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Dans l’atelier de Françoise Mussel

Dans un coin culminant de Bourgogne vit la céramiste Françoise Mussel. Née en 1943, elle s'y est établie pour pratiquer un art alors peu en vogue - la sculpture de terre et de grès émaillé - sans jamais dévier de son chemin. Son univers onirique et singulier, entre rêves et cauchemars, est peuplé de créatures saisissantes à la beauté sauvage.
Publié le 05 septembre 2018

chez Françoise Mussel – la boutique, le four et l’atelier 

Le rendez-vous commence par une ascension. Au terme d’un enchevêtrement de petites routes bordées de ronces serpentant entre champs et bois, vous voici au sommet du Mont Saint Vincent. Du haut de ses 600 mètres, il domine les vallons de la Bourgogne charolaise et le bassin de Montceau-Le Creusot. Il faut ensuite s’aventurer dans le village et ses ruelles aux noms évocateurs – rue des Quatorze Bouchers, rue du Grenier à Sel… – pour parvenir chez Françoise Mussel. La maison est simple et belle. Devant la porte, un cheval et son cavalier montent la garde, juchés sur un potelet. Sous la glycine, la devanture violette indiquant sobrement “Poterie” vous fait signe. Signe que vous pouvez entrer, à l’invitation des céramiques sagement alignées sur leurs étagères. Leur virtuosité est évidente, mais leur sagesse trompeuse…

   

Françoise Mussel – (à g.) Le cheval et son cavalier, 2002. Dimensions: 15x8x25 cm. / (à d.) Christ crucifié, 2003 

A l’intérieur, pichets, bols et assiettes voisinent avec têtes et groupes sculptés, sans hiérarchie établie. Ici des œuvres aux titres elliptiques : “Nœud rose”, “Coiffe bleue”, “Celui-ci”, des évocations de contes ou de mythes : “Ulysse et les Sirènes”, “Barbe bleue”… Là une référence à Marcel Duchamp : “La Mariée mise à nu par ses célibataires, même”. Un Christ en médaillon aussi. Et puis, regard fixe et bras étirés jusqu’au sol, de curieux personnages debout, dérisoires dans leur nudité peu identifiable: juste humains, trop humains… Ces étranges têtes, enfin, dont les yeux écarquillés entre hébétude et indifférence vous dévisagent. Lourdes et dures, elles ont subi l’épreuve du feu, font face sans ciller et fi de toute séduction facile.

Françoise Mussel – Les lignes de la main, 1990, grès émaillé.
Petit personnage noir, vers 2013. Émail brun, terre chamottée.

Leurs couleurs délicates – ocres, bruns, roses, vermillons et céladons… – contrastent avec leur maladresse apparente – pommettes colorées par une main qu’on dirait enfantine, globes oculaires élargis et cernés d’ombre, lèvres ensanglantées de rouge mal posé… Masques de carnaval outrancièrement grimés ou scalps pétrifiés dans des chairs déjà blettes, sont-elles le reflet sans concession de nos failles, nos leurres et notre finitude? Imperturbables, elles interrogent le monde, une main posée derrière le crâne : main créatrice qui les tire du néant pour les faire exister, comme une mère donne naissance à ses enfants? Main “béquille” d’un Dieu soutenant ses créatures trop fragiles pour aller seules de par le monde? Ou main de fer les contraignant à garder les yeux ouverts malgré l’effroi?

La tension est palpable : énigmes que ces têtes qui s’offrent en miroir – sommes-nous donc si grotesques? -, violence des corps-à-corps sculptés – lutteurs ou danseurs? -, fusion des couleurs mêlées et répandues. Pourtant, une réelle douceur émane de certaines pièces, comme ce plat rouge où s’alanguissent une femme et son chien, tendres et voluptueux.

Femme couchée dans le rouge, plat en grès émaillé, 1999.

Lorsqu’elle évoque la cuisson de ses œuvres, la voix de Françoise Mussel vibre d’émotion, telle Vulcain vantant les flammes indomptables de sa forge.

Les œuvres de Françoise Mussel ne cherchent pas à plaire. Son seul désir : “Que les gens trouvent la concordance dans mes œuvres avec le mystère qui les habite”. Son unique volonté : “Faire éclater partout la beauté”. Une beauté âpre et subtile qui s’apprivoise avec le temps, lentement. Celle qui l’a poussée à s’installer ici voici près de 40 ans, seule en compagnie de son four. Avec, pour credo, le travail de la terre (et des émaux), semblable en cela à ses voisins paysans. Repérée par un galeriste parisien, elle se voit alors dépouillée de quatorze pièces, toutes vendues ; de retour chez elle, le chagrin de la perte est si vif qu’elle fond en larmes. Depuis, ses œuvres ont à nouveau envahi l’espace, du rez-de-chaussée jusqu’au grenier où les sculptures qui n’ont pas l’heure de lui plaire à leur sortie du four séjournent au purgatoire. Il faut parfois des mois, voire des années, pour qu’elles aient à nouveau droit de cité; enfants prodigues, elles n’en sont que plus intensément aimées. Le four, lui, a droit à tous les égards : une pièce lui est dédiée, jouxtant l’atelier ouvert sur la rue.

Lorsqu’elle évoque la cuisson de ses œuvres, la voix de Françoise Mussel vibre d’émotion, telle Vulcain vantant les flammes indomptables de sa forge – bleues, rouges ou émeraudes. Car c’est une création à double partition que l’”œuvre au feu” de Françoise Mussel, céramiste un peu alchimiste : celle de ses mains qui façonnent la terre conjuguée à celle du four qui cuit les émaux et oxydes appliqués sur terre chamottée, pyritée ou terre fine. Le résultat en est l’accident merveilleux – qui n’exclut pas l’échec – donnant forme et couleurs à ses œuvres.

Mais la visite a assez duré. Vous sentez qu’il faut à votre hôte revenir à l’essentiel : travailler la terre, dans le silence de l’atelier. Vous n’avez plus qu’à vous éclipser, heureuse et remuée comme la matière entre ses doigts. “Par le travail des mains, on touche au ciel” écrit le poète Christian Bobin qui vit non loin. Farouchement, obstinément, Françoise Mussel poursuit son œuvre loin de la rumeur du monde, la tête dans les nuées qui coiffent le Mont Saint-Vincent, pieds et mains ancrés dans la terre.

 

                                                                                                         Odile de Loisy

Pour visiter l’atelier de Françoise Mussel :

Françoise Mussel
Rue du Grenier à Sel
71300 Mont Saint Vincent
03 85 79 82 81
francoise.mussel@wanadoo.fr

www.francoisemussel.com

Découvrir l’article consacré à Françoise Mussel en cliquant ici

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