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De la conservation des textiles

La fragilité des textiles est une réalité dont chaque responsable doit bien être conscient. C’est pourquoi il n’est sans doute pas inutile de rappeler ici les principaux dangers encourus par ce patrimoine. Vingt ans de travail dans les sacristies, en prenant en compte les problèmes de matériel et de finances des propriétaires, obligent à répéter certains conseils et à rechercher des solutions pratiques.
Publié le 21 janvier 2015

Fig.1. Détail d’une bannière : broderie sur un fond de taffetas jadis rouge – Photo: josiane pagnon

La lumière, qu’elle soit naturelle ou artificielle, détruit les couleurs des tissus ; le processus est irrémédiable (fig.1) ; il est également insidieux puisque progressif. Ce n’est pas pour rien que les fonctionnaires du patrimoine sont réticents à la création de vitrines dans les églises ; le projet n’est réalisable qu’à la condition où la vitrine est dans l’obscurité totale : vitrine plate recouverte d’un tissu opaque (Biville ou Agneaux (fig.2), dans la Manche) ou vitrine verticale accompagnée d’une minuterie de courte durée avec un éclairage d’intensité lumineuse mesurée.

Fig.2. Vitrine horizontale avec toile cirée pour la recouvrir – Photo: josiane pagnon

Le second problème vient de l’humidité dans les sacristies, surtout celles dont les murs ont été enduits au ciment qui supprime toute respiration, ou qui sont en contrebas du sol extérieur de l’église. Dans ce cas, l’alarme est donnée par l’apparition d’efflorescences blanches à la surface des étoffes (fig.3).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fig.3. Moisissures sur tout le côté droit d’une chasuble – Photo: josiane pagnon
Fig.4. Dégorgement de couleur rouge sur un drap d’argent- Photo: Marc Kérignard ©région Languedoc-Roussillon

Il est encore possible à ce stade de brosser les doublures avec une brosse douce à habit. Plus délicats sont les surfaces brodées que seuls les aspirateurs à variation de puissance des professionnels peuvent dégager. En remédiant rapidement aux mauvaises conditions climatiques, quelquefois juste en créant des possibilités de ventilation, le danger est écarté. Une humidité constante va finir par provoquer le dégorgement des couleurs entre elles, notamment la teinte des doublures sur l’endroit de la pièce (fig.4), la teinte d’une pièce sur celle rangée en dessus.

Faut-il rappeler que les ornements d’église ne se lavent pas – même les restaurateurs professionnels, en démontant les éléments et en faisant des test de lavage, arrivent rarement à faire disparaître totalement taches et auréoles d’humidité. A ce stade de dégradation par l’humidité, les couleurs ne sont plus présentes. Pour ralentir les effets de l’humidité, certains prennent le parti de laisser portes des placards et tiroirs des chasubliers entrouverts (éviter de se servir du tiroir le plus proche du sol, souvent le plus humide).

S’ajoute alors la question de la poussière et de comment s’en protéger. Sont proscrits les journaux avec le risque de dégorgement des encres, tous les plastics qui empêchent l’air de passer et donc risquent d’accélérer la condensation et la progression des moisissures. Les grands draps blancs familiaux, aujourd’hui remplacés par les draps-housses et enveloppes de couette, trouvent là un recyclage utile.

Fig. 5. Chasublier avec étagères – Photo: josiane pagnon

La grande majorité des églises est munie de chasubliers (fig.5) et il n’est pas inutile de rappeler que les chasubliers sont faits pour les chasubles ! trop souvent, sous prétexte que les ornements ne servent plus, ils ont été relégués, pliés en quatre, dans des placards, et l’on trouve toute autre chose dans les chasubliers. Trop souvent, les xylophages sont en action sur le bois du meuble. Le début de la détérioration des ornements commence avec leur mauvais rangement. Dans ces tiroirs, il est aisé de ranger les chasubles et leurs accessoires en les étalant en leur entier. Pour les inévitables plis aux épaules des chasubles ou sur les manches des dalmatiques, des boudins de papier de soie restent d’un coût très modéré, à moins que des mains habiles ne se lancent dans la confection de tous petits coussins en tissu (fig.6).

Fig.6. Petit coussin pour protéger les épaules – Photo: josiane pagnon

L’empilement de plusieurs pièces les unes sur les autres se fait aussi en prenant en compte les broderies en relief, en évitant les frottements des matériaux (fig.7) entre eux grâce à une toile intercalée entre les épaisseurs.

Fig.7. Cannetilles et feuilles de métal embouti découpé détériorés par manque de précautions – Photo: josiane pagnon

La suspension des textiles est toujours un pis aller : un textile dont les fibres n’ont pas la solidité pour résister à son poids déchire, ce qui se voit assez souvent pour les chapes en drap d’or ou les bannières (fig.8) dont les broderies sont trop lourdes pour l’étoffe support.

Fig.8. Etoffes qui se sont déchirées à cause du poids des broderies – Photo: josiane pagnon

Les chapiers à tiroirs en demi-cercle sont onéreux donc rares, mais le système avec barres horizontales pivotantes (fig.9) est plus facile à mettre en œuvre ; les chapes y sont rangées à califourchon sur les barres en désaxant légèrement les chaperons à broderies en relief.

Fig.9. Vue d’un chapier à barres horizontales pivotantes – Photo: josiane pagnon

Enfin, malgré toutes les bonnes volontés, il est essentiel de mesurer les limites du bénévole et de savoir quand l’intervention du professionnel est la seule action envisageable.

Les actions en faveur de la conservation sont particulièrement essentielles concernant les textiles ou Prévenir est de loin préférable à Guérir, d’autant que, comme on l’a vu, certaines détériorations sont définitives. Si les moyens financiers manquent dans l’immédiat, l’état d’un tissu conservé à plat, au sec et dans l’obscurité ne se dégradera pas.


Josiane Pagnon

Pour en savoir plus :

Sur un cas de politique de conservation dans un département, lire : FRANÇOIS (Nadège), « La conservation des ornements liturgiques dans les sacristies des Pyrénées-Orientales: l’exemple du “plan-objet 66” », dans Regards sur le patrimoine textile, Journées d’études de l’Association des conservateurs des antiquités et objets d’art de France [Abbaye de Belleperche, Tarn-et-Garonne, 31 mai – 1er juin 2007], Arles, Actes Sud, 2009, p. 110-118.

Sur une politique d’action de formation vers les bénévoles, lire : PENEZ (Catherine), « Former à la conservation préventive: l’expérience menée dans l’Ain », dans Regards sur les églises de France, Journées d’études de l’Association des conservateurs des antiquités et objets d’art de France [Alençon, 13-15 octobre 2005], Arles, Actes Sud, 2006, p. 87-93.

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