Depuis 2002, le son du matériau fait partie intégrante du processus de création et de perception des œuvres de Bernadette Chéné. Il participe à habiter le lieu dans lequel elles s’animent. Son heure, conçue pour les combles du musée de l’Abbaye Sainte-Croix aux Sables d’Olonne, fait écho à l’histoire religieuse de l’édifice. Le dispositif des pièces en bois ponctue le cours du temps en se souvenant de la liturgie des heures vécues par les religieuses bénédictines de Poitiers, anciennes occupantes de l’Abbaye.
L’artiste explique comment elle en est venue à faire « sonner » le bois : « Ce qui me préoccupe c’est de faire sortir le son des matériaux mêmes, sur place. J’ai un souvenir de Roumanie (1973) où, nous arrêtant pour visiter un monastère, j’ai vu une religieuse qui appelait les sœurs à la prière en frappant deux morceaux de bois, je crois que c’est une tradition qui se retrouve dans le monde orthodoxe. J’avais été très émue par ces sons et je pense qu’au fond, ce projet vient de là. »
Comme pour chacune de ses œuvres, Bernadette Chéné a, une fois encore, donné un titre à son œuvre qui répond au lieu dans lequel elle prend place « à chaque exposition un lieu, et dans tous ses lieux un son…le titre nomme et ouvre, par la sonorité, le jeu, l’humour, et même parfois répond aux questions que la pièce induit ». Peut-être un secret moyen de faire apprendre à voir ?
« Beauté, simplicité, humilité : tout cela me semble aller bien ensemble, ce qui pourrait être une belle ligne de conduite à se rappeler pour tout travail ». Bernadette Chéné
Déployé tout en longueur dans la pénombre de l’espace sous charpente, l’alignement de boules en bois blanc de tremble est suspendu et relié à la charpente par des fils, régulièrement répartis en six modules entre les piliers. Visuellement, l’œuvre de Bernadette Chéné fait corps avec les contours et les obliques de la pièce, reprend le rythme régulier des chevrons-arbalétriers.
Le visiteur se meut à l’intérieur d’une véritable œuvre flottante, tel un mobile, déclenchant le léger entrechoquement des boules et par là-même les sons brefs de ces grelots de bois. Le mouvement des boules, marqué de pauses et d’hésitations, permet aux sons de se répondre d’un module à l’autre en échos désordonnés. Son heure déroute par ce clapotement indécis qui refuse toute idée d’un mécanisme régulier. Car l’artiste veut que l’œuvre puisse échapper à toute emprise, elle concentre ainsi son travail sur la possibilité de garantir l’incontrôlé, de prévoir l’imprévisible en intégrant la part de hasard nécessaire.
Ses sculptures ne sont plus des objets autonomes, clos, isolés dans l’espace mais bien plutôt des installations indissociables de l’environnement qui participe à leur élaboration et influe sur leur déroulement. Le temps à l’œuvre dans l’œuvre y joue un rôle prépondérant. » Gaëlle Rageot-Deshayes
Les sources d’inspiration de l’artiste sont multiples. D’abord sa pratique de la tapisserie et du tissage qui fera naître ses premières œuvres dans les années 80. Celle-ci lui permet d’affirmer son goût pour la répétition mais aussi sa volonté d’avancer à contresens pour dévoiler la face cachée du matériau. « Le travail de lissière est formidable, car on crée sa matière : avec des fils on fait vraiment ce que l’on veut, et aujourd’hui encore cela reste « une boîte à outils » dans un coin de ma tête. Cela n’échappera pas quand on verra l’installation Son heure.
Mais l’artiste est également très marquée par « la transformation de la sculpture opérée par les avant-gardes de la seconde moitié du XXe siècle et s’inscrit délibérément dans leur sillage », explique Gaëlle Rageot-Deshayes, actuelle conservatrice du musée de l’Abbaye Sainte-Croix. « De l’art minimal elle retient l’élément modulaire et le principe sériel ; de l’Arte Povera une attention portée à la dialectique entre la nature et la culture ; du mouvement Supports/Surfaces son dessein d’éprouver les mécanismes de la sculpture ; du Process Art son désir de s’effacer au profit du matériau. »
Enfin Bernadette Chéné est sensible au travail de nombreux artistes dans lequel elle trouve une rigueur, une force, une ampleur qui l’emmènent ailleurs, qui ouvrent des perspectives et font circuler leur énergie. Comme Louise Bourgois rencontrée à New-York dont elle aime le travail aux multiples facettes et avec laquelle il lui a paru parler le même langage. « Aux Sables d’Olonne, quand j’ai installé Son heure dans les combles, avec l’architecture le tout devenait arachnéen et je me suis dit : « On dirait du Louise Bourgois ! Dommage qu’elle ne soit plus là, je lui aurais envoyé le catalogue, je pense qu’elle aurait ri en voyant la chose… De tels artistes renouvellent le regard et enrichissent ma curiosité du monde ».
Comme toutes les œuvres de Bernadette Chéné, Son heure est une invitation à contempler, à prendre le temps. L’immersion dans l’installation permet de la laisser se dévoiler et de permettre à son jeu de correspondances de confondre nos sens. Ludique au premier abord, Son heure incite notre attention à se porter sur l’ensemble des potentialités visuelles et sonores, évidentes ou enfouies, de l’environnement. « Une œuvre ouverte qui, une fois inventée, continue à se réaliser dans les « mystères de l’instant ».
Informations pratiques
Bernadette Chéné. Son heure
Jusqu’au 17 mai 2015
Musée de l’Abbaye Sainte-Croix
Rue de Verdun
85100 Les Sables d’Olonne
02 51 32 01 16
www.lemasc.fr
Du mardi au vendredi de 14h à 18h
We et jours fériés de 11h à 13h et de 14h à 18h
Tarifs : 5€ / 3€ .