« La danse et la rencontre », les vitraux de Martial Raysse et Jean-Dominique Fleury au centre de la Nuit des églises 2024 à Notre-Dame de l’Arche d’Alliance

« Notre ambition est d’ouvrir notre église au sens propre et au sens figuré : Notre-Dame de l’Arche d’Alliance étant de forme cubique, elle n’est pas identifiée comme telle par les habitants du quartier et ceux qui souhaitent la visiter », dit Marie Dumas organisatrice de la 13e nuit des églises, en cette église du XVe arrondissement de Paris. À l'occasion de ce festival, vous pourrez d'ailleurs re(découvrir) cette église si particulière la nuit du 26 juin 2024, de 19h30 à 2h du matin.
Publié le 21 juin 2024

Une église singulière

Née de la volonté, de Monseigneur Lustiger, de doter le quartier du XVe arrondissement de Paris, situé entre le boulevard Pasteur et la rue de Vouillé, d’une nouvelle paroisse, Notre-Dame de l’arche d’Alliance a été édifiée par Architecture Studio entre 1986 et 1998. Elle a pris la forme d’un grand cube (l’église et les habitations du clergé), juché sur un petit cube (le baptistère). La forme du bâtiment a inspiré le vocable de cette église dédiée à Marie que ses litanies nomment :  Foederis arca (arche de l’alliance). L’arche, du latin arca, désigne un coffre, et non une arche de pont, dont les tribulations nous sont contées dans le livre de l’Exode (Ex 16-25).

FIg. 1 : l’église NOTRE-DAME de l’ARCHE D’ALLIANCE, VUE EXTéRIEURE AVANT LA POSE DES VITRAUX ET DE LA CROIX
© ARCHITECTURE STUDIO

Il y a une autre église nommée Notre-Dame de l’Arche d’Alliance. Elle est située à Kiriat Yiéarim, près de Jérusalem. En ces lieux, l’arche d’alliance biblique aurait été déposée pour vingt ans (1 S 6, 21-7, 2). C’est là que David est venu la chercher pour l’amener, dans la joie et la transe de la danse, jusqu’à Jérusalem : « David, vêtu d’un pagne de lin, dansait devant le Seigneur, en tournoyant de toutes ses forces » (2 S 6, 14).

À l’origine, le bâtiment devait être caractérisé par une sorte de « carême esthétique », courant dans les réalisations d’églises de la fin du XXe siècle, voire d’aniconisme. Aucun vitrail n’était prévu dans le programme architectural. Mais, par la volonté de la communauté s’y desservant, deux vitraux ont été commandés lors d’un appel avec concours, par la Commission d’Art sacré, et des membres de la communauté, réunis autour du cardinal Lustiger.

Cette commande spécifiait qu’en lien avec le vocable de l’église, l’Ancien et le Nouveau Testament devaient se répondre en deux verrières monumentales, figuratives, autour de la thématique de l’arche d’alliance. C’est l’artiste Martial Raysse, en collaboration avec le maître-verrier Jean-Dominique Fleury, qui ont été retenus pour réaliser ces deux grandes verrières (plus de 5 mètres par 5 mètres chacune).

L’ANCIEN testament fait face au nouveau

La verrière côté nord représente David dansant devant l’arche que transportent deux hommes (fig. 2). La danse de David est présentée, dans l’Écriture, comme une quasi-transe, sauvage et suffisamment débridée pour que Mikal, l’épouse de David, la fille de Saül, s’en offusque :

« Comme il s’est honoré aujourd’hui, le roi d’Israël ! Lui qui s’est découvert aux yeux des servantes de ses esclaves comme se découvrirait un homme de rien ! » Mais David dit à Mikal : « Devant le Seigneur, lui qui m’a choisi de préférence à ton père et à toute sa maison pour m’instituer chef sur Israël, sur le peuple du Seigneur, oui, je danserai devant le Seigneur. Je me déshonorerai encore plus que cela, et je serai abaissé à mes propres yeux, mais auprès des servantes dont tu parles, auprès d’elles je serai honoré. » Et, jusqu’au jour de sa mort, Mikal, fille de Saül, n’eut pas d’enfant. (2 S 6, 20-23)

Fig. 2 : DAVID DANSANT DEVANT L’ARCHE (2 S 6, 14) – VITRAIL NORD © NDAA

En face, au sud, le vitrail de la Visitation (Lc 1, 26-56) occupe le même espace (5mx5m).

Cette arche devant qui le prophète David dansa,
ne correspondait-elle pas à la Vierge Marie ?…
La première gardait la loi, la seconde l’évangile.
Celle-là la voix de Dieu, celle-ci son vrai Verbe.
Saint Maxime, évêque de Turin, (IVe-Ve siècles), Sermon 42, 5

Pour dire que Marie, enceinte de Jésus, est la Nouvelle arche d’alliance, Martial Raysse et Jean-Dominique Fleury ont utilisé les mêmes les mêmes codes artistiques venus du Pop art, celui de la jeunesse de l’artiste, un art de couleurs acidulées, de l’évocation des néons et de collages (fig. 3).

Fig. 3 : LA VISITATION (LC 1, 26-56) © NDAA

Un même verre jaune vif a été choisi pour représenter le corps de Marie et celui de David dansant. Une même couleur or pour dire le lien unissant les protagonistes essentiels de ce dialogue entre l’Ancien et le Nouveau Testament qui répond au vocable de cette église. Ce lien n’est pas seulement plastique : Jésus est, pour les chrétiens, le messie, celui qui, dans l’attente du peuple hébreu, doit naître « dans la maison de David » (Mi, 4-5 ; Lc 2, 11). Et il est appelé « fils de David » (Mt 20, Mc 10, Lc 18,)

Le visage de Marie est le seul à ne pas avoir été conçu en verres doublés et gravés. Il n’est pas rendu de façon réaliste, tout tavelé comme celui d’Elisabeth, sa parente âgée et enceinte, dont la grossesse improbable est le signe que l’ange a donné à Marie et qui l’a mise en route « avec empressement » (Lc 1, 26). Ces deux grossesses se suivent de six mois, mais c’est le ventre de Marie qui est mis en valeur ici.

Un maître-verrier nous parle de son travail

Jean-Dominique Fleury dit que Martial Raysse lui avait confié des petites maquettes, qu’il avait faites en collages de découpés et collés, de couleurs très vives et représentant les scènes figuratives demandées par les commanditaires (fig. 4). Elles étaient d’un petit format, (A4 soit 21×29,7 cm) et il lui a fallu travailler à l’agrandissement de ces maquettes jusqu’aux dimensions monumentales des vitraux attendus (25 m2 chacun). Et ce travail d’agrandissement a pris plusieurs mois.

FIG. 4 : David dansant devant l’arche d’alliance, dessin préparatoire, DE MARTIAL RAYSSE (DET.)
© DIOCèse de Paris

Le dessin de l’artiste n’est pas reporté après un agrandissement « au carré » comme il est d’usage, mais en utilisant une interprétation technique et une utilisation de l’informatique, innovante pour l’époque (1999-2000).

« On a fait des pochoirs sur des verres gravés que l’on a attaqués à l’acide, dit Jean-Dominique Fleury. Ces verres étaient doublés, superposés en différentes couches. En jouant sur les caches on a obtenu des gravures différentes, par exemple un verre bleu sur jaune était gravé à l’acide fluorhydrique, permettant un passage par différentes nuances de verts. Ces pochoirs (ou caches) ont encore été utilisés pour réaliser la grisaille (qui apparaît) pour en rendre l’aspect « pixellisé » et se confond avec les plombs traditionnels dans le montage des vitraux. » (fig. 5)

  

FIg. 4 et 5 : ENLèVEMENT DES ADHéSIFS PROTéGEANT LE VERRE APRèS MORSURE à L’ACIDE FLUORHYDRIQUE © ATELIERS FLEURY

Quant aux verres blancs : « les blancs autour des personnages, d’un blanc intense, un verre dépoli, ces blancs sont des blancs gravés au sable, sur des verres bleus. » Comme pour les vitraux de Soulages à l’abbatiale de Conques (une autre réalisation des ateliers Fleury), « il a fallu aller chercher des verres bleus fabriqués en Allemagne. C’est ce bleu céleste qui sert de fond aux verrières, car on n’ arrivait pas à trouver un bleu assez intense pour la lumière de Paris. » (fig. 6)

FIG. 6 : MISE EN PLACE SUR TABLE LUMINEUSE DES VERRES BLEUS AVANT GRAVURE © J-D FLEURY

Pour conclure : des formes en liberté

Sans vouloir déflorer, par tous les moyens, l’inspiration de Martial Raysse, il est frappant de constater l’originalité de l’iconographie des maquettes de ces vitraux ; une originalité alliée à une grande érudition. Ici il semble qu’une résurgence des années de jeunesse soit à l’œuvre, pas seulement pour les couleurs, les collages et les néons.

Ainsi la danse de David, bras levés comme ceux des orantes (de figures de priants traditionnels depuis les premières images de l’Église), mais jambes dessinant un angle comme en une danse primitive. Ils offrent une synthèse entre prière et danse, extase et exultation de la louange. Elle répond à la joie de Marie, Elisabeth et de leurs enfants. Mais qu’il soit permis à l’historienne de l’art d’évoquer également un ballet de Roland Petit (1966) : L’Éloge de la Folie. Martial Raysse, en avait réalisé une partie des décors pour le Théâtre des Champs-Élysées, à Paris. Les photos de l’époque montrent les danseurs dans la même position que celle de David (fig. 7).

Fig. 7 : LA DANSE ET LE PALMIER (éLOGE DE LA FOLIE), BALLET DE ROLAND PETIT, 1966, ET OUED LAOU, MODERN ART MUSEUM, MUNICH, MAI 1971 © DANS « MARTIAL RAYSSE », GALERIE NATIONALE DU JEU DE PAUME, 1992, P. 9. ET P. 85

Quant au palmier sur lequel s’adosse Élisabeth, il semble un troisième personnage de cette rencontre. Dans la mythologie, Léto entoure de ses bras le tronc d’un palmier, lorsqu’elle accouche d’Apollon. Le palmier dattier (phoenix dactylifera), source de nourriture et de boisson, est associé dans la symbolique chrétienne, à l’oiseau-phénix, et à la Résurrection du Christ. Il peuple les images-types des lieux paradisiaques, en particulier dans le publicités un peu vaines qui vantent le « paradis terrestre retrouvé » outremer, jusqu’aux îles en forme de palmier.

Mais, si toutes ces références peuvent être évoquées, la silhouette de cette plante, souvent découpée, fait partie des « clichés personnels » ou « prototypes » de l’artiste. Ainsi, en 1971, un palmier « naturalisé » est planté sous une tente dans l’installation nommée Oued Laou. Initialement exposé au Modern Art Museum de Munich en mai 1971, il a été reconstitué à l’occasion de la rétrospective Martial Raysse présentée au Centre Pompidou. L’aspect un peu « échevelé » du palmier de la verrière de Notre-Dame de l’Arche d’Alliance est bien celui que l’on voit sur les photos de la première installation.

Ainsi Martial Raysse et Jean-Dominique Fleury ont-ils su allier les contraintes, de la commande, de la technique, des symboles chrétiens, à un art profondément libre, pour rendre l’architecture, à laquelle ces vitaux sont intimement liés en une vision paradisiaque. L’Église est « une réunion de fête ».

— Sylvie Bethmont-Gallerand
Historienne de l’art

Tout au long de la nuit du 26 juin 2024, de 19h30 à 2h du matin
Autour des vitraux d’inspiration Pop Art de cette église, plusieurs jeunes artistes proposent leurs créations et performances artistiques : Pauline Ohrel, Jérôme Rasto, Jordane Saget, Marie Dumas, et les élèves en section vitrail de l’école d’arts appliqués Olivier de Serres (ensaama) : Zoé Cucheval, Lionel Dos Santos, Louise Malry Polkotycki, Mathias Sebire-Legoupil, Elina Secci : Hōjō Masako. Ils seront accompagnés par les chants et danses des sœurs spiritaines et de la Mini-hosanna, sous la direction de Servane Teyssier d’Orfeuil.

Église Notre-Dame de l’Arche d’Alliance, 81 Rue d’Alleray 75015 Paris.

Pour aller plus loin…

– Jacqueline DORNIC, Notre-Dame de l’Arche d’Alliance, une église pour notre temps – une œuvre de l’art contemporain. Son histoire, son architecture, sa symbolique, 2002

– Nathalie FRACHON–GIELAREK, Les vitraux de Martial Raysse à Notre-Dame de l’Arche d’Alliance, Paris,  Monumental 1, 2004

– Film : L’Art du contre-jour, d’Olivier PEKMEZIAN, Poischiche Films et France Télévision, 2016, Arte.Tv

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