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Un site à la croisée de quatre provinces
C’est en venant de l’est ou du nord qu’il faut aborder la ville de Langres (Haute-Marne) : la ceinture de ses remparts rappelle sa longue histoire, celle d’une cité convoitée au carrefour des antiques voies romaines de Trèves à Dijon et de Troyes à Besançon. Langres est une ville de Marche où se joignent quatre provinces : la Franche-Comté, la Lorraine, la Champagne et la Bourgogne. La cathédrale Saint-Mammès peut paraître bien vaste pour une ville aujourd’hui modeste : il faut se rappeler que Langres fut jusqu’au 18ème siècle le siège d’un évêché très important, englobant de vastes parties des diocèses actuels de Dijon et de Troyes sous sa juridiction. Deux des abbayes filles-ainées de Cîteaux, Clairvaux et Morimond, étaient installées sur son territoire.
Un peu d’histoire…
Une cathédrale est l’église-mère d’un diocèse : elle est le siège du pasteur, l’évêque, dont la cathèdre est le signe ; c’est là que se rassemblent les diocésains pour les grandes célébrations. Mais elle en est aussi d’une certaine manière la fille : elle nous en raconte l’histoire à travers son architecture et les œuvres d’art qu’elle abrite.
A l’exception de la façade occidentale élevée de 1761 à 1768 sur les plans de l’architecte parisien Claude-Louis d’Aviler, la cathédrale de Langres date pour l’essentiel du XIIe siècle. Elle est représentative d’une double transition : stylistique entre le roman et le gothique, géographique entre Bourgogne et Île-de-France par la Champagne. En cheminant du chœur vers la nef, on constate une simplification de l’ornementation presque jusqu’au dépouillement ; sans doute peut-on y voir l’influence de l’évêque de ce temps, Geoffroy de la Roche-Vanneau, ancien moine de Cîteaux, compagnon de Saint-Bernard, qui a participé aux fondations de Clairvaux et de Fontenay près de Montbard.
La statuaire et les monuments votifs qui meublent la cathédrale rappellent quelques figures qui ont marqué l’histoire du diocèse et parfois de l’Eglise de France. Dans la belle chapelle Sainte-Croix au bas du côté nord, se trouve le buste de Mgr Pierre-Louis Parisis évêque de Langres de 1834 à 1851, qui fut un apôtre résolu du passage de la liturgie gallicane (propre à chaque diocèse) à la liturgie romaine commune à toute l’Eglise.
On peut évoquer aussi l’abbé Nicolas Couturier – qui a laissé son nom avec son frère à la rue qui longe le flanc nord de la cathédrale – organiste du Grand Orgue, directeur de la Maîtrise, auteur d’une œuvre musicale estimable.
Le style architectural
La cathédrale de Langres est le modèle du monument dit « de transition ». Les élévations de la nef, du transept et du chœur sont de type roman bourguignon ; ils comportent les trois étages habituels : grandes arcades, triforium et fenêtres hautes. Une belle voûte dite en cul-de-four couronne le chœur, comme à Paray-le-Monial ou à La Charité-sur-Loire. Chaque travée est ponctuée par des pilastres (cannelés dans le chœur, non ornés dans la nef) sommés de chapiteaux comme dans la nef de la cathédrale d’Autun. Un riche décor souligne voûtes et corniches, surtout dans le chœur.
Par contre la couverture de l’ensemble est typiquement gothique selon le modèle de ce qui se développait en Île-de-France : croisées d’ogives et arcs doubleaux allègent les murs. C’est la première fois qu’un architecte a utilisé ce mode de couverture dans cette région de France. Malgré cela, les fenêtres restent assez étroites, maintenant l’ensemble dans une lumière douce qui plonge ce bel espace dans une apaisante pénombre.
La tapisserie de la vie de Saint-Mammès
Au fond du transept nord est accrochée une belle tapisserie du XVIe siècle qui nous raconte la vie de Saint-Mammès. Cette tapisserie fait partie d’un ensemble de trois : la deuxième se trouve dans la cathédrale, la troisième est au musée du Louvre. Les reliques de ce martyr de Cappadoce (IIIe siècle) seraient arrivées miraculeusement à Langres vers le VIIIe siècle. Saint-Mammès est alors devenu le saint patron de la cathédrale et du diocèse à la place de Saint-Jean l’Evangéliste.
La scène centrale de cette tapisserie – Saint-Mammès prêche l’Evangile aux bêtes sauvages – est entourée de scènes complémentaires : au fond à gauche, le saint trait les bêtes et confectionne des fromages, au centre il reçoit la visite d’un ange, à droite il nourrit les pauvres sous les colonnes d’un temple.
En vis-à-vis au fond du transept sud est exposée la tapisserie du martyre de Saint-Mammès au milieu des flammes, soutenu par des anges.
La chapelle rayonnante qui entoure le déambulatoire la plus au nord abrite une autre représentation de Saint-Mammès sous la forme d’un jeune berger qui montre le ciel de sa main droite et le rouleau des Evangiles de sa main gauche, un lion paisiblement assis à ses pieds. On doit cette statue du début du XIXe siècle au sculpteur Antoine-Henri Bertrand.
Enfin, un bas-relief du XVIe siècle dans le déambulatoire côté sud raconte la translation des reliques de Saint-Mammès à Langres. On y admire une des plus anciennes représentations de la ville et de ses remparts.
La résurrection de Lazare
Dans la chapelle Saint-Mammès, on peut aussi admirer un intéressant haut-relief polychrome du XVIe siècle représentant la résurrection de Lazare. Ce haut-relief faisait probablement partie d’un retable et est originaire de l’abbaye de Clairvaux.
Construit sur la forme d’un grand V, il suit fidèlement le texte évangélique (Jean 11). La branche gauche du grand V est occupée par les juifs dont certains se bouchent le nez. Marthe et Marie, les sœurs du défunt les précèdent. Marie est à genoux en prière, Marthe debout devait porter les flacons rituels. La branche droite du V est celle des Apôtres qui suivent le Christ. Lazare se trouve au cœur du V, seul personnage non peint. Il sort du tombeau, le regard mystérieux de celui qui revient à la vie. Un personnage barbu est agenouillé, contemplant ce mystère : est-ce une préfiguration visuelle de la scène du tombeau vide au matin de Pâques comme la rapporte Jean au chapitre 20 ?
Un ange fait le lien entre le ciel et la terre.
Le grand orgue
La cathédrale de Langres conserve de nombreux vestiges de l’abbaye de Morimond située à une quarantaine de kilomètres, aujourd’hui disparue : les stalles, les grilles du chœur (admirable travail de ferronnerie), et l’orgue de tribune dont l’histoire n’est pas banale. La partie centrale des deux buffets date de 1715. Elargi en 1788, le grand buffet s’enrichit de deux ailes cintrées à droite et à gauche. En 1791, l’abbaye est mise en vente
avec tout ce qu’elle contient. L’évêque de Langres rachète le grand orgue en 1791. Il dormira sous bâches pendant les évènements révolutionnaires, la cathédrale devenue magasin à fourrages. Ce n’est qu’en 1801 qu’il bénéficiera de la première de ses nombreuses restaurations, agrémentées de vicissitudes diverses comme l’explosion d’une poudrière en contrebas de la ville. Aujourd’hui, cet instrument permet l’interprétation d’un vaste répertoire : des auditions y sont proposées chaque dimanche des mois de juillet et août.
L’actualité du monument
La cathédrale de Langres vient de faire l’objet d’une campagne d’entretien et de restauration concernant les chapelles rayonnantes du chevet et la toiture. En 1999 déjà, une partie de la toiture avait subi d’importants travaux pour reconstituer la belle couverture bourguignonne en tuiles vernissées. Seul le chœur n’avait pas été traité : c’est désormais toute la cathédrale qui offre au regard son merveilleux toit de couleur. Les travaux récents ont également concerné l’étanchéité, toujours à surveiller dans cette contrée généreusement arrosée. Une nouvelle tranche de travaux est prévue dès l’année prochaine, concernant la façade cette fois-ci : principalement sont au programme les perpétuelles questions d’étanchéité.
Une visite sur le site de l’abbaye de Morimond peut être un intéressant complément qui permette de saisir l’importance de la cathédrale de Langres, riche de tant de souvenirs de ce monastère pratiquement disparu. Situé à une quarantaine de kilomètres en direction des Vosges, le site de Morimond est typique des premiers monastères cisterciens : au fond d‘un vallon, irrigué suffisamment par le « Flambard », court affluent de la Meuse, pour que la vie d’une communauté y soit possible. Depuis 2003 y ont été entreprises des fouilles qui ont permis de mettre au jour des fondations, des éléments sculptés, des vestiges divers qui révèlent des influences lorraines et champenoises. Le site, qui a célébré en 2017 le 900ème anniversaire de sa fondation, est ouvert chaque été. (abbaye-morimond.org)
La Source
En vérité, le Seigneur est en ce lieu ! Et je ne le savais pas… Que ce lieu est redoutable ! C’est vraiment la maison de Dieu, la porte du ciel !
Genèse 28, 16-17
De quel amour sont aimées tes demeures,
Seigneur, Dieu de l’univers…
Heureux les habitants de ta maison :
ils pourront te chanter encore.
Psaume 83, 2-5
Beaucoup de juifs étaient venus réconforter Marthe et Marie au sujet de leur frère… Jésus dit : « Enlevez la pierre ». Marthe, la sœur du défunt, lui dit : « Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là »… On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je le savais bien que tu m’exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. » Après cela il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Et le mort sortit.
Jean 11, 19-43 (AELF)
Emmanuel Bellanger
Pour aller plus loin
La cathédrale Saint-Mammès de Langres par David Covelli. Editions du patrimoine 2001.
Cathédrale Saint-Mammès
4 Place Jeanne Mance, 52200 Langres
Office du tourisme : 03 25 87 67 67 – info@tourisme-langres.com – www.tourisme-langres.com
Cet article a été rédigé dans le cadre du partenariat établi entre Narthex et la revue papier Le Monde de la Bible. Il a été publié dans le numéro 234 – septembre-novembre 2020. Cette revue trimestrielle a confié à Narthex le soin de nourrir la rubrique « La Bible des pierres » depuis décembre 2015. → Retrouvez tous les articles issus de cette collaboration.