Ce livre liturgique destiné au prêtre pour célébrer la messe et comprenant l’ensemble des textes nécessaires (chants, lectures, prières) ainsi que l’indication des gestes, est un incunable ; on désigne sous ce terme (du latin incunabula : langes, berceaux) les premiers livres imprimés en Europe entre 1450 et 1501. Ce Missel imprimé à Salins en 1485 témoigne des débuts de l’imprimerie en Franche-Comté.
Son commanditaire, Charles de Neufchâtel, archevêque de Besançon depuis 1463, ne réside plus à cette époque dans son diocèse ; suite à la tentative de conquête française, il se rallie comme sa famille à la France et reçoit l’évêché de Bayeux en Normandie, où il résidera jusqu’à sa mort en 1498, tout en continuant à administrer à distance son diocèse de Besançon. Un avertissement à la suite du Propre des saints dans le Missel le montre soucieux de la formation du clergé : ce missel doit remédier au manque de missels et autres livres de liturgie devenus très rares dans le diocèse suite aux guerres ; cette impression améliore les missels antérieurs : suppression des renvois qui rendaient la lecture difficile ; ponctuation précise, en adoptant le système de Pétrarque, et articulation claire des différents textes liturgiques, en s’appuyant sur les théologiens modernes.
L’archevêque souhaite donc faire imprimer pour son diocèse des livres de prières rénovés et unifiés, sur le modèle romain. Dès 1479, il a fait imprimer à Bâle par Bernhard Richel un bréviaire in-folio (un seul exemplaire en est conservé aujourd’hui, à la bibliothèque diocésaine de Besançon), puis en 1480 un bréviaire in-octavo ; en 1484 il fait imprimer à Salins un bréviaire in-quarto, le premier livre liturgique à être imprimé dans le diocèse. En 1487-1488, il fera travailler l’imprimeur allemand Peter Metlinger, de passage à Besançon, pour l’impression d’un Ordinaire et de Statuts synodaux. Aucun imprimeur ne s’étant installé durablement en Franche-Comté, c’est vers les imprimeurs parisiens qu’il se tourne à partir de 1489 pour l’impression de deux autres bréviaires (en 1489 et 1496/1497) et d’un nouveau misselin-folio en 1497.
Le Missel est réalisé par Jean Du Pré, un imprimeur originaire de Lyon, qui travaille avec deux associés, Benoît Bigot et Claude Bodram, peut-être salinois ; leur nom est cité dans l’Avertissement (per solertes viros Johannem de Pratis Benedictum Bigot et Claudium Bodram).
Cet in-folio est imprimé sur papier, en rouge et en noir, avec de très beaux caractères gothiques, sur deux colonnes de chacune 37 lignes. Composé de 206 feuillets au total, il s’ouvre sur un calendrier de 12 pages, sans page de titre. Suivent 46 cahiers de 6, 8, 10 ou 12 feuillets ; les feuillets ne sont ni paginés ni foliotés, mais signés d’une lettre en bas à droite des premiers feuillets de chaque cahier. Le missel ne comporte aucune illustration.
L’impression en noir et rouge était longue et onéreuse, avec plusieurs solutions : passage très soigneux en une fois sous la presse du noir et du rouge ; passage en deux fois avec possibilité d’un masque ; composition des caractères en deux formes séparées. Elle permet, comme le promettait l’avertissement, de mettre en évidence les grandes articulations du texte ; ce dispositif est renforcé par une rubrication manuscrite : les grandes initiales en tête de chaque partie sont peintes en rouge et bleu, les petites initiales au début des paragraphes sont alternativement rouges et bleues.
L’exemplaire conservé à la cathédrale de Besançon, dans la bibliothèque du Chapitre, est l’un des trois exemplaires localisés à ce jour de cet incunable ; un autre, qui provient des Capucins, est conservé à la bibliothèque municipale de Besançon ; l’exemplaire des Carmes déchaux de Besançon était également conservé à la bibliothèque de Besançon, avant de rejoindre en 1879, dans le cadre d’un échange, la Bibliothèque nationale de France. L’exemplaire du Chapitre est incomplet des deux derniers cahiers (20 feuillets) et trois feuillets ont été remplacés par les 3 feuillets d’un autre missel, imprimé au XVIe siècle. Sa provenance est incertaine : il comporte de rares annotations, en français et en latin, d’une écriture fin XVe – début XVIe siècle, mais sans indication de possesseur.
La bibliothèque du Chapitre de Besançon s’est reconstituée, après la confiscation de la bibliothèque capitulaire sous la Révolution, au début du XIXe siècle sous l’impulsion de l’archevêque Claude Lecoz ; elle s’enrichit au cours de ce siècle de divers dons et achats. Le missel incunable de 1485 pourrait être entré dans les collections de la bibliothèque durant cette période, ce dont témoignent la reliure, refaite au XIXe siècle, et les diverses restaurations des feuillets en papier.
Marie-Claire Waille