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Les passages de Pascal Convert

L'art de Pascal Convert ne s'identifie pas au premier coup d'oeil. Pas de style repérable comme une signature, pas de répétition d'un séduisant procédé. On ne pourra ici présenter que quelques jalons sur un chemin de création artistique très pertinent au regard de tout chercheur de Vérité.
Publié le 17 janvier 2011

Par deux fois son travail a longuement arrêté mon exploration d’expositions. Par deux fois son nom figurait sur le cartel de l’œuvre qui m’avait ainsi plongé dans une observation vite transformée en méditation peuplée de nombreuses interrogations.

Quatre cloisons pleines, sans ouverture, délimitent un espace carré, impénétrable au regard. Je l’imagine à ciel ouvert. Sur ces cloisons blanches, des surfaces d’un noir intense, rectangulaires ou rappelant la forme de lambris. La disposition de certaines peut évoquer des portes-fenêtres, l’emplacement d’une cheminée et une porte. Ces lambris, normalement à l’intérieur d’un appartement, sont donc ici à l’extérieur. Je regarde l’extérieur : nous sommes dans la grande cour des écuries du château de Tanlay, fermée par des bâtiments modestes aux toits de vieilles tuiles. La construction de Pascal Convert se dresse au centre de la pelouse.

Appartement de l’artiste, 1990. Marmorite noire (6mm), bois peint, 3,5m /4,5m /5,5m. Vue de l’installation à la Villa Médicis. ©pascal convert

Par conséquent, l’appartement de l’artiste se situerait à l’extérieur de cet intérieur inaccessible. Et l’espace autour constituerait l’œuvre. Plusieurs «pièces» de Pascal Convert portent ce titre depuis 1987 où un petit salon de son appartement, référence réelle, va subir non seulement de nombreux «relevés» — résumés dessinés — mais aussi l’égalisation des surfaces par une même qualité de matière ou de vide.

La transparence des vitres est remplacée par de la marmorite noire au même titre que les surfaces dessinées par les lambris. En 1992, exécuté en moulures blanches, le relevé des quatre cloisons superposées sera déposé au sol. Cet art du relevé, Pascal Convert le poussera jusqu’au travail de l’empreinte.

Monumental, ce bas-relief de cire blanche est en creux. Seuls les jeux d’ombre et de lumière révèlent la figure. Voici l’empreinte d’un bas-relief exécuté numériquement à partir d’une photo célèbre de Georges Mérillon, primée photo de l’année par la Fondation World Press en 1991 et intitulée : «Veillée funèbre au Kosovo», mais souvent nommée : «La Pietà du Kosovo». Pietà, terme du lexique cultuel, sujet religieux proprement catholique représentant la Vierge et le Christ mort. La cire blanche semble appartenir au même registre religieux à moins qu’elle ne renvoie à la sculpture en bronze et à sa technique des tirages en cire perdue…

La Pietà du Kosovo, cire, résine et cuivre, (2,24 x 2,78 x 0,40 m.), 1999 – 2000 ©pascal convert

La photo est accessible sur le petit dépliant mis à disposition du public. Beau cliché. «Trop beau pour être honnête ?» Cette photo de reportage a pour mission d’informer, mais informer n’est-ce pas chercher à contrôler ce qu’il faut croire ? L’information est ici troublée par la composition et la qualité de la lumière très «picturale». La photographie semble quitter sa fonction correcte de reportage pour celle d’une œuvre d’art magnifique où je reconnais, un instant séduit, une Pietà de la peinture classique. La violence s’y retrouve apprivoisée par la référence culturelle.

L’œuvre d’art n’a pour mission ni d’informer, ni d’apprivoiser. En faire un document, même culturel, c’est désamorcer son impact artistique, sa puissance de résistance, d’inquiétude et d’émotion de la pensée. Pascal Convert active cette puissance en s’éloignant davantage de la représentation de la réalité événementielle, de la figuration qu’il emprunte. Par l’empreinte, il creuse l’écart comme le travail négateur du temps qui creuse des fissures et des rides, dépouille la mémoire et amoindrit les corps. L’empreinte inverse en négatif, la gauche à droite et le plein en creux. Mais la photo n’est-elle pas déjà une surface empreinte de la lumière dans l’ombre d’une chambre noire ?

En passant de la surface au volume, le flou des mains de la photo qui manifeste le mouvement dans l’événement saisi autrefois, là-bas, se retrouve ici figé, précisément circonscrit par la rétention du cuivre. Par l’espace réel de perception qui n’admet pas d’imprécision. Les mains forment des trouées dans le monument et le traversent de part en part. Poussant à l’excès le travail d’évidement de la figure en creux. Rythme déconcertant de ces taches de ténèbres dans la cire immaculée. Passage, évasion possible de cette figure, de toute figure, par les mains qui actualisent, réalisent, accomplissent ?

Par l’épreuve sculptée d’une épreuve photographique, nous voici nous-mêmes éprouvés. Une irréductible étrangeté contre la trop correcte familiarité de l’information.

Mais c’est L’appartement de l’artiste qui me revient en mémoire. S’il n’y avait qu’une seule pièce (d’habitation), on dirait l’atelier ou la chambre, «la chambre où l’on peint» comme au XVIIe siècle. Or, il y en a bien deux. Celle que je devine et celle dont les parois sont visibles, relevées, déposées, encore relevées, retournées et donc détournées : tout un art !

S’offrant aux regards, elle s’approprie l’espace du monde comme lui appartenant, comme appartement : son «intérieur» est l’extérieur commun. Mais il a fallu que leur extérieur se replie sur lui-même : l’espace du monde ne pourrait-il devenir oeuvre d’art que par ce repli, cet enclos central, cet espace à part, ouvert à la verticale seulement, passage entre terre et ciel, comme un cloître, invisible et aveugle, ignoré et ignorant… Cet extérieur devenu intérieur est désormais interdit, privé, séparé (sacré ?). Je ne peux que l’imaginer dans ma propre intériorité, là où s’enfantent, entre ciel et terre, un dialogue de lumière et d’obscurité, un échange de désir, et mes images et ma pensée : ma pensée en images. Celle de Georges Didi-Huberman1, sa «fable», cultivée, pertinente, semble réaliser avec Pascal Convert le même compagnonnage et la même tension que Gilles Deleuze entretient avec l’œuvre de Francis Bacon2, quand la philosophie se pratique comme art et l’art comme philosophie. Elle rappelle que l’œuvre d’art s’adresse à la pensée comme le conte de Stéphane Mallarmé, «s’adresse à l’Intelligence du lecteur qui met les choses en scène elle-même.»3

 

Entre «relevé» et «déposition», entre figure et réalité, le travail inspiré de Pascal Convert accueille en creux notre pensée croyante et accompagne son passage vers de riches ramifications en terre nourricière, en ciel et en réalité dans notre espace contemporain.

gauche: Appartement de l’artiste, 1987. Vue de l’installation dans l’appartement de l’artiste, Bordeaux. ©pascal convert
droite: Appartement de l’artiste, 1990. Marmorite noire (6mm), bois peint, 3,5m /4,5m /5,5m. Vue de l’installation à la Villa Médicis. ©pascal convert

P. Michel Brière, Aumônier des Beaux-arts et de l’École du Louvre (Paris)

Pascal Convert, né en 1957, vit et travaille à Biarritz.

Article extrait de la revue Chroniques d’art sacré, n°68, hiver 2001, p2-4
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Notes :

1) Georges Didi-Huberman, La demeure, la souche, apparentements de l’artiste, Fables du lieu, les éditions de minuit, Paris, 1999. Magistrale réflexion en forme de «fable» sur le travail de l’artiste.

2) Gilles Deleuze, Francis Bacon, Logique de la sensation, coll. La Vue le texte, éditions de La Différence, 1981.

3) Stéphane Mallarmé, Igitur ou la folie d’Elbehnon, Nrf, Gallimard, Paris, 1925, p.33, cité par G.D-H, op.cit. p.17.

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