Entretien avec François-Xavier de Boissoudy, artiste peintre

Sous les voûtes du Collège des Bernardins, François-Xavier de Boissoudy a dialogué avec Sylvie Bethmont pour Narthex.fr, autour de sa prochaine exposition qui se tiendra du 28 février au 6 avril 2024 dans l'ancienne sacristie du Collège.
Publié le 21 février 2024

S. Bethmont : François-Xavier de Boissoudy, pour accompagner notre montée vers Pâques, vous nous conviez, au sein de votre exposition dans l’ancienne sacristie du Collège des Bernardins, à une approche, non pas intellectuelle mais sensible, du mystère du salut, de l’avènement du Christ, à travers la révélation de son visage. Racontez-nous votre chemin jusqu’aux Bernardins.

François-Xavier de BoissoudyF.-X. de Boissoudy : C’est Laurent Landete, directeur du Collège des Bernardins, qui m’a proposé de travailler sur le sujet de la croix en 2022. Ainsi est née cette exposition, qui est le pivot de l’opus V des Bernardins : autour du thème de la Croix, une vaste proposition de concerts, de conférences et de projections-débats auxquels je participe. D’emblée, il m’a semblé essentiel de peindre, non pas la mort, mais la gloire. Dieu nous précède sur nos chemins, Il nous met en relation avec tout ce qui vit et aime. Il faut sortir du Golgotha.

Aux frontières du visible

S. Bethmont : Mais, comment peindre ce qui nous dépasse ? Comment peindre la gloire de la croix ? Paradoxalement vous avez choisi des matériaux humbles, lesquels ?
F.-X. de Boissoudy :  L’eau d’abord, que saint François dans son Cantique de Frère soleil, appelle « sœur, précieuse, utile, humble et chaste ». Elle se mêle à des encres et des terres. Ce sont des moyens pauvres, les « moyens du bord » en quelque sorte. Tout au long de ce travail j’ai eu les mains dans la boue colorée. Et puis, le rouge, qui sourd de l’ocre, est répandu avec l’eau, et cela évoque le sang.

S. Bethmont : L’eau, la terre rouge, cela évoque la création de l’homme, Adam « le glébeux »  (Gn 2, 6-7) : « Une source montait de la terre et irriguait toute la surface du sol. Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. » L’eau est encore présente lors de la crucifixion : les bourreaux pensaient en avoir fini avec un cadavre, mais ce sont des « fleuves d’eau vive qui jaillissent de son côté percé » (Jn 4 et Jn 19, 33-34). Les Écritures sont le socle de vos œuvres. Vous nous dites que votre travail de peintre trouve sa source dans les traces dont le visage défiguré de Jésus a imprégné le voile de Véronique, sur le chemin du Golgotha. Qu’est-ce qui autorise les images du Christ ?
F.-X. de Boissoudy : Il nous faut attester de la présence de Dieu pour nous aujourd’hui ; c’est cela l’art Sacré. Les sens se déploient lorsque l’on obéit à sa monition intérieure. Ma manière de peindre, qui me libère de la représentation, est la réponse à un appel. Peindre est alors de l’ordre de la manifestation d’une présence qui m’habite, afin que je puisse mettre ma peinture au service de la spiritualité.

Les ténèbres de l’encre, la lumière du papier

S. Bethmont : Votre travail de peintre est issu de votre propre expérience de vie. Vous dites que, dans ce processus créatif, « la lumière est figurée par l’absence de peinture ». C’est donc un suspends du geste de peintre qui figure la lumière dans vos œuvres. Alors elle sourd, de la matière colorée, dans les interstices laissés lorsque votre main se lève.
F.-X. de Boissoudy : Mais aussi le regard du spectateur prolonge l’œuvre. Par mes peintures j’invite à la rencontre, afin qu’autrui puisse faire la rencontre que moi-même j’ai faite.

La Ville ©FX de Boissoudy

LA VILLE, lavis d’encre sur papier marouflé sur toile, 210×250, 2022
© FRANCOIS-XAVIER DE BOISSOUDY

S. Bethmont : À présent, vous utilisez, le plus souvent, des papiers de grand format. Par exemple pour cette grande cartographie nommée La ville, qui est celle de Jérusalem. Au centre et en bas d’un grand « V » tracé par des taches brun-rouge évoquant les contours de la ville, surgit une forme blanche, source de lumière, « rejetée hors les murs » selon votre expression. Une trouée lumineuse, granuleuse, dont on ne sait pas trop s’il s’agit d’un crâne, car se dessinent deux yeux. Ici serait le Golgotha « le lieu du crâne ».

La ville, détail ©FX de Boissoudy

LA VILLE, détail, LAVIS D’ENCRE SUR PAPIER MAROUFLÉ SUR TOILE,
210X250, 2022 © FRANCOIS-XAVIER DE BOISSOUDY

En approchant de votre œuvre nous voyons que c’est une croix (latine) qui marque le centre de cette trouée blanche. Une croix comme pour « définir une situation géographique », selon vos mots. Mais la croix est vide, lumineuse, renversée au sol, couchée vers nous qui regardons ce paysage depuis le ciel.
F.-X. de Boissoudy : Une fois que le dessin a été lavé, qu’il a été immergé et retravaillé, que reste-t-il ? Une vibration lumineuse pour dire la Présence divine. Sylvie Germain (co-auteur du livre de mon exposition Stat Crux) affirme que ce tableau est comme un « condensé de ma série Face à face ainsi que celle qui est intitulée Visages

Peindre la crucifixion « comme une boue qui serait visitée par la lumière »

S. Bethmont : Un « face à face » c’est ainsi que vous nous présentez le mystère de la croix. Le Christ a été élevé de terre et il attire tout à lui (Jn 12, 32). Tous les hommes et les femmes autour du crucifié forment comme une danse.

Face à Face (2) ©FX de Boissoudy

Face à face (2), lavis d’encre sur papier marouflé sur toile, 250×350, 2022
© FRANCOIS-XAVIER DE BOISSOUDY

F.-X. de Boissoudy : Jésus s’est toujours laissé entourer par la foule, jusqu’à être touché. En s’incarnant il s’est mis à la hauteur de ses interlocuteurs. Pour parler de la présence du Christ dans nos vies, il m’a fallu sortir des images connues et laisser advenir des images reçues dans la prière. Pour répondre à la demande des Bernardins, à cet appel, il m’a fallu retrouver le Christ des Écritures. J’ai représenté la croix mais aussi sa généalogie biblique, le Serpent d’airain (ou de bronze), cité dans le du Livre des Nombres et par Jésus lui-même comme une figure de la croix (Nb 21 et Jn 3, 14). Ici la femme est dans la lumière et les serpents envahissent le premier plan.

Le serpent d'airain ©FX de Boissoudy

LE SERPENT D’AIRAIN, lavis d’encre sur papier marouflé sur toile,
100×125, 2022 © FRANCOIS-XAVIER DE BOISSOUDY

S. Bethmont : La lumière irradie du serpent d’airain, alors que l’homme est courbé dans l’ombre.
F.-X. de Boissoudy : Cette boue colorée que je travaille, est traversée par la lumière paradoxale de la croix. « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi » dit le Christ, puissance incarnée qui accepte, par amour, de se faire toute faiblesse (Jn 12, 32). Chacun de nous fera l’expérience de la mort , mais le Christ, en faisant cette expérience, nous épargne la souffrance en la prenant sur lui et il nous fait monter jusqu’à lui. Le monde de Dieu est celui de l’Amour, il est en nous et nous en lui. Et chacun dispose du choix de se laisser enfermer par les ténèbres ou de se dresser dans la lumière.

« Venez et voyez »

S. Bethmont : La croix demeure, ferme, dressée sur le monde. Vous dites qu’il faut regarder le monde, non avec les yeux de la chair, mais avec ceux de la foi.
F.-X. de Boissoudy : Le Christ nous relie à tout ce qui vit et aime. Mon art est celui de la rencontre, un art du face à face, et non celui du Jésus historique. Pour moi, l’art sacré est celui qui atteste la Présence de Dieu pour nous aujourd’hui. Le Christ a les bras levés sur la croix, pour nous accueillir : « Vous tous qui ployez sous le fardeau », « Venez et voyez » (Ps 65, Mt 11, 28).

Face à Face (1), détail ©FX de Boissoudy

Face à Face (1), détail, lavis d’encre sur papier marouflé
sur toile, 250×310, 2022 © François-Xavier de Boissoudy

— entretien réalisé par Sylvie Bethmont
Enseignante d’iconographie biblique à l’École cathédrale de Paris (collège des Bernardins) depuis 1999, elle est l’auteur d’une trentaine d’articles d’histoire de l’art (médiévale) et d’ouvrages de méditation et de catéchèse. Parmi ceux-ci : Le Seigneur des absides. Images du Christ dans quelques absides du IVe au XXIe siècle, éd. Parole et Silence, cahier de l’Ecole cathédrale,
n°121 et
Le livre de prière des Grands-Parents, Mame

Pour aller plus loin

L’œuvre peinte de François-Xavier de Boissoudy a fait l’objet de nombreux livres. Le dernier en date, consacré aux œuvres de son exposition Stat Crux est à paraître aux Éditions Première Partie, avec comme intervenants : Sylvie Germain, Robert Redecker, Martin Steffens, Olivier Kaeppelin, Didier Pourquery et Paule Amblard.

Mystères, livre sur les mystères du rosaire, réunissant la poésie de Natalia Trouiller et la peinture de François-Xavier de Boissoudy, préfacé par Jean-Pierre Lemaire, aux Éditions Première Partie (clic)

Que ton règne vienne, livre d’art avec les textes de Thibaud de Montaigu et Christophe Carrau, aux Éditions Conférence (clic)

Aux Éditions Corlevour (clic) :
Un chemin de croix, poèmes de Jean-Pierre Denis
Paternité, texte de Fabrice Hadjadj
Béatitude, texte de Martin Steffens
Marie, La vie d’une femme, texte de Michel-Marie Zanotti-Zorkine
Résurrection, Miséricorde, texte de François Boespflug

Vous trouverez le détail de la programmation de l’Opus V des Bernardins et les évènements qui jalonneront cette exposition, sur le site du Collège des Bernardins (clic)

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