« La première nuit du monde » de Valérie Favre à Strasbourg

Si vous ne connaissez pas encore Valérie Favre (née en 1959), artiste franco-suisse vivant à Berlin, c’est vraiment l’occasion de partir pour Strasbourg. Jusqu’au 27 mars 2016, le Musée d’Art moderne et contemporain de la ville alsacienne met à sa disposition un espace de 600 m2. Une cinquantaine de peintures y sont présentées, dont plusieurs triptyques aux dimensions monumentales. Un ensemble impressionnant de plus de 200 dessins inspirés par la lecture du roman de Maurice Blanchot, « Thomas l’Obscur » est également à découvrir. Valérie Favre emprunte à ce récit étrange les mots « La première nuit du monde » pour intituler l’exposition qu’elle a elle-même scénographiée. Un titre qui annonce les rêveries et réflexions profondes, tirées aussi bien de la littérature que du théâtre, qu’elle a l’intention de nous partager.
Publié le 02 février 2016

Valérie Favre, Balls and Tunnels, 2015  – encre sur toile, 210 x 190cm – Courtesy Galerie Peter Kilchmann, Zurich ©ADAGP, Paris 2016

Si Valérie Favre a choisi la peinture de chevalet comme medium, c’est pour interroger les possibilités et les limites de la discipline dans une œuvre qu’elle compose en plusieurs séries.  Ses « épisodes » s’étirent parfois dans le temps comme la série Balls and Tunnels, commencée en 1995, et qu’elle poursuivra jusqu’à sa mort en réalisant chaque année un unique tableau. Ces œuvres sont toutes réalisées selon le même processus, celui d’une peinture voulue « avec le moins de décisions possibles ». L’artiste travaille la toile libre en laissant le hasard induire des rencontres de couleurs, sous forme de taches de dégoulinures pour réaliser une œuvre « qui n’a plus de sens ».

Sur des formats tantôt panoramiques tantôt intimes, les sujets alternent entre abstraction et figuration, empruntant à l’univers du théâtre, à l’histoire de l’art ou à la littérature. Les taches et tourbillons de sa récente (et déjà close) série Fragments, n’est pas sans rappeler les dessins à l’encre de Victor Hugo. « Ici réside sans doute la partie romantique de mon œuvre. […] L’univers est infini, impossible à appréhender, encore moins à représenter. Alors j’en ai fait des morceaux, des sortes de couloirs d’univers ».

Valérie Favre, Fragments O, 2012 – encre acrylique et huile sur toile, 220 x 200cm. Courtesy de l’artiste. Photo: Uwe Walter. ©ADAGP, PARIS 2016

Et la littérature tient précisément une place centrale dans l’exposition « La première nuit du monde ».  Fascinée par le roman Thomas l’Obscur de Maurice Blanchot, l’artiste a entrepris de copier minutieusement l’ouvrage et de « l’illustrer ». Les deux cents dessins et peintures qui composent cet ensemble rencontrent et prolongent le texte de Blanchot, livrant ici une œuvre d’art totale. Daniel Payot, professeur de philosophie de l’art qui a participé au catalogue de l’exposition, explique : « En copiant l’intégralité de la première version de Thomas l’Obscur et en ajoutant au manuscrit plusieurs dessins qui le ponctuent ou l’interrompent, la main de Valérie Favre n’a ni reproduit, ni illustré le texte de Maurice Blanchot : elle s’est livrée à l’expérience difficile, risquée mais déterminée, de penser avec lui. […] Son premier geste est d’accueil. Elle n’est pas passive : elle répond, aussi, à ce que le texte lui adressait, et elle adresse à d’autres, lecteurs et regardeurs, ce qu’elle a recueilli et répondu à l’envoi du texte. »

Les tons gris et noir qui dominent dans les premiers dessins, laissent peu à peu la place à la couleur, suggérant le passage de la nuit en jour, des ténèbres à la lumière, résumé dans le titre de l’exposition. « J’aime ce titre qui comporte une dimension à la fois poétique et politique. La « nuit », ce n’est pas uniquement la nuit du poète, c’est aussi le crépuscule dans lequel nous sommes actuellement. […] Cette phrase parle de l’état de notre société et cet état me préoccupe. Je n’entends pas délivrer de message et, même si mes moyens ne sont que modestement picturaux, je suis une artiste consciente de cet état de fait. »

La folie du monde, Valérie Favre la raconte également dans sa série des Théâtres commencée en 2007 et toujours en cours. Dans des triptyques qui s’étirent sur près de 4 mètres, une scène avec rideaux et lumières présente de façon frontale des parodies du monde. La figure de la Mort y est fréquente, côtoyant de nombreux personnages, animaux et créatures hybrides réunis pour jouer la comédie ou le drame.

Valérie Favre, Play Back, 2014-2015 (avant-dernier état), huile sur toile, triptyque, 170 x 390 cm. COURTESY DE L’ARTISTE ET DE LA GALERIE BARBARA THUMM, BERLIN. PHOTO UWE WALTER ©ADAGP, PARIS 2016

Les Théâtres, porteuses de symboles et citations, se répondent entre eux. Accrochés volontairement assez bas, ils invitent le regardeur à entrer dans le spectacle qui se joue sous ses yeux.

Sur 600 m2, un voyage intérieur auquel nous convie Valérie Favre, mais qui se rattache toujours au monde contemporain.

Commissariat : Joëlle Pijaudier-Cabot, directrice des Musées de Strasbourg et Estelle Pietrzyk, directrice du MAMCS

Informations pratiques
La première nuit du monde, Valérie Favre 
Du 26 novembre 2015 au 27 mars 2016
Musée d’Art Moderne et Contemporain

1 place Hans Jean Arp
67000 Strasbourg
France
+33 (0)3 68 98 51 55
http://www.musees.strasbourg.eu

Visites :

Le temps d’une rencontre
Samedi 28 novembre à 14h30
Visite de l’exposition en présence de l’artiste Valérie Favre
Samedi 12 décembre à 14h30
Rencontre avec Christophe Greilsammer, metteur en scène de théâtre

Une heure / une œuvre
Vendredi 12 février à 12h30 et mardi 16 février à 14h30
Ghost (d’après Le Vol des sorcières de Goya), 2014 Valérie Favre

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