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L’église Saint-Sulpice, entre spirituel et culturel

Dans le cadre de notre partenariat avec la revue "Le Monde de la Bible", notre chronique intitulée "la Bible des pierres" vous propose une redécouverte de l'église Saint-Sulpice à Paris, imposant édifice autrefois rattaché à l'ancienne abbaye Saint-Germain des Prés. Reconstruite par strates successives, Saint-Sulpice est aujourd'hui une magnifique illustration du style classique du XVIIIe siècle et la plus vaste église de la capitale, avec un riche patrimoine artistique sculpté et des décors peints au XIXe par Delacroix.
Publié le 15 mars 2022

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Façade de l’église Saint-Sulpice à Paris VIe © Wikimedia commons

Le site de l’église Saint-Sulpice à Paris

Située aujourd’hui en plein Paris, Saint-Sulpice est née, au XIIe siècle, comme paroisse suburbaine dépendant de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Laissée hors les murs par l’enceinte de Philippe-Auguste, qui fut la seule sur la rive gauche jusqu’au XVIIIe siècle et la création du mur fiscal des Fermiers généraux, son territoire s’étendait jusqu’à Vaugirard. A partir du XVIIe siècle, le faubourg Saint-Germain s’urbanise et devient le cœur de la vie dévote et aristocratique, avec une floraison de couvents et d’hôtels particuliers. L’église est alors l’un des centres de la vie spirituelle et mondaine dans un quartier devenu central dans la capitale. Une situation qui en fait un des lieux majeurs où arts, culture et foi se rencontrent sur la rive gauche.

Un peu d’histoire…

Plus vaste église de la capitale, avant même la cathédrale Notre-Dame, Saint-Sulpice était auparavant la plus grande église paroissiale de France. Fondée au XIIe siècle, elle a été reconstruite au XVIe en gothique flamboyant. Agrandie au début du XVIIe siècle, elle devient insuffisante alors que le territoire de la paroisse compte plusieurs dizaines de milliers d’habitants. C’est dans cette église que l’abbé Jean-Jacques Olier, une des grandes figures de la Réforme catholique en France prend ses fonctions de curé en 1642. Il lance la reconstruction de l’église suivant les plans de Christophe Gamard et fait poser la première pierre en 1646 par Anne d’Autriche. L’église doit abriter les paroissiens ainsi que la communauté de prêtres fondée par Olier et, pour les grandes fêtes, les séminaristes présents dans l’institution fondée également par lui. La fronde ralentit le chantier et seule la chapelle de la Vierge est entreprise. En 1661, le chantier est relancé et aboutit à l’église que nous connaissons. Elle associe un plan hérité des traditions médiévales, avec un déambulatoire, et une élévation classique. L’ambition du projet ruine la paroisse, en cessation de paiement en 1688. En 1719, le nouveau curé, Jean-Baptise Languet de Gergy relance le chantier, mobilisant ses appuis la cour et confiant à Oppenort le chantier financé par la création d’une loterie. Il orchestre de grandioses cérémonies, comme la consécration en 1745, en présence de 21 archevêques et évêques. Confiée à Jean-Nicolas Servandoni en 1732, la réalisation de la façade est achevée par Maclaurin puis Chalgrin, qui transforme la tour nord en 1777 suivant les canons de l’art néoclassique. La Révolution empêcha que la tour sud soit traitée de la même façon et l’église resta dyssymétrique.

Le style architectural

Saint-Sulpice est un modèle d’architecture religieuse française des XVIIe et XVIIIe siècles. Le parti défini par Daniel Gittard en 1661 a été conservé par Oppernord, de 1719 à 1745, pour le transept et la nef. Les proportions colossales produisent un effet de monumentalité saisissant, et les dimensions de l’église sont à l’aune de ces ambitions : 108 mètres de long sur 57 de large. A la croisée du transept, une coupole porte une décor sculpté réalisé par les frères Slodtz. Sous l’église actuelle se trouve un vaste ensemble souterrain destiné à la sépulture des paroissiens, où l’on voit les parties basses de l’ancienne église. La façade est comparable par sa hauteur et sa largeur à celle des plus grandes cathédrales, d’un remarquable style classique. Servandoni a conçu deux péristyles superposés, l’un dorique et l’autre ionique, d’une grande élégance. La dissymétrie des tours et la disparition du mur de fond du troisième niveau dès les années 1770 portant un fronton montrent l’enjeu que constitua son achèvement à la fin du siècle des Lumières.

La chapelle de la Vierge © WIKIMEDIA COMMONS

La chapelle de la Vierge

La chapelle de la Vierge est un des plus beaux ensembles architecturaux et décoratifs du XVIIIe siècle à Paris. Prévue dès les plans de Gamard, et réalisée par Gittard, elle inaugure la tradition des chapelles mariales, souvent en rotonde, dont furent dotées les églises parisiennes, telles Saint-Roch et Saint-Laurent. Son plan elliptique, avec l’autel placé dans le petit diamètre, est une réappropriation de modèles romains comme Saint-André-du-Quirinal. Véritable palimpseste, son décor est constitué de strates successives qui se fondent en un ensemble cohérent. En 1729, le curé Languet de Gergy charge Servandoni de lui donner un nouveau style. La chapelle est alors dotée deux niveaux de fenêtres, et couronnée d’une coupole peinte à fresque par François Lemoyne en 1732. On y voit Marie élevée au ciel en présence de saints et de l’abbé Olier présentant les paroissiens. En 1762, lors de l’incendie de la foire Saint-Germain, la charpente de la chapelle part en flammes. Chargé de sa restauration, Charles de Wailly, en 1774, dote la coupole d’une seconde calotte, en bois, ouverte en son centre, laissant paraître depuis le sol les parties de la fresque les moins atteintes par le feu. Au-dessus de l’autel, l’architecte réalise un édicule en encorbellement, dans lequel est placée la statue de la Vierge. Elle bénéficie ainsi d’un éclairage zénithal qui fait du lieu une des chapelles à effets du 18e siècle les plus remarquables de Paris. La statue de Jean-Baptiste Pigalle est une des plus belles œuvres religieuses de ce sculpteur. Les colonnes du retable sont des antiques provenant de Leptis Magna (Lybie), et on peut aussi voir des peintures de Carle Van Loo récemment restaurées.

Eugène Delacroix, Jacob luttant avec l’ange, chapelle des Saints-Anges, Saint-Sulpice © WIKIMEDIA COMMONS
EUGÈNE DELACROIX, Saint-Michel terrassant le démon (toile marouflée sur le plafond), 1861, chapelle des Saints-Anges, Saint-Sulpice © WIKIMEDIA COMMONS

La chapelle des Saints-Anges

Au XIXe siècle, la Ville de Paris fait réaliser, comme dans d’autres églises, un important cycle de peintures murales à Saint-Sulpice. La commande prévoyait d’attribuer une chapelle à Ingres et une autre à Delacroix, deux des plus grands artistes de l’époque. Le projet avec Ingres n’aboutit pas. Delacroix, à qui on avait confié la chapelle des Fonts baptismaux se vit finalement attribuer le thème des Saint-Anges. Il y réalisa, de 1854 à 1861, un de ses ensembles les plus remarquables. Sur le mur ouest, on peut voir la scène d’Héliodore chassé du Temple, réalisée avec un art de l’effet et de la composition spatiale remarquables. Au plafond, un saint Michel (ci-dessus) couronne l’ensemble, en tant que général des armées angéliques. Sur le mur est, la scène de Jacob luttant avec l’ange (ci-dessus, 1ère ill.) est une des plus remarquables réalisations du maître. Dans une nature luxuriante, la lutte de l’homme avec l’envoyé de Dieu est à la fois une scène biblique, une allégorie du destin et une exaltation du rapport entre la nature et le surnaturel, suivant un principe d’association typique des artistes romantiques.

Michel-Ange Slodtz, Tombeau de Jean-Baptiste Languet de Gergy, 1757 © WIKIMEDIA COMMONS

Le tombeau de Jean-Baptiste Languet de Gergy

De 1756 à 1758, Michel-Ange Slodtz réalisa le tombeau de celui qui fut curé de Saint-Sulpice de 1714 à 1748 et mena à bien l’achèvement de l’église, hormis sa façade. Frère de l’archevêque de Sens, Jean-Baptiste Languet de Gergy partagea ses vues politiques et son action contre le Jansénisme. Ayant résigné sa cure, il mourut en 1753. Son monument funéraire se situe dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste, dont Michel-Ange Slodtz avait financé le décor. L’artiste a fait le choix de représenter le mort surgi de son tombeau avec, derrière lui, un squelette en bronze aveuglé par un drapé jeté sur lui par un ange annonçant la Résurrection. Cette œuvre spectaculaire montre la volonté des sculpteurs français du milieu du XVIIIe siècle de rivaliser avec les grands modèles romains, en l’occurrence, ici, le tombeau d’Alexandre VII par le Bernin à Saint-Pierre de Rome.

Plan de l’Église Saint-Sulpice, 1901, Paul Joanne (1847-1922) © Wikimedia commons

L’actualité de l’édifice

Saint-Sulpice est depuis plusieurs siècles l’un des centres de la vie spirituelle parisienne. Après l’incendie de Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019, l’église est devenue le lieu où se déroulent les grandes cérémonies du diocèse de Paris, en particulier les ordinations, ainsi que les hommages nationaux, comme celui rendu à Jacques Chirac le 30 septembre 2019. L’édifice est également marqué par sa vie culturelle intense. Celle-ci est liée, en particulier, au rayonnement de ses grandes orgues, chef d’œuvre d’Aristide Cavaillé-Coll installé en 1862 dans le buffet monumental, de vingt mètres de haut, réalisé par Chalgrin en 1781. D’importants travaux ont été menés par la Ville de Paris comme la restauration de la tour nord de 2000 à 2011, dont les parties hautes furent démontées et remontées après avoir été renforcées. En 2015, ce sont les peintures murales de Delacroix qui ont été restaurées. Ces actions devraient être suivies par de nouvelles interventions sur les peintures murales du XIXe siècle. Les aménagements liturgiques sont actuellement repensés afin d’être adaptés aux cérémonies qui se déroulent à Saint-Sulpice, tout en veillant à la qualité des éléments qui y sont installés, tel le nouveau tabernacle de l’arrière-chœur installé en juin 2021 et œuvre de l’artiste Jivko.

La Source

Alors les maçons posèrent les fondations du temple du Seigneur, tandis que prenaient place les prêtres revêtus de leurs ornements, avec les trompettes, puis les lévites, fils d’Asaph, avec les cymbales, afin de louer le Seigneur selon les indications de David, roi d’Israël.

Ils louaient le Seigneur et lui rendaient grâce, en chantant : « Il est bon, éternel est son amour pour Israël. » Tout le peuple faisait de grandes ovations en louant le Seigneur, à cause de la fondation de la Maison du Seigneur.

Beaucoup de prêtres, de lévites et de chefs de famille parmi les plus âgés, qui avaient vu la première maison, pleuraient à chaudes larmes, tandis que sous leurs yeux on posait les fondations de cette maison-ci. Mais beaucoup élevaient la voix en joyeuses ovations.

Le peuple ne pouvait distinguer entre le bruit des ovations joyeuses et le bruit des pleurs. Le peuple faisait de grandes ovations dont le bruit s’entendait de très loin.

Esdras III, 10-13 (source AELF)

Mathieu Lours
Historien de l’architecture

Eglise Saint-Sulpice
2, rue Palatine
75006 Paris
01 46 33 21 78

Pour aller plus loin
À lire :
Mathieu Lours, Saint-Sulpice, l’église du Grand siècle, Paris, éd. Picard, 2014.
De pierre et de cœur, l’église Saint-Sulpice, 350 ans d’histoire, collectif, Paris, éd. du Cerf, 1996.

Cet article a été rédigé dans le cadre du partenariat établi entre Narthex et la revue papier Le Monde de la Bible. Il a été publié dans le numéro 238 – septembre-novembre 2021. Cette revue trimestrielle a confié à Narthex le soin de nourrir la rubrique « La Bible des pierres » depuis décembre 2015. → Retrouvez tous les articles issus de cette collaboration.

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