« Caravage à Rome » – un invité de choix au musée Jacquemart-André

A l’automne 2018, l’Institut de France et Cultuespaces organisent au musée Jacquemart-André une exposition consacrée à la période romaine du peintre Caravage (1571-1610), figure emblématique de la peinture européenne du XVIIe siècle. Dix chefs-d’œuvre de l’artiste, dont sept qui n’ont encore jamais été présentés en France, sont exposés, à la lumière d’œuvres des contemporains romains du maître.
Publié le 26 septembre 2018

Michelangelo Merisi, dit Caravage, Judith décapitant Holopherne – 1598, Huile sur toile 145 x 195 cm – Gallerie Nazionali di Arte Antica di Roma. Palazzo Barberini, Rome

Michelangelo Merisi, plus connu sous le nom du Caravage, va révolutionner la peinture italienne par son usage novateur du clair-obscur, donnant une narrativité inédite et puissante aux nombreuses scènes, principalement bibliques, qu’il a peintes et que l’exposition met en valeur. Célèbre pour ses frasques et sa vie sulfureuse, Caravage débute sa carrière à Rome avant d’être contraint de la fuir en 1606 à la suite d’une rixe mortelle. Avant cette disgrâce (partielle car des personnalités resteront fidèles à son génie et lui feront bénéficier de leur protection), Caravage est dans les bonnes grâces de deux mécènes principaux que sont le marquis Giustiniani et le cardinal Francesco Maria Del Monte, qui vont passer à l’artiste de nombreuses commandes.

L’exposition s’ouvre avec le splendide et terrible tableau de « Judith décapitant Holopherne » peint par le maître vers 1600. C’est une œuvre qui incarne à la perfection le bouleversement stylistique apporté par Caravage : mise en scène théâtrale quasi-littérale, en témoigne le lourd drapé rouge qui surplombe la scène, réalisme prégnant des gestes et des expressions (un contraste saisissant entre le visage quasi-juvénile de Judith et celui, frappé par les affres du temps de la vieille femme), maîtrise absolue du clair-obscur, tous les éléments sont réunis pour fermer le chapitre du Cinquecento italien et en ouvrir un nouveau à l’aube du XVIIe siècle. Le tableau peut également être vu comme une métaphore des « Bas-fonds »* romains, théâtre des vices et de la misère fréquenté par Caravage et ses contemporains.

Michelangelo Merisi, dit Caravage, Le Joueur de luth – 1595-1596, Huile sur toile, 94 x 119 cm / The State Hermitage Museum © The State Hermitage Museum / photo by Pavel Demidov
Bartolomeo Cavarozzi, La Douleur d’Aminte – Huile sur toile 82,5 x 106,5 cm / Private collection, courtesy Marco Voena

Les scènes violentes qui font la célébrité de Caravage n’ont pas été ses seules expérimentations artistiques. La galerie Borghèse à Rome possède par exemple deux œuvres de jeunesse que sont le Jeune Bacchus malade et le Garçon avec un panier de fruits, toutes deux datées de 1593, qui témoignent que le maître n’a pas tourné le dos, en tout cas au début de sa carrière, à un art « de cour » raffiné et léché. L’exposition propose ainsi Le joueur de luth du musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, commandé en 1596-1597 par le marquis Giustiniani. Mêlant nature morte et musique, il rejoint ainsi deux thématiques très prisées par ses contemporains également, dont les œuvres sont présentées en regard.

Michelangelo Merisi, dit Caravage, Ecce Homo – Huile sur toile, 128 x 103 cm, Genova, Musei di Strada Nuova – Palazzo Bianco © Musei di Strada Nuova, Genova

Si l’exposition fait la part belle aux œuvres de Caravage (l’Ecce Homo du Musei di Strada Nuova de Gênes ou le souper à Emmaüs de la Pinacoteca di Brera de Milan sont ceux que l’on retient tout particulièrement), son entourage est également présenté tout au long des salles. Le sous-titre de l’exposition, « Amis et ennemis », en réfère davantage d’ailleurs aux affinités et aux oppositions stylistiques et artistiques qu’aux griefs et aux amitiés personnelles, même si elles sont pour la plupart indéfectibles (et souvent pas d’une façon que l’on croirait logique). La vie tourmentée de Caravage, bien que toile de fond de tout l’œuvre du maître, ne vient pas ici voler la vedette à une magistrale démonstration de style.

PENSIONANTE DEL SARACENI, LE RENIEMENT DE SAINT PIERRE – ENTRE 1610 ET 1620, MUSÉE DU VATICAN, CITÉ DU VATICAN – PHOTO © VATICAN MUSEUMS, ALL RIGHTS RESERVED
ANNIBAL CARRACHE, L’Adoration des Bergers – 1597-1598, Orléans, Musée des Beaux-Arts, © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz

On croise ainsi les disciples du maître que sont Bartolomeo Manfredi, Jusepe de Ribera, Francesco (dit Cecco) del Caravaggio… qui ont admiré Caravage et ont contribué à répandre son style novateur, devenant les premiers « caravagesques ». Une salle consacrée aux images de la Méditation mettant en avant notamment le travail sur une figure unique – « figura sola », bien souvent un saint, reflète ces recherches convergentes. Une très belle toile de Saraceni sur Le Reniement de saint Pierre au cadrage serré en témoigne également. Dans le registre opposé, l’exposition met en relief le travail d’artistes qui ont choisi une voie radicalement différente : Annibal Carrache en est l’exemple parfait, en s’inscrivant dans une forme de continuité avec la tradition de la Renaissance.

Michelangelo Merisi, dit Caravage, Madeleine en extase dite « Madeleine Klain », vers 1606 – Huile sur toile 106,5 x 91 cm / Collection particulière, Rome

Du reste, après avoir été présenté à la lumière de ses contemporains, la dernière salle nous donne à comparer Caravage avec lui-même, réunissant pour la première fois deux Madeleine en extase issues de collections particulières. Un exercice de style (et de goût) pour le tout à chacun, qui vient clore une expérience des œuvres de Caravage particulièrement intense et rare. A ne pas manquer…

 

Toutes les informations pratiques pour visiter l’exposition en cliquant ici.

 


* En 2015 au Petit Palais s’est tenue une exposition éponyme mettant en avant la vie débridée et désinhibée de certains artistes de génie, loin des antichambres feutrées des palais romains.

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