L’objet choisi pour illustrer l’exposition, où l’on croit reconnaître à la coiffure et à la posture, un Bouddha indien, laisse à penser que nous allons explorer, peu ou proue, tous les aspects de la robotique. Il n’en est rien : nous sommes accueillis dès l’entrée par « l’homme invisible », qui est bien un être de chair et d’os, par le biais d’une vidéo. Il s’adresse à nous et nous guide déjà dans notre parcours à venir : grâce aux artifices offerts par les techniques d’effet spéciaux, il parait en effet invisible, pourtant nous voyons s’agiter un « homme élégant » en costume de tweed. Est-il présent ou absent ? Est-il ou non une « vraie » personne ? « Il y a quelqu’un ? » : c’est précisément le nom choisi pour la première partie de ce parcours.
Les œuvres contemporaines (le superbe Homo Luminoso de Roseline de Thélin nous accueille, silhouette tout juste esquissée dans un espace tendu de fibres optiques) côtoient les figures anthropomorphes de toutes époques et de toutes régions du monde. Notre cerveau fonctionne de telle manière qu’il reconnaît les visages, les expressions, les corps humains là où ils sont comme là où ils ne sont pas. Quelques curiosités nous confrontent aux limites de cette perception, comme la vidéo d’une artiste faisant exécuter, sous la loupe, des prouesses circassiennes à des puces pour une performance. Jusqu’où percevons-nous des attitudes anthropomorphes là où elles ne peuvent vraisemblablement pas être ?
« Il y a personne » : non, les scénographes ou les commissaires de l’exposition n’ont pas fait une faute de grammaire, tout réside pour cette deuxième partie dans l’ambiguïté entre « personne » au sens d’absence, et « personne » comme l’on qualifierait quelqu’un, un être réel et perceptible. Ici c’est une chasse aux fantômes des plus fascinantes qui commence, à travers le kit complet d’un « ghost hunter » du XIXe siècle mais aussi des superbes objets rituels notamment africains ayant pour fonction de convoquer les présences invisibles, tel « Galukoji » ou accordéon divinatoire provenant du Congo.
C’est l’essence même de notre humanité : notre capacité à rendre tangible ces présences invisibles et à questionner leur fondement, leur réalité. C’est elle qui nous conduit à la pensée spirituelle, religieuse, ésotérique, voire même superstitieuse, mais toujours dans cette quête avide de présence, quand « personne » devient une « personne ».
Les affiches de l’exposition ne sont cependant pas mensongères et la robotique, jusqu’alors absente, fait son apparition dans le parcours. On apprend que c’est la théorie d’un certain roboticien japonais, Masahiro Mori, qui est à l’origine de cette exposition et de sa problématique. Cette théorie porte le doux nom de « Vallée de l’étrange » et qui matérialise, pour être schématique, un certain seuil à partir duquel une créature artificielle (ce peut-être un robot, mais aussi une sculpture, une marionette) ne suscitera plus de l’empathie, comme le ferait une réelle présence humaine, mais une forme de rejet.
La Vallée de l’étrange
Cette « vallée de l’étrange » est propre à chacun de nous, et l’exposition nous invite à nous confronter à différents objets et œuvres d’art pour en faire l’expérience. Un robot qui aura un aspect anthropomorphe extrêmement poussé, jusqu’aux expressions faciales, nous laisse en principe une profonde sensation de malaise. A l’inverse, une marionnette animée de théâtre japonais « Bunraku », justement parce qu’on en perçoit sans dissimulation les aspects humains (forme du corps, du visage, mouvement) et non humains (grossièreté des traits, ficelles), doit en principe nous tenir loin d’un sentiment de rejet. C’est au final un exercice assez difficile au fil du parcours, tant les œuvres et les objets sont d’une grande variété.
La fin de l’exposition nous emmène dans une « maison témoin » qui nous questionne sur le futur : que voulons-nous accepter ? De qui et de quoi voulons-nous nous entourer ? Comment s’attacher et à qui ? Nous côtoyons la personnification dès la plus tendre enfance : ami imaginaire, « doudou »… nous prêtons, par la relation que nous entretenons avec les objets, la charge émotionnelle que nous leur associons, des intentions presque humaines. La technologie nous entoure dans notre quotidien, jusqu’à être elle-même personnifiée ! Nos ordinateurs, nos téléphones portables ne sont-ils pas des êtres à part entière ? Quand nous interrogeons l’outil Siri sur notre iPhone et qu’il nous répond, parfois avec humour ou empathie, sommes-nous capable de faire la part des choses ?
La « Persona » c’est à la fois cet objet, cet être, cette présence ou absence à qui l’on prête un statut de personne réelle. C’est aussi, en psychologie analytique, notre capacité à organiser notre rapport en tant qu’individu avec la société. Cette exposition nous questionne, nous fait réfléchir, tant sur l’expérience du passé, celle du présent et sur l’idée que l’on se fait du futur. A travers les collections anthropologiques et les œuvres d’art, c’est une expérience sensible qui ne nous laisse pas indifférent.
PERSONA, Etrangement humain
Jusqu’au 16 novembre 2016
Mezzanine Ouest du musée du Quai Branly
37 Quai Branly, 75007 Paris
Informations pratiques www.quaibranly.fr