Lors de cette dernière journée des Itinéraires de la création, nous nous rendons à Saint-Cloud à la rencontre du jeune artiste Samuel Yal. Il nous accueille chaleureusement malgré l’étroitesse de son atelier, et nous découvrons une exposition improvisée dans le garage attenant. L’occasion de pénétrer dans le monde onirique et vibrant de ses œuvres en trois dimensions…
Samuel Yal est un artiste touche-à-tout : peinture, dessin, sculpture, modelage, vidéo, il a expérimenté bien des techniques et elles cohabitent encore dans ses créations les plus récentes. Les œuvres qu’il nous montre dans l’ombre de son garage sont des sculptures : il y a tout d’abord cet étrange masque suspendu au mur. C’est un exemplaire de sa série « Impressions » : à partir d’un visage humain moulé, l’artiste s’est employé à modeler des épines qui hérissent toute la surface du masque. A la manière dont il travaille et contraint la porcelaine, il parvient à nous faire oublier à quel point c’est un matériau fragile et délicat. Ce n’est plus tout à fait un visage qui nous fait face mais un entre-deux, matérialisé par ces pointes hérissées, un espace impalpable qui n’est plus tout à fait le corps d’une personne, mais qui l’entoure en permanence et définit une limite à ne pas franchir.
L’artiste s’intéresse aux limites justement, limites du corps, limites du temps et de l’espace, limites techniques de la matière. Ce qu’il recherche c’est la vibration, le mouvement, l’énergie impalpable qui surgit d’une forme a priori immobile. Il nous explique sa démarche de manière limpide et assurée, à peine déconcentré par le projecteur qui décide de flancher, imprévisible aléa du direct. C’est dans la seule clarté matinale que nous contemplons un autoportrait à peine plus grand qu’une tête d’épingle, obtenu par la répétition d’un procédé de réduction, jusqu’à obtenir une œuvre au bout de ses limites.
La métamorphose de la matière, dans ses limites mais aussi dans ses nombreuses opportunités, chère à l’artiste, nous la retrouvons dans les œuvres « Présence » et « Eclat ».
La première est un moulage à partir d’une matière première étonnante : le pain. Samuel Yal nous explique que la cuisson de celui-ci dans un moule en forme de visage laisse toujours une part d’inconnu ; lors de la cuisson, tous les espaces n’auront pas été remplis uniformément, de même que seules certaines parties pourront être brûlées et d’autres non. L’artiste accepte que le matériau puisse lui résister et quelque part, s’exprimer par lui-même.
La deuxième œuvre illustre le même principe : l’aimant et le fer vont interagir, malgré toutes les façons dont l’artiste essaiera d’interagir dans le processus, ici le magnétisme, demeurera toujours une part d’inconnu et d’indomptable. Présenté sous cloche, ce petit visage aux dimensions semblables à celles de l’autoportrait, nous rappelle les masques « Impressions ».
Mais l’œuvre à laquelle nous faisons face depuis notre arrivée est d’une toute autre dimension : il s’agit d’une suspension de centaines d’éléments de porcelaines constituant un visage éclaté. A travers « Dissolution » l’artiste explore la fragmentation d’une forme qui lui est chère, le visage, dans le temps et dans l’espace. La suspension permet justement d’explorer cette dimension nouvelle, équilibre entre présence et absence, qui nous interroge dans la place que chacun de nous occupons dans l’espace et dans le temps.
Cette sculpture fait le lien avec l’autre aspect du travail de Samuel Yal : la vidéo. Diplômé en cinéma d’animation et création graphique, il réinvente le genre artistique en y introduisant la sculpture et l’exploration des limites, de l’énergie, de la fragmentation. Nous sommes invités à entrer tour à tour dans le petit atelier dans lequel il prépare les centaines de moulages de forme nécessaires à la production d’une vidéo d’animation. Une projection nous plonge dans « Spuma », une vague continue qui charrie, au gré des allers-retours, fragments de visages, de seins, d’écume et de formes sensuelles. Nous avons du mal à quitter ce mouvement hypnotique, pour découvrir les petits fragments de bras, de jambes, de corps qui constituent les personnages du dernier projet de film d’animation de l’artiste. Filmés images par images, chacun de ces éléments trouve son exacte place dans cette « partition » minutieuse, qui deviendra après la magie du montage, une œuvre vidéo. Dans ce petit coin d’atelier, bras, jambes, visages, seins, côtoient tout un tas d’objets éclectiques, de la croix byzantine aux dépouilles d’oiseaux suspendus au plafond. Tous ont joué un rôle dans l’inspiration de l’artiste.
Déconstruire l’espace du corps, interroger nos limites à travers celles de l’œuvre, questionner les nombreux visages qu’offrent les sculptures et les films d’animation, s’y reconnaître ou s’y refuser, telles sont les expériences que nous offre Samuel Yal à travers son travail.
En savoir plus sur Samuel Yal, sa démarche, son oeuvre www.samuelyal.com
Laura Hamant