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Saint-Wandrille, trésors de modernité

« Les églises sont des lieux hors du temps remplis de vieilles choses », c’est là une affirmation que l’exposition "Trésors de l’abbaye de Saint-Wandrille, de l’art déco aux années 1950", visible jusqu’au 21 septembre 2014 à Elbeuf, permet de battre en brèche. En effet, si les églises, chapelles et abbayes sont bien souvent des lieux chargés d’histoire, où l’écoulement des siècles donne à voir une parcelle d’Eternité, la Foi et la spiritualité ont pris corps à chaque époque par une création contemporaine fertile.
Publié le 01 septembre 2014

Le travail des métaux précieux est surtout associé aux époques anciennes, aux pièces gothiques, Renaissances, classiques, néogothiques. Les ateliers d’art dans les abbayes sont plutôt associés à des modes de créations doux, propices à la réflexion et à la spiritualité, donc incompatibles avec la métallurgie qui est un art violent, bruyant, aux montées en température infernales et répétées.

 
© service de l’inventaire du patrimoine de Haute-Normandie

Rien ne laissait donc présumer de l’existence d’un atelier d’art liturgique contemporain donnant des modèles pour l’orfèvrerie entre les deux guerres à Saint-Wandrille. Car ce qui se passait à Saint-Wandrille n’est pas l’organisation d’un atelier de confection ou la création d’un atelier d’orfèvre avec ses bigornes (enclumes), marteaux et fours, mais plutôt un centre de réflexion sur l’art au service de la Foi et de la spiritualité.

Formes, volumes, couleurs, lumière, symbolique, esthétique et tout simplement Beauté sont les préoccupations des deux artisans de cette extraordinaire aventure créatrice, dom Paul Sironval et dom Gaston Courbet. Agés tous deux d’environ 20 ans lors de leur arrivée à Saint Wandrille, il y créèrent l’atelier d’art sacré en 1931. Ils puisent leur inspiration dans les arts de leur temps, rapprochant art profane et art sacré. La mode est à l’Art Déco, aux lignes claires, parfois courbes, le plus souvent droites, aux angles saillants et marqués.

Si l’orfèvrerie Art Déco profane est dominée par Jean Puiforcat qui triomphe à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925, l’orfèvrerie religieuse de cette période a pour créateurs, Armand Rivir, Paul Brunet, Albert Schwartz François Biais, Donat Thomasson.

L’exposition qui se tint en 1929 au Palais Galliera, « Art et mobilier religieux moderne », et celle de 1932 à Rouen « L’Art religieux moderne », sont considérées comme les points de départ d’une orfèvrerie religieuse « moderne », à l’esthétique résolument Art Déco. C’est à ces orfèvres que sera confiée l’exécution des modèles conçus à Saint Wandrille par dom Paul Sironval et dom Gaston Courbet.

La première caractéristique de ces pièces est de se « débarrasser des scories sulpiciennes », c’est-à-dire de s’affranchir de tout pastiche, de tout « Néo », les formes géométriques les plus élémentaires constituent leur répertoire : cône [ci-contre], disque, sphère, cercle, cylindre, triangle, cube.

Cela entraine la disparition de l’emploi de techniques telles que l’émail figuratif (qui réapparaitra de manière discrète après 1940 sur des pièces d’Albert Schwartz), le vermeillage intégrale des pièces n’est plus à la mode, le vermeillage sera désormais généralement réservé à l’intérieur des coupes, la ronde bosse disparait également, pour ne réapparaitre, notamment en ivoire, qu’après 1940 par le travail de Fernand Py et Roland Coignard.

Albert Schwartz, calice et patène, 1941, argent, émail et jaspe, coll. Abbaye de Saint-Wandrille © service de l’inventaire du patrimoine de Haute-Normandie

Certaines techniques disparaissent mais d’autres perdurent, en effet une grande place est accordée au travail de la main de l’artisan, même si certains matériaux sont innovants, comme la laque ou le cristal de Baccarat, le travail du métal met en œuvre les techniques traditionnelles de l’orfèvrerie, le métal est travaillé au marteau, parfois en laissant la trace du martelé pour créer un effet facetté faisant vibrer la lumière [photo ci-dessous], mais le plus souvent le métal est poli afin de mettre en valeur la pureté des formes.

Cette esthétique renouvelée passe aussi par l’emploi de matériaux qui n’avaient pas été employés précédemment en orfèvrerie religieuse (ou de manière purement ornementales), mais qui avaient déjà fait leur apparition sur des pièces d’orfèvrerie profane (par exemple les pierres dures par Jean Puiforcat), et plus généralement dans les arts décoratifs de cette époque.

Armand Rivir patène 1930-1940 argent martelé ébène émailcoll  abbaye de Saint-Wandrille

Ainsi des pierres dures aux formes simples sont employées, tel qu’une boule de jaspe pour former un nœud, un cube de marbre noir pour former un bouton de préhension, des cubes ou polygones d’onyx, des cabochons carrés d’amazonite.

Destiné à imiter les pierres, le verre est peut-être l’élément le plus innovant de cette époque de création, pâte de verre noir taillé comme une pierre dure pour représenter trois têtes de béliers, réalisé chez Daum, cône de pâte de verre de François Décorchemont enchâssé dans l’argent imitant l’ambre, cristal de Baccarat taillé en pointe de diamant, dont l’éclat n’est pas sans rappeler le cristal de roche des pièces Byzantines ou médiévales, verre de Saint-Gobain de couleur bleu verre, taillé en triangles facettés à la façon d’aigues marines.

L’objet le plus spectaculaire de cette exposition est sans conteste l’ostensoir réalisé par Armand Rivir en 1935 d’après un dessin de dom Gaston-Bernard Courbet. Sur un pied de marbre noir, cinq cercles concentriques en argent poli semblent en lévitation, tenus les uns aux autres par trente deux cabochons triangulaires de verre de Saint-Gobain.

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Armand Rivir ostensoir 1935 argent marbre noir verre de Saint-Gobain coll  abbaye de Saint-Wandrille © service de l’inventaire du patrimoine de Haute-Normandie

 

L’après-guerre marque une évolution notable dans les arts sacrés, l’orfèvrerie ne fait pas exception. D’une part, une évolution vers un certain dépouillement  par exemple par le simple jeu d’amati sur bronze allié au poli de l’argent doré sur des formes très simples et aplaties visible sur un calice d’Albert Schwartz, d’autre part une plus grande sophistication des formes, inspirée par les arts décoratifs des années 1950, ultime évolution de l’Art Déco.

Le calice réalisé par Albert Schwartz en 1950 d’après un dessin de dom Gaston-Bernard Courbet [photo ci-dessous] apparaît comme pleinement en phase avec les arts décoratifs de l’après-guerre, il met en œuvre trois élégants pieds courbes en laque encadrant une colonne de cristal de Baccarat taillée en pointes de diamant, supportant une coupe en argent doré très aplatie et beaucoup plus ouverte que sur les calices des années 1930-1940, appliquée de trois bandeaux de laques. L’emploi de la laque et le dessin de ce calice ne sont pas sans rappeler le travail de Leleu en ameublement.

Albert Schwartz calice 1950 argent doré cristal de Baccarat laque noire coll.  abbaye de Saint-Wandrille

Les ateliers d’arts sacrés n’ayant pas réussi à faire école seront supplantés dans l’après-guerre par d’autres artistes, pour certains non croyant. En orfèvrerie la création sera dominée par des ateliers produisant de manière artisanale des pièces de série.

De nos jours certains orfèvres comme Goudgi, à Paris et Roland Daraspe, à Bordeaux dessinent des pièces contemporaines d’art sacré qu’ils réalisent selon les techniques traditionnelles de l’orfèvrerie.

Informations pratiques:

Trésors de l’Abbaye Saint-Wandrille, de l’art déco aux années 1950
La Fabrique des Savoirs, Elbeuf
14 juin – 21 sept. 2014

Préparez votre visite: st-wandrille.com

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