Sur le célèbre boulevard Haussmann à Paris est un square un peu particulier. On y trouve en effet un oratoire au nom intrigant : la Chapelle expiatoire ; celle-ci fut en effet érigée à la demande du roi Louis XVIII en 1814, à l’emplacement de la sépulture de Louis XVI et Marie-Antoinette depuis leur exécution en 1793. Il s’agissait de raviver la mémoire de la famille royale après la Révolution, et l’architecte Pierre François Léonard Fontaine, chargé de la construction de cette chapelle, fit de ce lieu d’histoire un modèle de style néoclassique.
Le langage du pli
C’est donc dans ce lieu harmonieux et intimiste que Simone Pheulpin, lauréate du Prix Le Créateur de la Fondation Ateliers d’Art de France 2015, installe ses œuvres surprenantes.
Surprenantes en premier lieu par leur matériau : au premier regard, le visiteur est surpris par ces sculptures de formes minérales et végétales qui auraient été taillées dans la pierre. C’est en s’approchant des œuvres en question que la lumière se fait : cette matière d’un blanc cassé, façonnée minutieusement, est en fait du tissu ! La deuxième surprise, qui découle de la première, c’est l’incroyable technique de Simone Pheulpin. Armée de bandes de coton brut et d’épingles soigneusement camouflées, l’artiste fait surgir de ses mains ces volumes admirables, inspirés de la nature.
Le plus surprenant est sans doute que Simone Pheulpin, d’une grande simplicité et d’une humilité touchante, travaille ses volumes à la perfection, sans dessin préparatoire ni maquette. Dans la nature, elle photographie les formes qui l’inspirent, par la suite son imagination et sa maîtrise technique autodidacte suffisent à donner corps à ces sculptures véritablement originales. Le langage de Simone Pheulpin est le langage du pli.
Patience et précision
Tels les ornements soigneux de l’intérieur de la Chapelle expiatoire, les sculptures de Simone Pheulpin sont autant de témoignages d’une grande exigence et d’une précision rare. L’artiste réfute le hasard dans l’aboutissement de ses formes ; tout est prévu à l’avance… sauf peut-être quand le matériau lui-même, ce tissu brut, non décati, parfois revêche, impose son propre chemin. Les incidents de parcours ainsi créés surgissent de la lutte entre le matériau et l’artiste, les résistances et les cessions de chacun.
Tout artisan ou artiste peut le dire, la précision exige de la patience, et Simone Pheulpin n’y fait pas exception. Si ses pièces parviennent si bien à simuler tour à tour la pierre, le bois, la mousse, le coquillage, c’est parce qu’elles exigent un temps de travail considérable, allant de quelques semaines à plusieurs mois.
Une indéniable force se dégage des sculptures de Simone Pheulpin, comme un triomphe de la forme sur la matière. Pourtant, une grande fragilité réside dans le détail des innombrables plis qu’aucune colle ou qu’aucun vernis ne vient figer. Un ensemble de radiographies de plusieurs pièces donnent à voir l’insoupçonnable : le squelette des milliers d’épingles, invisibles sans la technique d’imagerie, qui réussit le tour de force de maintenir toutes ces longueurs de tissus en cohérence. Après la poétique de la matière et de la nature offerte par les sculptures de Simone Pheulpin, ces radiographies font écho à une poétique de la nature humaine : sous les formes esthétiques et les infinies facettes de nos personnalités se cachent les épines, comme autant d’épreuves ou de douleurs, parfois dissimulées, témoins de nos fragilités autant que de nos forces, créant cette cohésion profonde entre l’apparence et l’intériorité.