Etape 2 : chanter Marie
Une lente cristallisation des images a conduit à la statue de la Vierge du pilier. En voici quelques étapes.
Aux premiers temps de l’Eglise
Marie et Jésus sont liés dans la dévotion dès les premiers siècles du christianisme. Si l’on se rend à Nazareth, au sein de la basilique de l’Annonciation, les vestiges d’édifices antérieurs à la basilique byzantine ont révélé les traces de maisons datant du temps de la Sainte Famille. Deux grottes contiguës, existent toujours sous le maître autel où, depuis le IIe siècle, l’on fait mémoire de l’Annonciation.
Sur la gauche la plus petite, est connue sous le nom de grotte de Conon (diacre de Jérusalem, mort martyr en 249). Sur le mur de l’escalier conduisant à cette grotte des buissons fleuris, à deux ou trois branches, se voient encore depuis la nef de la basilique (Fig. 4).
On retrouve ces motifs peints aux murs des catacombes romaines contemporaines. Ils évoquent un lieu paradisiaque : le lieu de rafraîchissement, de lumière et de Paix.
Nous ne sommes pas encore dans le monde des images de la Vierge à l’enfant. Mais des graffitis qui accompagnent ces peintures, ont été gravés dans l’enduis frais et portent les prières des pèlerins invoquant Marie et Jésus. Par exemple : « O Jésus, Fils de Dieu, viens en aide à Génos et Elpis ». Et sur la base d’une colonne de premier édifice, sans doute judéo chrétien, une inscription est réputée être le plus ancien témoin archéologique connu d’une inscription du prénom de la Vierge : « KAIRE MARIA » (Χαιρε Μαρια) : «réjouis-toi Marie », (en latin AVE Maria). Ces paroles de la salutation angélique (Lc 1, 26-38), sont redites dans la prière du Je vous salue Marie. (Fig. 5)
Avant même toute représentation figurée, la simple dévotion populaire liait Marie et son fils Jésus, dans le mystère de l’Incarnation, de la divinité de Jésus et l’espérance du Salut. Le concile d’Éphèse (4431) a permis de définir l’union hypostatique des deux natures, humaine et divine, du Christ, ainsi que le dogme désignant la Vierge Marie comme « Théotokos » (celle qui a enfanté Dieu).
Premières images, premières figures de la Vierge à l’enfant
Les premiers témoignages figurés de la Vierge à l’enfant datent des catacombes romaines de Priscille (IIe-IIIe siècles). (Fig 6)
C’est l’image d’une maternité féconde : une femme assise allaite un bébé qui se détourne de son sein pour nous regarder. Elle est associée à un homme portant un phylactère qui désigne une étoile à huit branches. Sans doute est-ce un prophète : Isaïe, ou Balaam, dont la prophétie s’est accomplie : le Verbe s’est fait chair, il est né de la Vierge Marie.
Mais dans le premier art chrétien naît et se développe sur tous les supports possibles (sculpture, peinture, art funéraire…) une autre image de la Vierge à l’enfant (Fig. 7), celle de Marie portant Jésus recevant la visite des Mages païens venus d’Orient (Mt 2, 1-12). En un schéma immuable, ils offrent leurs présents à l’enfant assis sur les genoux de sa mère.
Aux portes de l’église Sainte-Sabine à Rome, la « maison » où ils entrent (Mt 2, 11) est signifiée par une muraille de pierres bien ajustées. Par la différence d’échelle entre les deux groupes de personnages, cette image échappe aux conventions communes à cette représentation : les Mages en procession arrivent face à la Vierge et l’enfant. Ce qui peut nous autoriser à poser un hypothèse : juchés sur un podium à six marches (venu de l’imagerie impériale) Marie et Jésus sont vus au second plan, lointains, comme un groupe sculpté posé sur un soubassement.
Une figure isolée : la Vierge à l’enfant trônant en majesté
Cette figure représentée isolée, autonome de tout récit, support d’une intense dévotion, apparaît en milieu parisien au XIIIe siècle (au temps et lieux de la création de Notre-Dame-du-pilier). Les sculptures de Marie-Eglise trône du Christ, la Sagesse incarnée, vont se multiplier tout au long du Moyen Age, jusqu’à notre époque, y compris dans les cryptes des églises de pèlerinage (« Notre-Dame-de-sous-terre »), sans parler des fameuses « Vierges noires » (qui pourraient faire l’objet d’un autre article).