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Dans l’atelier de Yazid Oulab

A Marseille, depuis une vingtaine d’années, Yazid Oulab, artiste d’origine algérienne, déploie son œuvre protéiforme comme autant de métaphores visuelles ou sonores qui se font écho ; tous les supports sont bons pour celui qui allie le geste et la pensée en un œuvre de signe et d’épure marqué par la spiritualité musulmane soufie.
Publié le 03 décembre 2018

Dans le silence de l’atelier, Yazid Oulab pense.
Dans le ventre de l’atelier, Yazid Oulab travaille.
Dessine, peint, assemble, manipule, tord, taille, emboutit…
Inextricablement artisan et méditant.

Silencieux mais éloquent, le lieu en dit long sur l’art sensible et profond de l’artiste. A Marseille, la rue qui y mène – assourdie bien que cernée d’artères bruyantes – est fréquentée par ces dames apprêtées au commerce tarifé. Sans doute ce voisinage n’est-il pas indifférent à la solitude habitée de l’art de Yazid Oulab, à l’écart des modes…

L’atelier de Yazid Oulab © Odile de Loisy

Pour accéder à son antre, il faut à sa suite emprunter un sombre couloir ouvrant sur une pièce éblouissante de blancheur, saturée de lumière zénithale; un atelier-nid, comme un ventre féminin en somme. Sur la table de travail recouverte de papier blanc, des outils de maçon, crayons, bricolages divers, journaux et lectures du moment… Sur les murs immaculés, peu de choses : quelques prototypes en barbelés – mains inspirées de Léonard de Vinci ou graphies -, de rares toiles, une ou deux ébauches… Une calligraphie d’Infini toute en fluidité et sobriété jouxte la somptueuse Halte qui déploie sur les murs les ondes obliques d’un instrument à vent revisité : comme un souffle perpétuel parcourant l’atelier… Au blanc cocon de l’atelier répond – comme en miroir – la profondeur de cet oeuvre essentiel.

Yazid Oulab, Halte et Infini © ODILE DE LOISY

Lorsqu’il a ouvert les yeux sur le monde en 1958 à Sedrata en Algérie, ce sont les tatouages de ses grands-mères, l’une arabe, l’autre berbère, qui ont bercé le petit Yazid. La rétine du nouveau-né est-elle à jamais marquée par ce premier regard ? Des années plus tard, l’extrait dit Ouvriers des Illuminations de Rimbaud – le poète voyant – inspirera à l’artiste une œuvre écrite au fil barbelé (Le mythe comme langage volé, 2010), résumant son art : le dessin, l’écrit et la poésie, les métiers manuels, le goût de la simplicité. Mektoub (“C’était écrit”, 2011), inscrira-t-il encore. Prédestiné, celui qui déroule son œuvre comme un long poème jalonné d’images en résonance les unes avec les autres ?

En h. et à d. : dessins préparatoires pour Adam et Eve – 2017 / en b. Textes sacrés des trois religions monothéistes – années 1990

Porteuse d’une tension interne issue de son histoire personnelle, l’oeuvre intuitive plus que cérébrale de Yazid Oulab se développe bien à la croisée de cette trinité – le dessin comme signe, trace et calligraphie ; le geste hérité de son père ; les lettres et la poésie issues de sa mère – incarnée dans une écriture contemporaine ancrée dans la tradition orientale, bien qu’advenue en Occident (poussé par son oncle le poète Kateb Yacine, l’artiste choisit en 1988 de poursuivre aux Beaux-Arts de Marseille les études entamées à Alger).

Ce sont des passerelles qu’il bâtit en effet : Echafaudage (2009), fragile construction de corde et de résine évocatrice de l’ouvrier, mais aussi du pont qui relie et de la hauteur de vue qu’il autorise ; Elévation, installation éphémère érigée dans le désert algérien en 2007 – dérisoire présence humaine cernée de vide et de solitude se hissant vers son Dieu, telle l’échelle de Jacob. Et, surplombant le monde en autant d’Ascensions ou de Montagnes urbaines, le Stylite, figure récurrente du sage oriental.

Passerelle entre les pôles de sa double filiation, traduits dans les œuvres en forme d’outils du père-ouvrier – clou, truelle, fil à plomb, crayon de menuisier, échelle, tamis – comme de la mère-institutrice – Craies et ardoise (2006) ; Mur de l’effacement (2011) en gommes d’écolier. Pour Yazid Oulab, le clou n’est-il pas le symbole (ambivalent, certes, mais reliant) de la fraternité humaine ? Clous majestueux lorsque hauts de 2 m; enlacés dans ce Moucharabieh de métal; précieux lorsqu’en cristal ou en inox; âpres aussi, comme écoulés d’un sexe féminin dans L’Origine du Monde (2009) – réinterprétation photographique du célèbre tableau de Courbet -, entre violence et fascination amoureuse ; évocation aussi de ce premier alphabet que fut l’écriture cunéiforme « à la pointe » (titre de sa dernière exposition à la galerie Eric Dupont), de même que du premier signe de la calligraphie arabe, le alif comme commencement de tout.

Yazid Oulab, L’espace de la pensée : Pensée – 2017

Nul ne s’élève sans avoir une connaissance éveillée de son intériorité. – Yazid Oulab

Passerelle entre la forme et le sens, la forme et le verbe… Jamais neutres, les techniques, souvent détournées, annulent les frontières entre la sculpture et le dessin – la scansion répétitive du crayon creuse le papier pour parvenir aux trois dimensions (Percussion graphique, 2010) -, l’installation, la vidéo et la sculpture (Le Souffle du récitant comme signe, 2003). Plaisir de la main qui travaille la matière en un combat façon corps-à-corps dans les dessins réalisés au graphite embouti sur perceuse : splendide Noyau cosmique (2012) et son Christ en lévitation, bras écartés en spirale évocatrice des derviches tourneurs adeptes, comme l’artiste, du soufisme. Ponts jetés donc, aussi, entre ces religions chrétienne et musulmane trop souvent affrontées.

Oscillant entre expérience poétique et spirituelle du monde, transmission de la mémoire (Silex) et recherche stylistique, Yazid Oulab met inlassablement son art en quête de sa « mélodie intérieure » (Partition, 2017), aux antipodes du verbiage esthétique. Ses dernières œuvres – Poèmes génériques (dessins sur papier gratté-scarifié traduisant la « frustration de n’être pas poète » affirme l’artiste, ou Pensée (suspension de verres jointoyés emplis d’encre) – disent, toujours et encore, ce regard circulaire sur le monde, soucieux de transcrire le souffle divin qui traverse chacun, car « nul ne s’élève sans avoir une connaissance éveillée de son intériorité », déclare-il encore.

 

Odile de Loisy

 

Cliquez ici pour retrouver toutes les informations pratiques sur l’exposition de Yazid Oulab à la galerie Eric Dupont

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