Etape 3 : Marie debout porte le sauveur du monde
En ce XIIIe siècle, celui de l’éclosion de la dévotion mariale avec saint Bernard et les cisterciens, une autre image de la Vierge à l’enfant apparaît, celle de la Vierge Marie, la toute glorieuse, portant, debout, son enfant souverain. Notre-Dame du pilier appartient à ce groupe de sculptures, nouvelles.
Un petit rappel des voyages de la sculpture de « Notre-Dame du pilier».
Elle a été placée au portail de la Vierge, sur la façade occidentale, en remplacement d’une Vierge à l’enfant datée du XIVe siècle, a été placée entre 1818 à 1855, la statue de la « Vierge du pilier » (XIVe sc.) Elle provenait de l’église Saint-Aignan sur l’Ile de la Cité. En 1855 Eugène Viollet-el Duc l’a emmenée à l’intérieur de l’édifice. C’est la place qu’elle a retrouvé le 15 novembre 2024, « sa place en sa maison ». Elle n’est plus adossée à l’entrée d’une porte mais elle est adossée à un pilier du transept, là où depuis le XIIe siècle, était placé un autel de la Vierge.
Accompagnant les structures architecturales de soutient les sculptures des Vierges à l’enfant debout sont adossées aux trumeaux des portes des nouvelles cathédrales dédiées à Notre-Dame. Le trumeau soutient le linteau des portails, qui lui-même est le soubassement du tympan. Au portail central de la cathédrale de Paris, les scènes sculptées au Moyen Age (au tympan) ont été réunies aux sculptures du XIXe siècle. Au tympan du portail occidental, Marie est figurée assise sur le même trône que son fils qui la couronne, après son Assomption, une scène céleste de couronnement, entourée de la cour des anges (Fig. 8).
Le « oui» de Marie a inauguré la voie de la Nouvelle Alliance entre Dieu et l’humanité, les portes du Paradis sont ouvertes. Saint Irénée (Irénée de Lyon + 202), définit de façon visionnaire la Vierge Marie comme « cause du salut ». Il la nomme la « Vierge obéissante » face à Eve qui est « la vierge désobéissante ». Au Moyen Age on jouait sur l’antithèse AVE/EVA. Le Christ est le « nouvel Adam vainqueur du mal » dit saint Paul (Rm 5, 12-19).
Servant de socle à la figure de la Vierge à l’enfant par Geoffroy Dechaume (non reproduite ici), trois scènes de la Genèse sont représentées: la Création d’Eve, le Péché originel. Le serpent a la forme d’une femme à la queue de serpent évoquant Lilith, et l’expulsion du Paradis (Gn 3) (Fig. 9). Les trumeaux des autres portails de la cathédrale sont ornés également de sculptures de la Vierge à l’enfant debout.
FIG 9 : Détail de GIG.8. Socle de la Vierge à l’enfant (GN 3)
Notre Dame du Paradis
Sur la façade du bras nord du transept, dont la maîtrise d’œuvre a été confiée à l’architecte Jean de Chelles (avant 11258), s’ouvre une rose surmontant le portail d’entrée. Au trumeau de ce portail, (dit le portail du Cloître), se dresse la statue d’une Vierge à l’enfant debout, statue-colonne hiératique de celles de Notre-Dame du pilier. (Fig. 10).
Si elle n’a pas changé de place devant l’édifice, ce n’est pas le cas de Notre-Dame du Pilier dont on peut apprécier les qualités plastique très différentes. Chacune de ces deux images médiévales a pour socle, une figure maléfique : un Dragon ou un serpent, dont la genèse prédit que le lignage de la femme lui « écrasera la tête » (Gn 3, 15). La lecture des Pères de l’Eglise, à compter de saint Jérôme (IVe sc.), attribue ce verset de la Genèse, non seulement aux filles d’Eve (le lignage de la Femme), mais à la Vierge Marie, « Femme » telle que son Fils lui-même la désigne, mère de Dieu, mère de l’Eglise.
A ces lectures fait écho la sculpture de Geoffroy Dechaume (Fig. 8 et 9) devant le trumeau du portail occidental, le portail de la Vierge. Marie, est la nouvelle Eve, mère du Nouvel Adam. L’iconographie, et la dévotion, ont précédé le dogme puisque ce n’est que le 8 décembre 1854, sans qu’un concile ait été réuni, le pape Pie IX , avait promulgué le dogme de l’Immaculé conception, dans la bulle Ineffabilis Deus : « Le Dieu ineffable a élu depuis le commencement et avant les siècles pour son Fils unique et lui a destiné une mère de laquelle ayant pris chair, il naîtrait lors de la bienheureuse plénitude des temps (…) Et certes il convenait bien qu’elle resplendit toujours de l’éclat de la sainteté la plus parfaite et qu’entièrement préservée de la tâche du péché originel, elle reporta ainsi le triomphe le plus complet sur l’Antique Serpent.»
Et Benoît XVI (Angélus, 8 décembre 2009) poursuit cette lecture patristique : « Marie, nouvelle Eve exempte du péché, a rouvert la porte du Paradis. Elle est l’Immaculée Conception « qui a donné naissance à Jésus Christ qui, par son sacrifice, a vaincu une fois pour toute l’ancien tentateur »
Le Paradis est un jardin de roses
Pour prier Marie, au XIIIe siècle, la poésie, l’architecture, la sculpture vont s’inspirer de la forme parfaite de la rose découverte au cours des croisades et qui remplace la simple fleur d’églantier. Marie est ainsi chantée lors du 4e samedi de carême : « Reine de Vierges, Rose sans épines, vous êtes devenue la Mère de celui qui est Soleil et Rosée » (Prosper Guéranger, l’Année liturgique, Samedi Sitientes 446). S’égrènent les prières et les œuvres d’art chantant la Vierge Marie, rose mystique : le chapelet, le rosaire, les hymnes et les œuvres d’art qui placent Marie et son enfant dans un jardin de roses, un jardin d’amour. Aux murs des cathédrales, rayonnent les rosaces. A Notre-Dame de Paris, trois grandes rosaces rayonnent au-dessus de ces porches, dont la rose ouest est la plus ancienne et la plus belle (Fig. 11). Nous entrons par le portail central, (occidental) et nous pouvons nous retourner pour admirer sa splendeur colorée qui rayonne au-dessus de l’orgue. Au centre de cette grande fleur de verre trône la Vierge à l’enfant Sedes Sapientiae. Marie, fleur d’entre les fleurs, est la « rose mystique », qui ne porte pas « l’épine du péché ». Elle est la fleur, elle est la rose, en laquelle habite, en laquelle se repose, jour et nuit, le Saint Esprit. (Gautier de Coincy, Miracles de Nostre Dame, I Pr 1, vv. 91-93).
Les trois cercles concentriques de cette rosace, portent, en regardant de l’extérieur vers l’intérieur, les vices et les vertus par paires. Puis, au registre du milieu les douze signes du zodiaque associés aux travaux des mois. Au plus près de l’oculus central les 12 prophètes assis, trônant portant un phylactère, déjà l’annonce prophétique du salut par l’Incarnation figurait au IIe siècle dans une peinture des catacombes de Priscille à Rome.
D’hier à aujourd’hui
Cette symbolique paradisiaque ne sera jamais oubliée. Pour clore ce parcours, nous vous invitons à faire une grand saut dans le temps et l’espace et à contempler l’œuvre totale d’Henri Matisse, (Le Cateau-Cambrésis 1869- Nice 1954), qu’est la chapelle du rosaire à Vence. Sur le mur sud de la nef, rayonne une image de la Vierge à l’enfant, debout au milieu d’un jardin de roses (Fig. 12.) Matisse écrit dans un message adressé pour la bénédiction de cette Chapelle le 25 juin 1951 : (c’est) « pour moi l’aboutissement de toute une vie et la floraison d’un effort énorme, sincère et difficile. Ce n’est pas un travail que j’ai choisi mais c’est bien un travail pour lequel j’ai été choisi par le destin sur la fin de ma route .»
La seule source de couleur provient des vitraux, le reste de cette chapelle étant en noir et blanc, aux couleurs dominicaines. Matisse, qui avait réalisé des livres comme Jazz, l’évoque dans ses écrits : « comme un grand livre ouvert où les pages blanches portent les signes explicatifs de la partie musicale constituée par les vitraux. » (Henri Matisse, Écrits et propos sur l’art, éd. Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 260)
Au mur Sud, au sein d’un semis de roses, rejoignant, après bien des siècles, les graffitis de la grotte Conon (première étape de ce parcours), les trois simples lettres de la salutation angélique « AVE » sont tracées en lettres bâton. Au plus près du dépouillement ultime du dessin, Matisse a figuré la Vierge debout, tout comme son enfant, qu’elle nous présente. Jésus nous accueille les bras en croix. L’Incarnation rouvre la porte du Paradis, la croix du Christ en est le chemin, nouvel arbre de vie dont les fruits sont l’Eucharistie. On ne peut séparer Noël de Pâques. On ne peut séparer la Mère de son Fils. « Parce qu’il est midi, parce que nous sommes en ce jour d’aujourd’hui, Parce que vous êtes là pour toujours, simplement parce que vous êtes Marie, simplement parce que vous existez, Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée ! » Paul Claudel, Œuvre poétique, Poèmes de guerre, La Pléiade, Gallimard, 1957.