GOUDJI, des rives de la Mer Noire à Paris

A Nice, le musée Villa Masséna et le Cercle Bréa ont voulu saluer, à l’occasion du 80e anniversaire de l’artiste, 50 ans de création de Goudji, avec une exposition jusqu’au 19 septembre 2021, conjointement avec celle de la galerie Capazza de Nancay (jusqu'au 26 septembre). Bernard Berthod, fin connaisseur de l'oeuvre de Goudji et commissaire de l'exposition niçoise, a accepté de nous livrer les clés de l'oeuvre inclassable et singulière d'un orfèvre de notre temps, et de sa passion pour l'art liturgique.
Publié le 29 juillet 2021

Formal de Jean-Paul II, argent doré, ivoire, perles, nacre et pierres semi-précieuses, 1999 © M. Wittmer

C’est dans la capitale française que Goudji peut enfin exprimer son goût pour l’orfèvrerie, pratique interdite derrière le rideau de fer.

Né à Borjomi, en Géorgie en 1941, Goudji grandit à Batoumi sur les bords de la Mer Noire ; il est sensibilisé très jeune à l’art par sa mère. Diplômé de l’Académie des beaux-arts de Tbilissi, il quitte la Géorgie en 1962 pour s’installer à Moscou. A 23 ans, il est membre de l’Union des Artistes de l’U.R.S.S. Après avoir épousé Katherine Barsacq en 1969, il peut quitter l’Union soviétique pour Paris, en janvier 1974. C’est dans la capitale française qu’il peut enfin exprimer son goût pour l’orfèvrerie, pratique interdite derrière le rideau de fer. Il obtient la naturalisation française en 1978.

Orfèvre avant tout, il conjugue la technique de la dinanderie, qu’il a vu pratiquer dans son pays, avec l’incrustation de pierres dures dans le métal et ne travaille que les métaux précieux. L’originalité de l’œuvre de  Goudji qui signe son génie c’est l’association du métal précieux et des gemmes. Les œuvres créés par repoussage du cuivre avec incrustation d’argent, travaillées au feu ont eu un succès spectaculaire en France dans les années 1920 avec les réalisations de Jean Dunand puis celles de Claudius Linossier. Curieusement peu d’artistes ont travaillé l’argent en repoussé de cette manière et aucun n’a pensé à incruster des pierres dans le métal. Goudji a osé et il a réussi ! pour ce faire, il utilise des centaines de marteaux et de bigornes qu’il réalise lui-même à la forge, au fil des ans, selon ses besoins.

Dès l’origine, il ne veut créer que des pièces uniques sans jamais utiliser de procédés permettant l’édition ou la reproduction..

L’orfèvre restitue la technique du martelé creux, déjà connue dans l’Antiquité mais abandonnée depuis longtemps. Les parois d’un objet, martelées séparément selon une même forme, sont ensuite emboitées et soudées, laissant entre elles un vide que les Anciens emplissaient souvent de matière soufrée pour consolider l’objet.  Cette technique permet d’alléger la pièce façonnée, d’économiser de la matière mais, surtout, de pouvoir garnir une des parois d’un pavage de pierres. Dès l’origine, il ne veut créer que des pièces uniques sans jamais utiliser de procédés permettant l’édition ou la reproduction de l’œuvre à l’identique.

Ampoule à saint Chrême de Mgr Jean-Louis Bruguès, argent, serpentine, aventurine, jaspe, 2001  © M. Wittmer

Goudji crée pour commencer des bijoux, fibules et torques. Par la suite, il façonne des objets imaginaires de grande taille : canthares, rhytons, pyxides, personnages mythiques, animaux fabuleux, cervidés, zébus, nés de ses rêves. En cinquante ans, Goudji a réalisé un grand nombre de bijoux et plusieurs centaines d’objets en or, argent et pierres dures.

Il est sollicité, en 1976, pour créer et réaliser l’épée d’académicien de Félicien Marceau, ami de son beau-père ; à la suite, il crée quatorze épées d’académiciens dont celles d’Hélène Carrère d’Encausse, Gilbert Dagron, Raymond Barre et Maurice Allais. Grâce à François Mathey, directeur de l’Union des Arts décoratifs de Paris, ses œuvres sont l’objet de grandes expositions personnelles dans des galeries d’art ou des musées en France et à l’étranger. Même si la plupart des œuvres appartient à des collectionneurs privés, il s’en trouve quelques unes dans les musées : Union des Arts décoratifs de Paris, Musée Mandet de Riom, Musée Dobrée de Nantes, Musée des Arts décoratifs de Lyon, Musée du Château de Blois.

On avait presque oublié, en un temps où domine une civilisation matérielle, matérialiste, qu’aux origines de l’art, il y eut toujours la rencontre du Spirituel et du Beau, de l’art et de la foi. Goudji en revenant à cette tradition porte avec lui un message d’espérance.

« Je fais, au gré des jours et des commandes, de l’art profane ou de l’art sacré, même si cette distinction n’a pas de sens au moment où je le crée. » Matisse disait : « Quand je peins, je crois toujours en Dieu. » Goudji n’a jamais voulu distinguer catégoriquement ses œuvres profanes et ses œuvres liturgiques. Dans son processus de création, Dieu, le créateur suprême, n’est jamais loin car « Jésus est l’homme de Beauté par excellence. » Hélène Carrère d’Encausse écrit  à son sujet : « On avait presque oublié, en un temps où domine une civilisation matérielle, matérialiste, qu’aux origines de l’art, il y eut toujours la rencontre du Spirituel et du Beau, de l’art et de la foi. Goudji en revenant à cette tradition porte avec lui un message d’espérance. »

De g. à dr. : Cuve baptismale et chandelier pascal ; argent, cuivre argenté, granit gris-rose, granit rouge d’Armor, orthoceras 1986 © M. Wittmer ; Crosse de Mgr Jean-Pierre Batut, évêque de Blois ; argent, lapis-lazuli, jaspe, aventurine, 2021 © P. de Préval

A côté de nombreux objets décoratifs, il réalise depuis 1986 une importante œuvre liturgique. En 1986, il crée, dans le cadre de la biennale d’art sacré organisée à l’abbaye de l’Epau, un chandelier pascal, une aiguière et une cuve baptismale, déposés ensuite par l’Etat à Notre-Dame de Paris ; en 1987, un calice pour la célébration solennelle du festival Magnificat de Paray-le-Monial, légué à la chapelle de Ronchamp par François Mattey.

De l’objet, Goudji passe naturellement au sanctuaire, rejoignant la préoccupation des grands architectes, en particulier ceux du XIXe siècle, comme Viollet-le-Duc, qui désiraient que tout soit en harmonie, le mobilier et l’immobilier. En 1992, il se voit confié le réaménagement du sanctuaire de la cathédrale de Chartres, commandité par l’évêque Jacques Perrier et la DRAC ; cet expérience l’oriente définitivement vers l’art liturgique. Sont réalisés pour Chartres, l’autel majeur « roc de lumière », la cathèdre épiscopale et l’ambon, ainsi que le mobilier liturgique : deux croix d’autel, le calice épiscopal, un calice de concélébration ; cet ensemble est complété, en 1994, par l’encensoir et sa navette puis l’évangéliaire. En 1994, une nouvelle commande épiscopale lui vient par Mgr François Garnier, évêque de Luçon, pour la cathédrale. La même année, il réalise la crosse de Dom Jorrot, abbé de Clairvaux, celle de l’abbé de Triors, Dom Courau (1995), de Mgr Bruguès, pro-bibliothécaire archiviste de la Sainte Eglise Romaine, de Mgr Hervé Giraud, alors auxiliaire de Lyon (aujourd’hui archevêque de Sens) ; plusieurs crosses, croix pectorales et ampoules à Saint Chrème suivront.

 

Tout ce que j’ai voulu faire a, toujours, été porté par une idée : faire de sa vie un objet de contemplation, comme faire de sa contemplation un objet de vie.

Les deux premières décennies du XXIe siècle ne sont qu’une succession de commandes prestigieuses et de réaménagements de chœur de cathédrales : Cambrai, Saint-Claude, Saint-Flour (2010), Autun (2011), Le Mans (croix du transept, 2013), l’abbatiale Saint-Philibert de Tournus ainsi que la basilique Saint-Clotilde de Paris (2007), la basilique du Rosaire de Lourdes (2012), Sainte-Foy de Conques (2014). Pour la béatification de padre Pio de Pietrelcina, la sacristie pontificale lui commande un reliquaire, une croix processionnelle et deux chandeliers ; dans la foulée, l’orfèvre offre à Jean Paul II, pour l’année sainte, le marteau de la porte sainte et un formal pour le spectaculaire mantum papal créé par Stefano Zanella et réalisé par la Sartoria X REGIO. Pour les capucins de San Giovanni Rotondo, il conçoit plusieurs reliquaires, la châsse monumentale du saint padre Pio (2008), de nombreux vases sacrés et un ostensoir où il met en scène l’archange du Mont Galgano, tout proche du sanctuaire capucin.

En commentant la crèche qu’il réalise pour Noël 2019, Goudji confesse que « tout ce que j’ai voulu faire a, toujours, été porté par une idée : faire de sa vie un objet de contemplation, comme faire de sa contemplation un objet de vie. »

Bernard Berthod

Pour en savoir plus :

A Nice, Le musée Villa Masséna et le Cercle Bréa ont voulu saluer, à l’occasion du 80 ème anniversaire de l’artiste, cinquante ans de création avec l’exposition « Goudji – Le Poème de feu, 50 ans de féérie » jusqu’au 19 septembre 2021.

Un livre Goudji, le poème du feu, 50 ans de création (CLD) accompagne l’exposition ; signé par Bernard Berthod et préfacé par Michel Zink, de l’Académie française.

Toutes les informations pratiques pour visiter l’exposition du musée Masséna de Nice en cliquant ici.

Toutes les informations pratiques pour visiter l’exposition de la galerie Capazza à Nancay en cliquant ici.

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