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Un ciboire breton à la mode parisienne, véritable survivant du XVIIe siècle!

Le ciboire que j’ai découvert dans cette toute petite paroisse perchée sur des landes et des crêtes rocheuses est intéressant à plusieurs titres. Il est le fait d’un orfèvre d’une petite ville, sur lequel nous ne savons pratiquement rien, si ce n’est que son éloignement avec la capitale ne l’empêchait pas de se tenir au courant des modes parisiennes dans son domaine. Ce ciboire, objet meuble conservé exactement au même endroit depuis 264 ans, est sans en avoir l’air un survivant, car bien que de taille réduite la quantité de métal mise en œuvre est loin d’être négligeable (environ 800gr), et il était très aisé de le fondre sans que cela ne se voit trop afin de répondre aux injonctions du pouvoir central, tant au XVIIème qu’au XVIIIème siècle.
Publié le 13 octobre 2014

Ciboire
Argent doré
1650
H : 35cm environ ; P : 800gr environ
Paroisse du Finistère

 

Ce ciboire, en argent doré, présente une forme très classique, il se campe sur un pied au motif ajouré de feuilles d’acanthes, le nœud (partie centrale par laquelle on attrape le ciboire), fondu, est de forme balustre orné de trois têtes d’anges dos à dos de très belle ciselure, deux corolles de fleurs épanouies forment les attaches du nœud avec le pied et la coupe. La coupe et son couvercle forment une sphère parfaite. Le sommet du couvercle était orné d’une croix aujourd’hui dessoudée mais conservée.

 

 

 

L’inspiration de ce ciboire est sans conteste d’origine parisienne. Le modèle et des détails de ce ciboire se retrouvent dans les pièces d’une chapelle en vermeil aux armes de France réalisée à Paris en 1675-1676 conservée au Louvre, nous y retrouvons les feuilles d’acanthes sur les pieds, le fin cordage séparant les éléments d’une même pièce, les fleurs épanouies. Le motif des feuilles lancéolées (pouvant aussi être des feuilles d’acanthes ou des corolles de fleur) stylisées appliquées ici sur la base de la coupe et le sommet du couvercle se retrouve sur une aiguière Parisienne de 1634-1636 de la collection Jourdan-Barry.

Ciboire Paris 1675-1676 Louvre

 

Notre ciboire est cependant particulièrement attachant par sa remarquable qualité d’exécution, deux techniques sont ici utilisées, la rétreinte (travail du métal par coups de marteaux successifs afin de faire naitre le volume à partir d’un feuille de métal) et le fondu, où le modèle est d’abord sculpté en cire ou en bois, une empreinte de ce modèle est prise dans un moule en terre si le modèle était en cire, en os de seiche si le modèle était en bois. Il est probable que le nœud soit fondu à la cire perdu, alors que les feuilles d’acanthes du pied ont été réalisées une à une en les soudant entre elles après les avoir fondues dans un moule monovalve (le métal est alors coulé dans un moule à l’horizontal qui reste ouvert).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La délicatesse de détails tels les fleurs épanouies, agrémentées de graines, les fins cordages qui marquent les transitions entre les divers éléments, les feuilles lancéolées stylisées appliquées sous la coupe et sur le couvercle indiquent toute la dextérité de l’orfèvre qui fabriqua ce ciboire. Cet orfèvre maitrisait également la dorure au mercure, cette pièce fut réalisé entièrement en argent, puis l’orfèvre a dissous de l’or dans du mercure, il badigeonna la pièce de cet amalgame avant de la passer au four, le mercure étant un métal liquide à température atmosphérique, il passe à l’état gazeux dans le four, l’or reste alors sur la pièce qui parait ainsi dorée, un polissage (appelé brunissage) lui donne son éclat.

 

L’orfèvre apposa son poinçon portant ses initiales IG couronnées accompagnées d’une hermine et d’un croissant, sous le pied, c’est ce qui nous permet de remonter la piste. Il semblerait qu’il s’agisse d’un orfèvre de Saint-Pol-de-Léon dans le Finistère nord, un certain sieur de Gouélétanénez ayant travaillé au XVIIème, mais le fait que le nom de sieurie soit utilisé pour l’initiale en première position à la place du prénom est très peu probable. Le système des poinçons se perfectionnera et sera plus rigoureux au XVIIIème siècle, ce que donnera d’avantage d’informations (lieu, date, orfèvre).

 

 

L’inscription gravée sous le pied est d’un plus grand secours, elle nous permet de savoir que ce ciboire se trouve encore dans la paroisse pour laquelle il fut commandé en 1650 et de connaître le nom des deux commanditaires. Cette datation confirme la datation stylistique et montre que l’orfèvre de cette petite localité était tout à fait dans le courant artistique en vogue à cette époque.

La date de 1650 est quelque chose de rare pour une pièce d’orfèvrerie. Louis XIV ayant ordonné par deux fois des fontes en 1689 et 1709, l’orfèvrerie civile et religieuse fut donc fondue afin de pourvoir aux besoins en métaux précieux résultant notamment de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, mais les fontes des objets religieux furent moins rigoureusement suivies.

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