Prophètes, c’est ainsi en effet que le sculpteur nommait lui-même ces grands personnages inspirés de ses lectures bibliques et de sa foi, personnages qu’il a sculpté toute sa vie en dehors de toute commande, pour le besoin du geste créatif, prêtant ainsi sa main à la transmutation spirituelle du bois, son matériau de prédilection. Dégrossies à la hache avant que ne soit rencontré l’équilibre et la justesse des formes, ces statues réalisées dans des troncs ou des poutres, suggèrent des figures humaines verticales, pleines d’autorité. Conçues sur plusieurs décennies, parallèlement aux œuvres destinées à divers lieux de culte emblématiques dont Notre Dame de Paris, elles envahissaient, telle une forêt de stèles, la maison de l’artiste et ses dépendances. Entreposées dans une grange après sa mort, elles renaissent aujourd’hui dans la lumière du chœur de l’abbatiale. Ces « prophètes », disposés sur plusieurs rangs qui épousent la courbe romane du chevet, se trouvent ainsi tous tournés vers l’autel où des statues de bois polychrome de plus petite taille ont été installées dans une mise en scène qui, en ce temps de Noël, fait figure de crèche. Les prophètes de Jean Touret, par cette heureuse installation, retrouvent ainsi symboliquement, dans une lecture chrétienne, leur fonction d’annonciateurs de la naissance d’un messie.
L’exposition de Fontevraud témoigne aussi de l’évolution de l’œuvre de l’artiste. Les premières sculptures aux formes pleines et douces font place à une radicalité anguleuse, dont le caractère exigeant est adouci par la beauté et la chaleur des essences du bois. D’apparence abrupte, elles interpellent notre vision souvent conformiste et si, comme l’analyse Fabrice Masson, le commissaire de l’exposition, « l’art de Jean Touret n’est pas « facile » il ne donne jamais une vision désespérée de l’Homme ». Bien que Jean Touret n’ait que rarement baptisé ses prophètes, des noms leur ont été donnés pour l’exposition, associés à des extraits de textes vétérotestamentaires, ceux dont l’artiste se nourrissait qui font écho à notre propre actualité. Malgré le caractère radical de ces prophéties et au-delà du message spécifiquement spirituel que certains pourront y trouver, les prophètes de Jean Touret proposent à tous une esthétique faite d’une beauté formelle frugale et apaisante.
Cette exposition qui présente dans le cadre grandiose du chœur de l’abbatiale une cinquantaine de statues monumentales, dans une belle scénographie sobre et lumineuse, constitue un événement exceptionnel. Grâce soit rendue à la direction culturelle de l’institution d’avoir eu le courage de la réaliser.
Le livre : « Jean Touret, Art sacré-Art prophétique »
(Texte de François Touret et Jean-Noël Hallet -AAM Editions, 264 pages, 255photos)
Une belle monographie, parue en 2022 aux Éditions de l’Amateur, a été le premier ouvrage à rendre justice à l’artiste Jean Touret dans sa multiplicité créatrice principalement profane : mobilier, peinture, arts graphiques, sculpture.
Ce nouveau livre s’attache à documenter spécifiquement son œuvre d’inspiration religieuse, pour laquelle nous avons retenu le terme convenu d’Art sacré, même si, en vérité, Jean Touret aurait préféré dire qu’il mettait humblement son art au service du Sacré. Il fallait, dans cet ouvrage, ordonner une production s’étalant sur un demi-siècle, très abondante et très diverse. Nous avons choisi de différencier, pour en clarifier la présentation, les œuvres de commande et celles que l’artiste a réalisées pour lui-même tout au long de sa carrière.
Les réalisations destinées à des églises et des chapelles ont été classées de façon chronologique en plusieurs périodes en fonction de leurs commanditaires. Elles constituent l’importante première partie de cet ouvrage.
La production artistique que Jean Touret a poursuivie jusqu’à la fin de sa vie, en dehors de toute commande, est illustrée dans une deuxième partie. Elle traite des deux grands thèmes de prédilection du sculpteur : les christs et les prophètes.
Abondamment illustré, ce livre est bien plus qu’un catalogue photographique. De nombreux témoignages y éclairent la genèse des œuvres. Ceux de Jean-Marie Lustiger en particulier, avec qui Jean Touret a entretenu une longue connivence spirituelle et esthétique, occupent une place importante. Des transcriptions d’interviews et des extraits de leur correspondance rendent compte de l’influence réciproque qu’ils auront eue l’un envers l’autre, dans leur vision de l’art au service de la foi et de la liturgie, l’artiste et le prêtre, devenu archevêque de Paris. Le dernier chapitre du livre détaille la biographie de l’artiste et des informations bibliographiques. Les sources des multiples citations y sont précisées.
Jeanne Villeneuve, Rédactrice en chef de la revue Narthex.fr