Dans les coulisses de l’exposition « Au fil du sacré. Une mode en soie » à l’abbaye royale de Fontevraud…

Narthex a demandé à Anna Leicher, conservatrice des antiquités et objets d'art, de nous faire part de son témoignage sur l'élaboration de l'exposition « Au fil du sacré. Une mode en soie » dont elle a assuré le commissariat et la 'trame' muséographique, en évoquant notamment les choix et les thématiques, la mise en valeur des pièces, la scénographie et les prêteurs. Une exposition à découvrir jusqu'au 30 janvier 2023.
Publié le 09 décembre 2022

Chasuble verte, Atelier liturgique de l’abbaye Saint-Wandrille, entre 1930 et 1945, Abbaye Saint-Wandrille © Christophe Kollmann

Le directeur artistique et culturel de l’abbaye de Fontevraud, Emmanuel Morin, souhaitait une exposition sur le thème des ornements liturgiques ayant pour fil conducteur la création. La réflexion s’est alors portée sur le type de vêtement qui répondait à ce critère et trois grandes catégories sont apparues, une quatrième pouvant y trouver sa place.

Les inventions techniques et les nouveaux motifs constituent un premier groupe qui permet de parcourir les siècles ; le second s’arrête sur la période des ateliers d’art sacré, tellement féconds en matière de création et d’innovations stylistiques ; la réutilisation des étoffes ayant eu un autre usage constitue aussi un témoignage de l’imagination des artisans et des artistes ; enfin il a semblé intéressant de se pencher sur l’exotisme apporté à partir de la fin du XVIIe siècle et dans le courant du XVIIIe en Europe, et son pendant à la fin du XIXe siècle et au XXe avec les œuvres en provenance des missions asiatiques.

De h. en b. : Antepedium aux dragons, Françoise Tchang, 1901 © musée de la Visitation, Moulins ; Chasuble verte avec inscriptions chinoises, début XXe siècle, offerte à la Visitation de Paray-le-Monial par le Père Zi (Chine) © Musée de la Visitation, Moulins

La volonté de rendre accessible cette exposition à tous – croyants, non croyants, de toutes origines, de tous les âges de la vie – a incité l’installation d’une première partie didactique dans le Grand Dortoir. L’ampleur prise au cours de l’élaboration du projet s’est traduite par une extension de l’occupation de la surface, initialement prévue sur environ 250 m², qui a doublé pour occuper la quasi-totalité du Grand Dortoir.

Dans cet espace, laissant visible la majestueuse charpente, une introduction rappelle l’importance de la conservation sur le long terme des ornements liturgiques qui alimentent la compréhension du fait religieux et qui forment un des principaux réservoirs de la connaissance des tissus à travers les siècles.

Les quatre grands thèmes sont déclinés dans des vitrines imaginées par Thomas Dellys, designer à Rennes, comme de grandes tables dans lesquelles sont creusés des présentoirs où reposent, une à une, les chasubles* et les dessins ; les objets éclairent les explications des panneaux et préparent les visiteurs à apprécier au mieux l’exposition du Noviciat. La visite du Grand Dortoir s’achève par deux statues en bois, représentant des prêtres l’un chapé, un bréviaire sous le bras, l’autre en chasuble coiffé d’un bonnet carré dont un exemplaire sous vitrine sépare les deux sculptures ; ces simples coiffures en carton couvert de feutre de laine noir et sommées d’un pompon de même matière, courant avant les années 1840, ont disparu, mangées par les mites puis jetées en raison de leur maigre valeur textile.

Le parcours de visite se poursuit dans le Noviciat, à l’extrémité sud du Grand Dortoir. Il offre un volume qui se prête à une présentation étagée, et dès le début du projet la volonté d’une dimension esthétique très forte a été privilégiée. Les quatre thèmes sont cependant respectés. La couleur noire des cimaises, l’absence de vitrines – hormis pour les petites pièces – traduit bien l’effet recherché d’une explosion de couleurs et de brillance qui surprend et émerveille le visiteur. La disposition des chasubles et dalmatiques* sur des mannequins-bustes contribue à la réflexion de la lumière pourtant soumise au règlement des 50 lux maximum. Dans le Noviciat, après les sages explications détaillées dans le Grand Dortoir, place aux émotions et à la contemplation.

Chape brodée par un atelier de Clarisses ou de Franciscaines, XVIIIe siècle, Collection de l’Association diocésaine de Lille © Gautier Deblonde

Après avoir établi des listes importantes d’œuvres conservées sur le sol français (pour faciliter les emprunts), la réflexion et l’échange avec l’équipe de Fontevraud ont présidé à la sélection définitive des chasubles et de quelques dalmatiques. Car il s’agit bien de chasubles qui ont été retenues pour des raisons de présentation. Les chapes* auraient nécessité des vitrines et des mannequins très imposants. L’évocation de la production du XXe siècle en revanche, ne pouvait pas faire l’impasse sur la forme si particulière des dalmatiques dont la parfaite géométrie s’accorde avec les dessins aniconiques des créateurs.

Chasuble réversible, 1945, Classée MH 29 mai 2012, Église de Saint-Côme-du-Mont, Carentan-les-Marais © studio Jérôme Guézou

On ne peut achever ce propos sans un mot pour les prêteurs. Les histoires d’objets révèlent souvent des histoires humaines. Les conversations téléphoniques, quelques réunions in-situ, les messages multiples très souvent encourageants auguraient de belles rencontres lors du retrait des œuvres. Les transports, nous ont emmené dans toutes les directions : de l’extrémité du Finistère au Nord, de la Manche au Tarn, en passant par le Massif Central. Dans ces endroits, parfois bien éloignés du monde trépidant des grandes villes, les gardiens de ces trésors nous ont reçu avec un enthousiasme n’ayant d’égal que leur désir de transmettre ces œuvres aux générations futures.

Anna Leicher
conservatrice des antiquités et objets d’art
commissaire de l’exposition «Au fil du sacré. Une mode en soie»

Exposition « Au fil du sacré – Une mode en soie »
Abbaye royale de Fontevraud 49590 Fontevraud-l’Abbaye

Jusqu’au 30 janvier 2023

Toutes les informations pratiques sur l’exposition « Au fil du sacré » en cliquant ici

Lexique
– Chape : En latin cappa : « capuchon », « manteau à capuchon », « cape ». Long manteau de cérémonie drapant tout le corps ; il est constitué par une pièce d’étoffe de forme semi-circulaire ; les deux pans de la chape sont maintenus sur le devant par des agrafes. La chape est utilisée aux offices solennels, en dehors de la messe ; elle est habituellement le vêtement du célébrant, mais, parfois, elle est portée par ses assistants, les « chapiers ».

– Chasuble : La casula est, dans la basse latinité, le vêtement de dessus que l’on enfile par la tête ; le mot viendrait de casa : « maison ». En effet, la chasuble, qui enveloppait complètement celui qui la portait, évoquait une maisonnette ou une tente. C’était, aux premiers siècles, un vêtement de dessus à l’usage profane ; pour les cérémonies liturgiques, une casula spéciale était utilisée. Peu à peu, elle devint le vêtement propre au clergé, sans être réservée à tel ou tel ordre : même les acolytes la portent. Ce n’est qu’assez tardivement que la chasuble devint l’ornement réservé aux évêques et aux prêtres pour la célébration de la messe.

La chasuble a retrouvé maintenant sa forme et son ampleur primitives, après avoir été réduite à la forme « boîte-à-violon » des derniers siècles ; cette dernière forme a donné lieu à de nombreux chefs-d’œuvre dans le domaine de la broderie ; elle est encore utilisée dans quelques pays, dont l’Italie.

Le prêtre reçoit la chasuble au cours de la cérémonie de son ordination, après l’onction des mains. La chasuble se met au-dessus de l’aube et de l’étole. C’est le vêtement normal du célébrant à la messe ; lors d’une concélébration, le célébrant principal, au  moins, la porte.

Revêtu de la chasuble, le prêtre « endosse » le Christ, en la personne de qui il agit.

Dalmatique : La dalmatica est un vêtement de dessus, originaire de Dalmatie (aujourd’hui partie de la Yougoslavie), dont l’usage était assez répandu dans l’Empire romain aux premières siècles de notre ère. C’est une chasuble à manches courtes mais amples ; elle est fendue en-dessous des bras.

La dalmatique est devenue, vers le IVe ou le Ve siècle, le vêtement propre des diacres, passé au-dessus de l’aube et de l’étole. Les évêques peuvent la porter au-dessous de la chasuble dans les offices pontificaux : cette coutume souligne que l’évêque est le diacre véritable, c’est-à-dire le signe sacramentel du Christ-Serviteur ; l’ordination diaconale est une participation à la mission de l’évêque et de ses collaborateurs, dans la ligne du service.

Source : Dom Robert Le Gall, Dictionnaire de Liturgie © Editions CLD – tous droits réservés

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