Jean Baptiste reprend les mots d’espérance du prophète Isaïe : "Tout homme verra le salut de Dieu". Dans ces deux oeuvres, Caravage nous montre le Précurseur qui entrevoit le Sauveur et nous invite à l’accueillir.
Michelangelo MERISI da CARAVAGGIO, Saint Jean Baptiste –
La figure de trois quarts de cette tête nous paraît, de prime abord, sombre et belle. Elle observe quelque chose (ou quelqu’un), et l’intensité de son regard, ressentie juste en dessous de l’épaisse masse de cheveux, est sans doute l’évocation la plus poétique de la composition. Cette torsion de la tête du personnage vers un « ailleurs » est comme la représentation de celui qui voit arriver le Messie et l’annonce comme Sauveur : « A travers le désert, une voix crie : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route » (Is 40,3).
Jean pose sa main gauche sur son genou droit pour rendre l’attitude plus cohérente, ce geste étant favorisé par la main droite qui se pose sur la Croix de bois. A côté, un bol, lui aussi en bois, fait pour puiser de l’eau, mais nous rappellant également l’activité de celui qui baptisera et qui, par cet acte, invitera à la conversion : « Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les routes déformées seront aplanies ; et tout homme verra le salut de Dieu ». Ce salut, Jean le voit arriver comme le suggère la position en diagonale de son visage et sa tête à la limite haute de la toile d’où pendent des branches d’un arbre sec dont le tronc se trouve à la gauche du spectateur.
Michelangelo MERISI da CARAVAGGIO, Saint Jean Baptiste (détail) – 1606 – Huile sur toile – Galleria Nazionale d’Arte Antica, ROME – (c) Cliché SCALA su concessione del Ministero per i Beni e le Attività Culturali.
Cet arbre semble réclamer, comme les autres éléments de la composition, sa juste part de l’espace. Généralement considéré comme un chêne, il faut plutôt y voir un sycomore : il est sans écorce, mentionné dans les Ecriture et présent dans la vallée du Jourdain. C’est peut-être de la cavité d’un sycomore que Jean récoltait le miel qui, avec les sauterelles, lui servait de nourriture (Mc 1,6).
Michelangelo MERISI da CARAVAGGIO, Saint Jean Baptiste (détail) – 1606 – Huile sur toile – Galleria Nazionale d’Arte Antica, ROME – (c) Cliché SCALA su concessione del Ministero per i Beni e le Attività Culturali.
La représentation caravagesque de Jean Baptiste est en accord avec l’Eglise de la contre-réforme qui prêche au sujet de la validité des sacrements. Le baptême, évidemment, est associé aux nombreuses représentations du Baptiste. Selon l’évangile de Marc, « Jean le Baptiste parut dans le désert. Il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés. Toute la Judée, tout Jérusalem, venait à lui. Tous se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en reconnaissant leurs péchés. Jean était vêtu de poil de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins, et il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Il proclamait : « Voici venir derrière moi celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de me courber à ses pieds pour défaire la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés dans l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint » (Mc 1, 4-8). Il semble clair que Caravage n’ait pas interprété à la lettre ni ce passage de l’Evangile, ni les autres sources évangéliques, synoptiques ou apocryphes : la figure jeune n’est pas marquée par la souffrance, les privations ou les difficultés. Ses reins ne sont pas recouverts de poils de chameau et il ne porte pas de ceinture de cuir. A la place, il est recouvert par deux grands linges, l’un clair sur le bas de l’abdomen et un autre gros tissu rouge, une sorte de manteau qui est tombé de ses épaules sur les jambes. Nu comme au désert, il est donc assis sur le linge blanc de son linceul et le manteau rouge de son martyre le couvre. La dignité de la figure de Jean le Baptiste, dans son attitude, ses vêtements, dans l’expression du visage, est directement liée à son rôle de précurseur, selon la vision du peintre qui reste, tout au long de son œuvre, centrée sur le Christ.
Michangelo MERISI da CARAVAGGIO, Saint Jean Baptiste –
La plus ancienne description de ce tableau se trouve sur un manuscrit décrivant les œuvres sacrées du diocèse d’Albenga, « Il Sacro e vago Giardinello ». L’auteur, Pier Francesco Costa, décrit l’image du Baptiste « peinte par le célèbre Michel-Ange Caravaggio, (représenté) dans le désert pour pleurer sur les misères humaines, invitant sans cruauté à la vraie pénitence non seulement les disciplinés passionnés, mais aussi les étrangers ».
Jean, vox clamantis in deserto, qui prêche et baptise les foules, est représenté comme un personnage solitaire et introspectif, immergé dans une douloureuse méditation sur la « misère humaine ». C’est sa propre figure qui constitue une prédication tout aussi exigente qu’elle est muette, invitant le fidèle qui contemple la toile sur le chemin de la conversion, se mettant ainsi en accord avec le climat austère de la composition.
Michangelo MERISI da CARAVAGGIO, Saint Jean Baptiste (détail) – 1603-1604 – Huile sur toile – The Nelson-Atkins Museum of Art, KANSAS CITY – (c) Cliché Jamison MILLER
Le désert est ici une forêt et le Précurseur est assis devant un chêne dont les feuilles jaunies semblent contredire la signification de vigueur et de solidité qu’on lui attribue habituellement. La scène se passe donc à l’automne. Les paroles sévères que Jean adresse aux pharisiens et aux sadducéens venus le voir au désert peuvent nous faire comprendre ce contexte figuratif particuliers : « Déjà la cognée est mise à la racine des arbres: tout arbre donc qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu » (Mt 3,10). Le chêne du tableau est peut-être l’emblème de ces arbres dont parle le Baptiste, annonçant l’imminent avènement du Christ.
La composition est parsemée d’indices, rappels de la caducité, comme la branche coupée juste à côté de la tête de Jean (une allusion à son martyre et à sa décollation ?) ou les entailles profondes aux extrémités des tiges qui forment la pauvre croix qu’il tient de sa main droite. Dans le même temps, la figure de ce jeune homme, d’un charme incontestable, est dotée d’une énergie intime. Caravage crée un héros à la fois sylvain et ermite.
Michangelo MERISI da CARAVAGGIO, Saint Jean Baptiste (détail) – 1603-1604 – Huile sur toile – The Nelson-Atkins Museum of Art, KANSAS CITY – (c) Cliché Jamison MILLER
Sa pose instable est inspirée de figures célèbres, comme le Torse du Belvédère (conservé aux Musées du Vatican) et les Ignudi de Michel-Ange à la Sixtine, et nous montre le personnage comme suspendu entre la réflexion et l’action. Le pied posé sur le sol, les doigts et la cuisse montrent la tension musculaire de celui qui est prêt à se lever. On est frappé par une puissante lumière, irréelle, souvent qualifiée de lunaire. Elle provient de la gauche, et brise l’obscurité du bosquet et projette de grandes ombres sur le visage – renforçant ainsi la sévérité et la préoccupation de l’expression – formant ainsi une sorte de masque qui donne de la profondeur au regard.
Caravage fait ici preuve d’un talent innovateur dans ce contexte particuliers et très codé de l’iconographie religieuse : l’humanisation du thème sacré est l’une des caractéristiques majeures de son œuvre. Il manifeste sa grande capacité à se confronter à un sujet traditionnel en le réinventant et en « navigant » entre sa propre créativité et les souhaits des commanditaires.
Ces œuvres peuvent nous aider à méditer tout particulièrement pendant cette période de l’Avent que nous sommes invités à vivre, puisque la beauté et le naturalisme associés à l’intensité de l’expression correspondent au rôle de précurseur et de prédicateur de Jean. Il est comme une sentinelle à l’entrée de l’Evangile, présentant Jésus comme celui qui accomplit le salut que tous espèrent. Jean nous indique le premier pas à faire : « Préparez le chemin du Seigneur » par la conversion du cœur. C’est à nous de préparer les chemins du Seigneur pour qu’il vienne en notre vie !
Vous pouvez découvrir cette même figure de Jean-Baptiste vue par un artiste de la Renaissance, Desiderio da SETTIGNANO, dans l’article daté du 10 décembre 2011 du blog Narthex "Itinéraires italiens du sacré".