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Un ouvrage sur Paris et ses églises de la Belle Epoque à nos jours

Nous sommes allés à la rencontre d'Isabelle Renaud Chamska, qui a dirigé l'ouvrage "Paris et ses églises de la Belle Epoque à nos jours" tout juste paru aux éditions Picard. Elle nous parle de la richesse incroyable de cette période de plus d'un siècle, des innovations liturgiques, architecturales et artistiques, et des défis pour l'avenir. Un entretien passionnant à découvrir.
Publié le 21 décembre 2017
Narthex : Comment aborde-t-on un corpus aussi vaste que celui des églises des XXe et XXIe siècles à Paris ?

Isabelle Renaud-Chamska : Liturgiste et théologienne de formation, je me suis entourée d’historiens de l’art très compétents : Antoine Le Bas, Claire Vignes-Dumas, Isabelle Saint-Martin, Elisabeth Flory, Hélène Jantzen, Eric Lebrun. Nous nous sommes partagé le travail selon nos affinités, assez simplement. A la genèse du projet en 2012, nous avons commencé notre travail par une liste, qui a établi notre champ dans quinze des vingt arrondissements de Paris. Nous pensions dans un premier temps aborder aussi des lieux de culte non catholiques, avant de choisir de nous concentrer sur les églises et les chapelles, qui représentaient déjà un énorme travail et devait aboutir au gros livre que vous voyez.

Ce corpus était alors assez méconnu. Il est très diversifié, et il était impossible d’en faire une synthèse. Je n’aurais jamais imaginé qu’il y avait tant d’églises du XXe et XXIe siècle à Paris avant de commencer ce travail ! Nous avons recensé cinquante-neuf églises paroissiales  avec leurs chapelles annexes, et sélectionné un peu plus d’une quinzaine de chapelles privées (congrégations, hôpitaux, lycées), ce qui nous a permis d’analyser un total de soixante-quinze lieux. Il y a de telles différences d’un lieu à l’autre ! La présentation suffit  à en montrer la richesse.

J’ai eu la chance, dans cet ouvrage, de pouvoir dire ce qu’il fallait dire en tant que liturgiste et théologienne. Pour moi, on ne pouvait faire l’impasse sur ces aspects inhérents aux églises, et l’éditeur qui en était d’accord m’a suivie dans cette voie.

Saint-Luc, 1999  (Paris 19e) © Pascal Goemaere
N : Justement, quels sont les grandes tendances en liturgie aux XXe et XXIe siècles et en quoi ces tendances ont-elles impacté l’architecture et l’aménagement des églises ?

I.R.-C. : Le début du XXe siècle est déjà une période d’évolution conséquente en liturgie : en 1903 est publié le Motu Proprio de Pie X, qui lance les prémices de l’ouverture de la liturgie à la participation des fidèles. En 1905, outre la célèbre loi de séparation des Eglises et de l’Etat, c’est le début de l’ouverture à la communion fréquente des fidèles (jusqu’alors, on communiait après la messe, et les conditions étaient draconiennes), et en 1910, celle-ci s’étend aux enfants. Le XXe siècle est un siècle eucharistique !

Au partir de 1942 le pape Pie XII ouvre la voie à l’exégèse. Les chrétiens prennent lentement conscience de la place et de l’importance de la Parole dans la liturgie.  Elle est partie intégrante de la liturgie, ce n’est pas l’avant messe ! L’Eucharistie nait de la Parole, l’action de grâce nait de l’écoute de la Parole de Dieu. La Bible nous permet de comprendre comment l’Esprit est à l’œuvre dans la vie des chrétiens et dans le monde.

Il y a eu bien sûr le concile Vatican II dans les années soixante. On constate tout d’abord que les nouvelles églises construites à cette époque répondaient à une théologie de l’enfouissement, comme le grain de blé qui doit être enfoui pour germer. Pas forcément besoin d’être le plus visible ou le plus audible pour être efficace On a un exemple avec Notre-Dame des Buttes-Chaumont, une église très sombre, comme une sorte de grotte. A ce moment, quelques églises sont visibles de l’extérieur, d’autres pas du tout ; le fait qu’elles soient enfouies ne signifie pas pour autant que les lieux n’étaient pas soignés en termes de décoration, bien au contraire !
Puis dans les années quatre-vingt-dix et deux mille, on a commencé à redéployer les églises dans la ville, à faire en sorte qu’elles soient le signe de communautés vivantes et bien présentes, accueillantes.

N : Peut-on dire que Paris donne le ton en matière d’innovations de l’architecture des églises au XXe siècle ?

I.R.-C. : Il me semble que non ; toutes les églises de Paris sont intéressantes, à plus d’un titre. Malheureusement on a le sentiment que Paris n’a pas donné le ton, pour diverses raisons. Je trouve que Paris a parfois manqué de décideurs qui auraient pu et su sentir où soufflait le vent, à l’exemple des projets visionnaires qui ont abouti aux églises Saint-Joseph du Havre ou Notre-Dame du Raincy par les frères Perret. C’est aussi le cas avec le renouveau de l’art sacré, qui s’est développé davantage à Assy, Vence, Ronchamp ou Audincourt qu’à Paris. A leur décharge, il faut avoir conscience que le territoire de Paris est extrêmement compliqué, d’un point de vue administratif et urbanistique, les démarches sont longues et complexes. Je conçois totalement que ces circonstances, ajoutées à une certaine frilosité des Parisiens, aient été un frein à la créativité.

Saint-Pierre-de-Chaillot (Paris 16e) © Pascal Goemaere
N : Construira-t-on toujours des églises à Paris et quels sont les défis pour le XXIe siècle ?

I.R.-C. : Je ne crois pas qu’on arrêtera de construire des églises à un moment ; on construit sans cesse, des terrains s’ouvrent, des quartiers nouveaux se créent et renaissent depuis les quinze dernières années. C’est une tradition, l’église est un lieu de vie et pas seulement un lieu de culte ; un exemple très récent est la maison Ozanam dans le quartier des Batignolles, qui allie ces deux fonctions. Elle est à l’image de ces églises nées à partir d’un projet social, comme Notre-Dame-des-Otages, Saint-Hippolyte ou Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts  dans des quartiers où la population était très pauvre. On donne à manger aux gens, on les forme, on leur donne du travail, à côté de cela on les rassemble autour d’une liturgie commune, cela crée une authenticité du partage, et les lieux n’en sont que plus beaux.

Quant aux défis pour l’avenir, il y a encore des réflexions à mener pour arriver à ce que l’ensemble de l’église, et non pas seulement le chœur, soit reçu comme l’espace sacré. Le défi c’est de faire en sorte que les deux espaces, nef et chœur, apparaissent comme liés ; il ne faut pas oublier que chacun à sa place dans la liturgie, pas seulement le « célébrant » qui est en fait le président de l’assemblée. Car toute l’assemblée célèbre. Le théologien Jean-Yves Hameline disait que ce qui est sacré, c’est la voix des baptisés ; l’Esprit Saint est dans le peuple de Dieu. Mais je ne suis pas inquiète : Il a fallu trois cents ans pour s’approprier le Concile de Trente. Aujourd’hui nous sommes à un peu plus de cinquante ans du Concile Vatican II, et beaucoup de choses ont déjà été faites… cela prend du temps ! Un architecte comme Jean-Marie Duthilleul, qui mène une réflexion liturgique en profondeur, nous aide à avancer dans ce sens, par exemple à Saint-François de Molitor.

Sans compter que, au-delà des constructions d’églises, il a fallu et il faut toujours apprendre à composer avec l’intérieur des églises anciennes, ce n’est pas facile. On ne peut pas repousser les murs : il a bien fallu « faire avec » et trouver des solutions ingénieuses pour adapter ces lieux aux principes liturgiques initiés par Vatican II, et pas une église n’y a échappé. En somme, toutes les églises de Paris sont des églises du XXIe siècle !

 
N : Avez-vous découvert ou redécouvert une église en menant ce travail ? Quels sont vos coups de coeur ? 

I.R.-C. : Mon église préférée, que j’ai totalement découverte, est celle de Saint-Jean-Bosco dans le 20e arrondissement. Réalisées dans les années trente, cette église est étonnante par la cohérence entre l’architecture et les décors, jusqu’aux chaises de l’assemblée qui rappellent la forme à pans coupés de la voûte. Son raffinement donne une grande unité à l’espace, et cette unité entre toutes les parties de l’église est perceptible : nef, chœur, baptistère, chaire à prêcher, confessionnaux, vitaux, tout est lié, comme les parties du Corps du Christ que nous formons. Il y a là un signe théologique très fort.

SAINT-JEAN-BOSCO (PARIS 20E)  © MARC-ANTOINE MOUTERDE

J’ai redécouvert Saint-Pierre de Chaillot dans le 16e. J’ai pu percevoir le travail audacieux de l’architecte et des artistes, qui se sont essayés à des techniques nouvelles. Je suis aussi toujours émerveillée par l’église du Saint-Esprit (12e), où l’on admire le travail du grand architecte Paul Tournon, la beauté du chœur et des peintures de Maurice Denis, de George Desvallières et de beaucoup d’autres …

Je retiens surtout des visites que nous avons faites de ces églises la disponibilité des personnes qui les font vivre au quotidien, et qui exercent leur devoir d’hospitalité en accueillant les visiteurs et les touristes de passage. Ce livre voudrait leur rendre hommage et les aider dans leur activité d’accueil et d’intelligence des lieux.

Notre-Dame-des-Foyers (Paris 19e) © Pascal Goemaere

Quelle place pour les oeuvres d’art dans les églises parisiennes après Vatican II ?

La place de l’art contemporain dans les églises parisiennes après Vatican II est également abordée dans l’ouvrage, sous la plume d’Isabelle Saint-Martin, spécialiste du sujet (elle a notamment codirigé l’ouvrage « L’art actuel dans l’Eglise »). Dès après la guerre quelques années avant le concile Vatican II, les églises françaises et parisiennes se sont ouvertes à la non figuration, par exemple avec Bazaine et Manessier, dans la lignée des réflexions autour de l’abstraction et de son lien avec la transcendance au début du XXe siècle. La non figuration pénètre ainsi dans l’espace sacré des églises, en premier lieu par le biais des vitraux. Cette conception tend à faire des vitraux, non pas de simples éléments décoratifs, mais de véritables œuvres incarnées, propice à susciter l’intériorité.

Avec Vatican II vient le retour à une « noble beauté » de la liturgie et de l’espace de l’église. Pierre Buraglio, Nicolas Alquin, Georges Schneider, Pierre De Graw et d’autres artistes expérimentent de nouvelles formes de présence de l’art dans les églises. « L’exigence de la transcendance absolue a pu dans un premier temps favoriser l’aspiration au dépouillement du décor. Par la suite, une sensibilité plus grande à la perception de l’espace liturgique comme cadre de l’expérience religieuse a rendu plus attentif à la place de l’art dans le sanctuaire. »* Les défis sont nombreux pour l’avenir, pour que perdure la juste place de l’art contemporain dans les églises, comme vecteur du sens profond de la liturgie.

* I. Renaud-Chamska (dir.), Paris et ses églises de la Belle époque à nos jours, éd. Picard, Paris, 2017, p. 143.

Propos reccueillis par Laura H. pour Narthex

Ouvrage Paris et ses églises de la Belle époque à nos jours

Dirigé par Isabelle Renaud-Chamska

Editions Picard, Paris, 2017.

416 pages, illustré.

Prix : 64 euros

 

Site de l’éditeur : http://www.editions-picard.com/

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