Leyli et Majnûn de Jâmi
Cette nouvelle édition de Diane de Selliers ne déroge pas à la règle exigeante que l’éditrice s’est fixée il y a trois décennies maintenant : sélectionner un classique de la littérature universelle, lui offrir une traduction renouvelée et puiser dans une iconothèque infinie les œuvres qui permettront de l’éclairer et de se déployer.
Le classique, c’est Leyli et Majnûn de Jâmi, ce mythe romancé du XVe siècle perse qui narre une histoire d’amour fou éprouvé par Majnûn (« le fou » en persan) pour Leyli. La nouvelle traduction – quand la dernière datait du XIXe s. – est l’œuvre de Leili Anvar, professeur spécialiste de littérature persane à l’Institut national des langues et civilisations orientales, qui lui a consacré quatre années de travail. Et l’iconographie est une incroyable sélection de 180 miniatures persanes et mogholes mais aussi indiennes et ottomanes, du XIVe au XIXe s., sélection établie et commentée par l’universitaire suisse Patrick Ringgenberg et Amina Taha-Hussein Okada, conservateur en chef au musée Guimet.
Et c’est ainsi que le couple mythique formé par Leyli et Majnûn s’offre une cure de jouvence ! Ce classique de la littérature orientale, sans doute l’histoire d’amour la plus fameuse de tout l’Islam, comme Roméo et Juliette constituent le classique indiscutable de l’amour tragique en Europe, s’offre à une redécouverte. Le poète Majnûn aime passionnément Leyli. A telle enseigne qu’il lui chante publiquement son amour. Un déshonneur incroyable pour le père de la jeune fille, un crime même, et une impossibilité de contracter mariage… Atteint de démence, « le fou » quitte tout et gagne le désert. Là, il vit un amour sublimé : la beauté de sa bien-aimée sera désormais théophanie, manifestation de la beauté de Dieu.
Jâmi se réapproprie mystiquement cette légende venue des mille et une nuits des temps. Adepte de la voie soufie, il perçoit en filigrane de ce récit une recherche de la Vérité. De même que le Cantique des cantiques fait figure d’allégorie de l’amour que Dieu ressent pour Israël puis celui du Christ pour son Eglise, Jâmi perçoit que les méandres des sentiments de Majnûn évoquent ceux de l’âme à la recherche de Dieu.
Il faut bien tout le foisonnement des miniatures à la richesse envoûtante et l’abondance des ornementations dorées pour apaiser la douleur du drame (éternel) qui se joue là…
« Ils déposèrent le corps de Leyli dans l’écrin de la terre, comme on pose une perle. Ainsi, les deux amants, comme deux purs joyaux pouvaient dormir ensemble dans le lit du tombeau. Et cet espace clos qui accueillait leurs corps d’amants morts pour l’Amour devint pour tous les temps jardin où se recueillent les âmes amoureuses de tous les horizons. »
Chapitre 55
Gautier Mornas
Leyli et Majnûn de Jâmi,
illustré par les miniatures d’Orient
traduit du persan par Leili Anvar
Éditions Diane de Selliers, 2021
Un volume relié sous coffret illustré, 432 pages. 250 €