu de correspondances entre différentes sonorités et mouvements cycliques qui invitent à passer d’un état à un autre.
Comme pour « Soixante seconde », œuvre composée de deux disques de verre actionnés en rotation, entre lesquels un mélange de sable et d’eau dessine « des paysages géologiques, atmosphériques, océaniques, désertiques ou cosmiques selon l’interprétation de chacun. » Ou encore pour « Les développantes du cercle », deux disques en polystyrène qui tournent autour des deux colonnes centrales dans un rythme de battement de cœur. Leur mouvement fait écho aux autres figures rotatives de l’exposition et « rappellent la prééminence du cercle comme symbole dans la cosmologie de nombreuses civilisations ».
Et puis soudain un bruit sourd, un soubresaut, une vibration qui bat sur toutes les surfaces de l’édifice et qui nous maintient en éveil, pour focaliser notre attention sur ce qui nous environne.
Teasing de l’exposition
Pour en découvrir davantage sur l’univers de Lyes Hammadouche et sur son processus créatif, rdv sur le blog de la programmation des Bernardins : www.questionsdartistes.fr
Informations pratiques
« Tout est parti d’une colonne »
Carte blanche à l’artiste Lyes Hammadouche
Exposition du 13 mars au 5 juillet 2015
Dans l’ancienne sacristie du Collège des Bernardins
20 rue de Poissy
75005 Paris
Entrée libre – du lundi au samedi de 10h à 18h, le dimanche et les jours fériés de 14h à 18h. Tél: 01 53 10 74 44 – www.collegedesbernardins.fr