Habituellement, les œuvres des artistes invités par l’abbaye de Maubuisson depuis 2004 sont conçues in situ afin d’entrer totalement en résonnance avec le lieu qui les accueille. Le travail de Ken et Julia Yonetani est donc l’exception qui confirme la règle : trois de leurs créations semblaient tant avoir été réalisées pour le lieu qu’elles ont été importées d’Australie et reconfigurées pour les espaces de l’abbaye. Une quatrième, The Last Supper, a, elle, été spécialement créée pour l’occasion. A travers les matériaux utilisés (sel et verre d’uranium) chacune des œuvres interroge sur l’impact environnemental de notre société de consommation, de l’exploitation du nucléaire, de la déforestation et de l’irrigation intensives des cultures, tout en faisant écho à l’histoire des arts et aux arts décoratifs.
La première partie de l’exposition est consacrée aux œuvres conçues exclusivement à base de sel solidifié. Grape Chandelier (Lustre de raisins), The Five Senses (Les cinq sens) et The Last Supper (Le Dernier repas ou La Cène) sont le résultat d’un procédé technique dont seuls Ken et Julia Yonetani connaissent le secret. Elles font référence au problème important de salinité des sols australiens dû en partie aux pratiques agricoles intensives.
Dans la salle du parloir, The Five Sens renvoie aux Allégories des cinq sens peintes vers 1617 par Brueghel l’Ancien (musée du Prado, Espagne). Mais les cinq cadres identiques et vides qui se détachent à peine des murs calcaires de l’abbatiale, nous parlent de la perte de nos sens à l’époque contemporaine, annonciateurs de la fin d’un cycle. A l’heure où les domaines d’activités professionnels sont de plus en plus dématérialisés et déshumanisés, que devient notre rapport au corps ? Ne serait-on pas en train de perdre l’usage de nos sens ?
Ce double niveau de lecture se retrouve dans la sculpture The Last Supper, longue de 9 mètres et constituée de plus de 1000 pièces réalisées en sel moulé. Qu’elle fasse appel à La Dernière Cène de Léonard de Vinci, œuvre clé dans les connaissances artistiques du plus grand nombre, rassure et séduit. Mais l’observation plus attentive de cette « nature morte » que la lumière blanche et froide diffusée dans la salle du chapitre souligne, a quelque chose d’inquiétant. Contrairement aux quelques pains et poissons épars de la Cène de de Vinci, l’opulence des mets en provenance de tous les pays du monde devient une image de la surconsommation et de la production intensive d’aliments de moins en moins sains.
Les artistes expliquent : « Le sel est ici une métaphore de la mort de la terre, sacrifiée au nom de la production et de l’industrie. Notre appétit insatiable de consommation prend fin avec The Last Supper. Les associations religieuses et historiques du sel, en tant que substance sacrée qui assure la vie mais peut aussi inviter la mort, sont développées dans une œuvre puissante sur l’essence de ce qui orne nos tables au XXe siècle ».
Le parcours se poursuit par des installations faites en verre d’uranium, dont la propriété permet d’être fluorescent sous une lumière ultraviolet. Huit des trente et un lustres de l’œuvre Crystal Palace : The Great Exhibition of the Works of Industry of All Nuclear Nations brillent ainsi dans l’obscurité de la salle des religieuses. Chacun reprend le style des arts décoratifs du pays qu’il représente. En effet, les lustres représentent les 31 nations qui possèdent l’énergie nucléaire ; la taille de chacun des lustres correspondant au nombre de centrales actuellement en exploitation dans le pays en question.
Au faste et à la délicatesse esthétique de ces pièces créées au lendemain de la catastrophe de Fukushima, est ainsi associée l’image angoissante des conséquences de la gourmandise nucléaire. Le titre de l’œuvre fait allusion à l’architecture innovante en fonte et verre du palais londonien de l’Exposition Universelle de 1851, détruit par le feu. Quel est le prix de la constante recherche de progrès techniques et d’une ambition humaine toujours croissante ?
Ajoutées à la dimension plastique innovante et envoûtante, les questions environnementales traitées par le travail des Yonetani répondent aux préoccupations de l’Abbaye de Maubuisson qui se situe dans environnement naturel menacé. Le couple d’artiste a d’ailleurs choisi éclairer la portion du rû de Liesse, petit affluent de l’Oise extrêmement pollué, visible dans la salle qui clôture l’exposition. Cet « autre rêve » est un émerveillement visuel mais aussi une question qui nous est posée, pour que nous ne cessions d’œuvrer à réconcilier nature et culture.
Informations pratiques
Un autre rêve, de Ken + Julia Yonetani
Jusqu’au 30 août 2015
A l’abbaye de Maubuisson, site d’art contemporain du Conseil général du Val d’Oise
Avenue Richard de Tour
95310 Saint-Ouen l’Aumône
Ouverture en semaine : tous les jours sauf le mardi, de 13h à 18h
Le week-end et jours fériés : de 14h à 18h
Entrée Libre
01 34 64 36 10
www.valdoise.fr