Le XVIIe siècle était le siècle des passions violentes, des capricieux élans du cœur, des cruautés insondables de l’âme humaine, du Caravage à Nicolas Poussin. Le XVIIIe siècle ouvre la voie à de nouvelles préoccupations, déjà initiée par certains courants du siècle précédents, à l’instar des maîtres hollandais tel Vermeer. Dans la seconde moitié du siècle des Lumières, la littérature et la peinture se font le reflet d’une nouvelle vision de l’homme et de son environnement, en revalorisant les affects. La sensibilité devient la qualité première de l’âme, qui permet à l’individu de ressentir librement le monde.
La figure humaine tient évidemment une place prééminente dans cette exposition dédiée à la sensibilité, mais la nature y trouve sa place également, à travers les paysages et les natures mortes, traitées à la façon de portraits.
De l’intimité du cercle familial et de l’individu à la théâtralité de la vie mondaine
Le siècle des Lumières est synonyme d’affirmation de l’individu. Les portraits se font plus profonds et installent dorénavant les modèles dans le décor familier de leur intimité, en lien étroit avec le style néoclassique qui fleurit. Le tête-à-tête avec le spectateur devient plus sensible et insiste poétiquement sur l’importance nouvelle du sentiment. Cela est encore plus perceptible dans le cadre des portraits familiaux.
Dans l’enfant doux et sage, se dessine l’honnête homme, incarnant l’avenir de la société.
La représentation familiale de l’enfance est très codifiée jusqu’au début du XVIIIe siècle, plaçant les enfants, adultes miniatures, dans la lignée aristocratique d’une famille très large. Le XVIIIe siècle connaît une profonde mutation : une partie de la population se concentre en « familles nucléaires », constituées simplement du père, de la mère et des enfants. Ces derniers prennent une importance inédite, comme individus uniques, dorénavant choyés et doués d’une personnalité propre. Tendresses maternelle et paternelle sont indispensables au bien-être et au développement de l’enfant. Les portraits familiaux exaltent les figures maternelles nourricières et les pères précepteurs, et les liens d’affection entre parents et enfants se multiplient.
Ce sont les qualités de cœur qui sont désormais mises en valeur, l’enfant aimable est un enfant sensible, porté à l’émotion : rêverie mélancolique, ou encore câlineries fraternelles. Il ne faut pas voir, dans toutes ces nouvelles représentations d’amour, qu’une attention affectueuse et désintéressée au monde de l’enfance. Car, dans l’enfant doux et sage, se dessine l’honnête homme, incarnant l’avenir de la société. « Sitôt qu’il nait, emparez-vous de lui, et ne le quittez plus qu’il ne soit homme » écrit Rousseau (Émile ou De l’éducation, 1793). Le soin des tout-petits et l’éducation des plus grands deviennent des considérations sociale et politique.
Par ailleurs, le siècle des Lumières est une période éminemment mondaine. De nouveaux cercles, mêlant noblesse, grande bourgeoisie, mais aussi littérateurs et artistes, s’épanouissent désormais loin de la cour. Ils se plaisent à brouiller les cartes entre une illusion théâtrale s’inspirant du quotidien (le « drame bourgeois » de Diderot, Beaumarchais et Marivaux) et une réalité théâtralisée. Ce goût pour le spectacle se retrouve, en effet, dans une société se mettant elle-même en scène dans ses divertissements. Les représentations des bals, spectacles et fêtes galantes qui se multiplient en peinture, sont celles d’un quotidien à la fois vécu et fantasmé, où la part belle est faite aux déguisements et travestissements.
La nature comme objet sensible
Le paysage reste un genre mineur de la peinture au XVIIIe siècle, pourtant ce « défaut de noblesse » a priori va permettre aux peintres d’en révéler le potentiel artistique. Les peintres arpentent les campagnes et remplissent des carnets de croquis, ils reconstruisent dans l’atelier l’image d’une nature harmonieuse. Les scènes mythologiques de la peinture d’histoire sont aussi prétexte à porter une attention particulière au paysage. Les artistes s’intéressent aux phénomènes naturels (éruptions, tempêtes…) et à la furie des éléments qui se déchainent : la nature devient alors sous leur pinceau un personnage affirmant avec force son caractère et son tourment.
Les natures mortes – dont on peut déplorer l’appellation française un peu réductrice quand d’autres pays préfèrent parler plus poétiquement de « vie immobile » ou « silencieuse » (« still life » en anglais, « still leven » en néerlandais) – atteignent une sorte d’apogée au XVIIIe siècle. Le réalisme virtuose et ostentatoire de la peinture de natures mortes permet que celle-ci se dégage de la pure contrainte de l’imitation. L’une des grandes figures de ce genre pictural est Jean-Baptiste Siméon Chardin, ses tableaux exaltent la touche personnelle comme signature. Il y délaisse peu à peu tout contenu symbolique, les objets n’existant que pour l’équilibre de leurs formes et de leurs couleurs. En quelque sorte, il ouvre ainsi la voie à ses successeurs des décennies et siècles à venir : Edouard Manet, Paul Cézanne, Henri Matisse…
L’exposition du musée d’arts de Nantes est une invitation à faire une pause et se laisser toucher par la douceur et la grâce. Au milieu de l’agitation constante du monde et de la vie, une halte au cœur de la sensibilité librement exprimée est une respiration bienvenue…
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