Événement

Sur un fil ou l’art de se vêtir au Moyen Âge

07
juillet
au 11 novembre 2024
Musée de Saint-Antoine-l'Abbaye
Le Noviciat
38160 Saint-Antoine-l'Abbaye
Que disent les tenues des hommes et des femmes au Moyen Âge de leur monde symbolique, spirituel et économique ? Que révèlent les œuvres d'art et objets du quotidien sur le rapport au vêtement et au corps dans l'Occident médiéval ? À travers plus de 60 œuvres d'art prêtées par des institutions françaises, cheminez au fil de cette histoire millénaire au sein d'un parcours sensible. Une exposition-événement pour lever le voile sur une autre histoire du vêtement du VIe au XVe siècle.
Couple d’amoureux, tapisserie, 15e siècle, 60×134 cm © Musée de Cluny, Paris

Au-delà des chemins parcourus par la trame de l’histoire, le corps vêtu est à la croisée des croyances, se réfère à une enveloppe individualisée ou socialement étendue. Ainsi l’assertion selon laquelle l’habit ne fait pas le moine mérite d’être nuancée dès lors que l’on aborde la question du vêtement et plus largement, l’art de se vêtir. Au-delà de toute apparence, l’acte de voiler, de vêtir, d’envelopper, de dissimuler ou bien au contraire de révéler invite à une approche anthropologique qui dépasse la seule apparence que l’on voudrait souvent trompeuse. Car dès l’origine, le vêtement, quel qu’il soit, s’inscrit dans une narration.

C’est ici tout l’enjeu de l’exposition comme de la publication qui l’accompagne. Car en effet, il ne s’agit pas de dresser un inventaire exhaustif du vestiaire médiéval, mais bien au contraire de proposer un autre regard sur les techniques, la symbolique associée aux formes et aux couleurs, les échanges commerciaux et les influences, les corporations de métiers qui, à l’aune de la littérature ont enrichi notre connaissance d’un Moyen Âge au quotidien, réel ou fantasmé.

Se vêtir embrasse plusieurs occurrences que la littérature donne à voir et à comprendre : vestir, atorner, apareiller sont autant de mots pour signifier que l’on s’habille, se prépare, se pare. Le vestement se décline en des formes multiples et infinies, souvent complexes durant tout le Moyen Âge et qui, associé à plusieurs pièces, devient le garnement enrichi de chaperons, de coiffes à atours ou d’escoffions à cornes, de ceinture tressée ou richement ouvragée, d’aumônière de fine soie brodée, de fibules ou de précieux fermaux, sans oublier les chaussures aux formes diverses et parfois exubérantes, à l’image des célèbres et non moins fantaisistes poulaines.

Tabard, Italie, début du 16e siècle, velours ciselé sur fond de satin lamé, garniture en dentelle aux fuseaux (soie, argent et fil d’or). Lyon, Musée des tissus, MT 29201.1 © Musée des tissus et des arts décoratifs de Lyon, Sylvain Pretto

Les récits bibliques ou hagiographiques comme l’ensemble du corpus littéraire associé à l’iconographie permettent d’appréhender le vêtement au sens large, sans nécessairement apporter de contenu descriptif fidèle. Il signifie, décrit, illustre un contexte, un évènement, révèle un statut social, se transforme jusqu’à incarner un style, une mode, allant même jusqu’à donner à percevoir la psychologie du personnage convoqué. Formes, couleurs ou matières donnent à voir et à comprendre les échanges commerciaux, les influences et animent les célèbres foires de Champagne ou encore de lointains comptoirs commerciaux. Vêtement combattant, tantôt cuirasse, tantôt atour de séduction ; vêtement des champs ou vêtement des villes ; vêtement de Cour ou vêtement liturgique ; vêtement de la dérision du Carnaval ou de la danse macabre ; tissus profanes qui par un transfert d’usage se muent en de précieuses reliques textiles, tous relatent une histoire de l’évolution de notre rapport au corps et à l’art de le vêtir offrant un terrain d’exploration fantastique pour le monde cinématographique.

Et comme pour mieux ancrer un propos historique dans une réflexion contemporaine, carte-blanche est donnée à Frédérick Yvan Manuel Gay, éventailliste, artiste-plasticien, lequel revisite le flabellum médiéval, une création originale poétiquement intitulée Le souffle de saint Antoine. La boucle semble bouclée !

Un voyage immersif au coeur d’un Moyen Âge sensible et tactile comme pour mieux remonter le fil d’une histoire plurielle.

 

Informations pratiques

Tous les jours sauf le mardi

Horaires d’automne (à partir de septembre) : de 14h à 18h
Ouverture exceptionnelle de 10h30 à 12h30 et de 14h à 18h le dimanche 27 octobre

Visites commentées les dimanches 1er septembre et 6 octobre à 15h, gratuit, réservation conseillée.

Visites-ateliers en famille les mercredis 24 juillet et 30 octobre à 15h, à partir de 5 ans, réservation conseillée (3,80€ par personne) : après un petit atelier de création d’éventails inspirés d’un flabellum médiéval, enfants et parents découvrent ensemble l’exposition temporaire.

 


Le musée de Saint-Antoine-l’Abbaye

Situé dans l’un des plus beaux villages de France, le musée de Saint-Antoine-l’Abbaye, propriété du Département de l’Isère depuis 1979, est installé au sein de différents bâtiments conventuels protégés au titre des Monuments historiques. L’abbaye de Saint-Antoine a été l’abbaye-mère de l’ordre hospitalier de Saint-Antoine avant d’être un bien des Hospitaliers de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem lors de la réunion des hospitaliers de Saint-Antoine avec les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Chaque saison, des expositions temporaires, spectacles et concerts sont proposés en résonance avec l’histoire du site.
Les collections du musée sont doubles : un fonds consacré au peintre Jean Vinay (1907-1978) qui est présenté régulièrement par le biais d’expositions temporaires ; une collection liée à l’histoire médiévale (histoire religieuse, histoire de la médecine et du soin) et à l’ordre aujourd’hui disparu des Hospitaliers de Saint-Antoine.
Déployé au sein de 5 lieux : le Noviciat, les Grandes et Petites écuries, le Jardin médiéval, le Logis de l’abbé et le Salon aux gypseries, le musée s’emploie à faire vivre la culture au sein de ce territoire rural à l’histoire riche et singulière. La vitalité de sa programmation attire un public nombreux.


 

Petite chronologie de l’habit médiéval

Le Moyen Âge, période longue, couvre dix siècles de l’histoire des hommes. Ce que l’on connaît des vêtements des premiers siècles est très partiel : les vêtements figurés dans les images (VIIIe-Xe siècles) sont surtout des marqueurs qui servent à identifier les personnages mais il est difficile de savoir s’ils ont été réellement portés.

Au VIIIe siècle, les structures du vêtement médiéval sont en place de manière relativement uniforme dans tout l’Occident. Il se compose alors d’un chaperon (capuche à bords larges couvrant les épaules), d’une tunique serrée par une ceinture plus ou moins large, d’un manteau en demi-lune fermé devant ou sur l’épaule et de chaussettes, puis chausses (plus hautes), parfois retenues par des bandelettes comme chez les Francs. Chez les femmes, on retrouve ces mêmes éléments de base. Les robes sont longues et les cheveux coiffés et, de manière générale, couverts d’un voile.

À partir du XIe-XIIe siècle, une nouvelle période prend forme dans tous les secteurs de la société : une plus grande stabilité politique, des conditions climatiques plus favorables, des échanges économiques élargis, de nouvelles formes architecturales avec les prémices de l’art gothique… Le nombre de personnes vivant en Europe augmente, passant de 40 à 75 millions. Certaines productions, notamment celles de la draperie de laine dont plusieurs régions font leur spécialité (Normandie, Flandre, Angleterre en particulier), se développent et s’organisent.

Le XIIe siècle connaît la généralisation, pour les hommes comme pour les femmes de la noblesse, d’un vêtement plutôt long. Puis à partir du XIIIe siècle, l’augmentation du pouvoir d’achat des bourgeois des villes les met en concurrence avec le mode de vie des nobles qui, en réaction, affichent davantage leurs richesses par la consommation de produits de luxe de plus en plus fréquents et renouvelés. Ainsi, cette surenchère réciproque serait à l’origine de l’invention de la mode au sens où on la connaît aujourd’hui.

Le phénomène va s’accentuer dans les deux derniers siècles du Moyen Âge (XIVe et XVe siècles), faisant évoluer les silhouettes de manière plus fréquente. Cela ne concerne cependant que les catégories les plus aisées de la société, plutôt urbaines. La morale chrétienne s’insurge à plusieurs reprises de ces futilités : manches évasées, traînes trop longues, coiffures trop imposantes etc.

À la fin du XIVe siècle, les houppelandes, ces robes du vestiaire masculin et féminin caractérisées par de très longues manches et exigeant des quantités indécentes de tissus précieux, distinguent les vêtements de cour du reste de la société. Puis au cours du XVe siècle, les robes à plis remplacent ces encombrantes tenues en faisant varier les silhouettes. Le vêtement féminin se perfectionne également, augmenté par exemple de coiffures parfois très excentriques inspirées de l’esthétique du gothique flamboyant.

Dans les milieux plus modestes, villageois ou habitants des villes portent des vêtements essentiellement utilitaires, réalisés dans des draps de laine grossiers et tissés localement. La couleur la plus répandue, pour les femmes comme pour les hommes, est le bleu (pers), mais d’autres couleurs sont portées. Le vêtement se tous les jours se compose ainsi de la « tunique » (sous le nom de biaudebliaude, robe, cotte-hardie, cotte pour les dames), du surcot féminin (littéralement « qui vient sur la cotte »), des chausses (de la ceinture aux chevilles), du chaperon (enveloppant la tête et le cou), complété par des bonnets et coiffes de toile ainsi que du devantier (tablier) de toile ou de cuir.

[Extrait de l’article de Sophie Jolivet, Le vêtement au Moyen Âge issu de la publication « Sur un fil ou l’art de se vêtir au Moyen Âge », Dijon : Éditions Faton, 2024]

 

La relique textile ou le vêtement miraculeux

Dès l’Antiquité tardive, on enveloppe dans de précieux tissus les corps des saints lors de leur inhumation ou lors de leur translation dans un nouveau reliquaire. Cette pratique se poursuit durant le haut Moyen Âge et les tissus communs sont peu à peu remplacés par des soieries importées d’Orient et plus tard des étoffes de fabrication italienne ou espagnole. Afin de sublimer les reliques, on choisissait les étoffes les plus somptueuses, indépendamment de leur iconographie où dominaient les thèmes profanes : animaux (lions, éléphants, oiseaux, animaux imaginaires), scènes de chasse, motifs végétaux dont l’arbre de vie persan.

Anonyme, Diptyque de Charlotte de Savoie : Nativité avec Charlotte de Savoie, 1472, huile, feuilles d’or et d’argent sur panneau de noyer, Chambéry, Musée savoisien, 2021.14.1 © Collections Musée savoisien, Solenne Paul

Parallèlement, le culte des reliques se développe en Occident et certains témoignages datant du Ve siècle font mention de l’usage prophylactique (qui prévient ou guérit la maladie) et thaumaturgique (miraculeux) des fragments de vêtement des saints. Ainsi les franges du manteau et du cilice de saint Martin de Tours ont chassé les maladies. Le manteau, un linge, ou une frange de la tenture couvrant le tombeau de saint Éloi († 660) ont opéré des guérisons. Les fragments de l’étole de saint HUbert († 727) étaient utilisés pour soulager les personnes mordues par un animal enragé jusqu’au début du XXe siècle. Grégoire de Tours évoque enfin les guérisons par les parcelles d’une étoffe qui avait enveloppé la Croix à Jérusalem ainsi que par les lanières ayant entouré la colonne de la flagellation.

[Extrait de l’article d’Edina Bozóky, Reliques textiles, reliques vestimentaires issu de la publication « Sur un fil ou l’art de se vêtir au Moyen Âge », Dijon : Éditions Faton, 2024]

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