Traversant l’église, en visite nocturne (2) rapide, mon œil est interpellé dans la continuité architecturale des chapelles latérales, par un dispositif en rupture : d’agencement, de couleur, de vacuité.

Nichée entre deux chapelles latérales, témoins de leur époque, cette chapelle (3) tranche, d’entrée de jeu, par son traitement vertical. Sobre, moderne. De même nature que ses voisines, elle répond, à sa façon, dans cet espace alloué, de louange rendue et nous accueille dans une orientation, une incorporation latérale, intime et commune avec celle, plus familière, en assemblée.

Créant un « espace autre » à double titre : en tant que chapelle dédiée à la dévotion du Bienheureux et en tant que lieu de prière, individuel, en retrait, séparé mais pas coupé. Relié, ouvert, invitant à plus vaste, à « élargir l’espace de sa tente4», le temps d’un aparté, en Église. « Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau », écho à notre place eucharistique. Ici, une autre place, vacante où tout interpelle, invite silencieusement. Risquer
son corps dans un « Me voici », hors liturgie, en espace et temps de prière personnelle, en perspective communautaire, toujours. Prendre part, en prenant [sa] place.
Tenue en respect par le lieu, je me tiens à distance sur un banc de la nef. Je l’observe et, ce faisant, lui ouvrant ma porte, c’est elle qui m’accueille de l’intérieur, m’appelle.

Sur 1/3 tiers du mur, une couleur bleue homogène. Une console, tablette de bois, accrochée au mur telle une excroissance, supporte un caisson en 3 parties. Pleines en ses deux extrémités et évidée en son centre, sertie par une vitre. Sous le verre, se distingue une « pierre noire », une relique. Supportée, enchâssée dans le bois tout en s’offrant dans une nudité désarmante.
Une bande blanche peinte au sol, part du bas, à l’aplomb du mur de la console dans une trajectoire, prenant la tangente du mur adjacent, reliant le mur opposé dans une oblique. Trait d’union efficace, en droite ligne.


Sur le 2ème pan, central, dans l’axe vertical de séparation, entre le bleu et le blanc, un cadre rectangulaire vient s’insérer, à cheval sur le fond bleu et blanc. Ce cadre est en fait une incrustation d’une plaque de métal. La légère démarcation du mur opère comme une « Marie-Louise » offrant un relief en positif. Un négatif, en vérité, enfoncé. À l’intérieur, le « buste » du Bienheureux fr Jean-Joseph. Lataste, en N&B. « L’apôtre des prisons ». Le corps édifié par un récit de vie partiel, son œuvre, sa spiritualité. Corps de chair, corps spirituel re-liés. L’écrit se révèle en figure géométrique ajustée et incorporée. Pierre d’achoppement visible, « pierre angulaire », tenant le tout. Constitutive de son être, son socle en vérité.
Parole édifiant le temple, animant toute une existence.
Parole débordant le corps. Son cœur, en son corps.
Le traitement argenté offre luminosité, intemporalité avec justesse et à la différence du doré, pour la sainteté.

À l’aplomb de ce cadre, en décalage et calé sur la ligne de séparation des couleurs, une 2ème console rehaussée d’un plateau en métal, un lumignon brille d’une vive flamme. Puis à droite, une 3ème console en vis-à-vis de la relique. Console qui s’avère être un siège, à hauteur du vivant, assise en attente. À sa gauche, incrustée elle aussi dans le mur, une plaque sombre. 13ème station du chemin de Croix : « Jésus, descendu de la Croix, est remis à sa Mère ». Ce que « vise », relie sans indication de sens, la bande blanche au sol faisant le lien entre la relique du Bienheureux, remis à l’église et le Corps du Christ remis à Marie. « Église, ma Mère ».


Ne résistant plus, je m’assoie sur ce siège vacant, qui soudain m’incorpore. Je me retrouve « enchâssée », en dialogue silencieux, mais non sans voix. Me sentant « prise à partie ». Insérée mais pas enfermée dans cet espace ceint, à clôture ouverte. Mes pieds touchant sol, reliée au monde des vivants. Assise stable de mon être, dans sa droiture. Portée pour envisager mon existence, en vis-à-vis de ma propre finitude par la relique et au contact glacial de la pierre du mur auquel je m’adosse. Contact ressenti comme en rappel à l’ordre : entre vie et mort.
Bleu du ciel qui n’aura qu’un temps, ici-bas. Blanc de l’à-venir infini, où vacille cette flamme fragile et vive. La relique est aussi en étroite connexion de couleur avec la station du chemin de croix. De « même nature », elle fait office de « memento mori » et nous renvoie à nous-même, corps vivant en ce lieu de souvenir, de prière, d’actualisation, d’envoi.
In-finie douceur au sein d’une grande efficacité. Justesse livrée en toute simplicité. Un « sacré » travail de mise en œuvre, « l’air de rien ». Christique : chacun peut passer à côté, sans le voir, le recevoir, le rencontrer.
Dans cette invitation, l’espace ouvre un écart de temps, laisse affleurer ce qui se dit dans cet antre. Seule la lumière vive, dansante me rappelle à cet insaisissable, maintenant en vérité. Après ce passage, la place sera libre, à nouveau. Ici, est envisagée la présence de mon propre corps, celui de mon frère, celui du Christ. Un vide tel le maillon manquant à l’équation in-visible. Prendre place, pour former [le] Corps. Ne pas sous-estimer ce mouvement d’être, profonde interaction sensible, spirituelle. « En actes et en vérité (5)». Un point d’arrivée comme un point de départ. « Aller de commencement en commencement (6)».

Tenir ici séance, en audience silencieuse, où résonne avec force l’expression noble simplicité (SC 34 (7)). Moment de respiration où reprendre pied dans une assise. Lieu du cœur à cœur, officiant dans un corps à corps, où nous sommes interpellés en profondeur, « des profondeurs (8)» :
« Éveille-toi, Ô toi qui dors,
Relève-toi d’entre les morts,
Et le Christ t’illuminera ! (9)»
Aude VIOT COSTER