C’est au fond d’une cour enchanteresse couverte d’une treille fleurie, non loin des locaux de Narthex, que l’artiste peintre Anne Gratadour nous ouvre la porte de son atelier. Scénographe de profession, elle baigne depuis longtemps dans les milieux artistiques, au contact des œuvres. Elle se lance finalement dans la peinture, en marge de son activité principale, attirée par les grandes compositions qui évoquent les toiles de fond des décors de théâtre, un domaine qu’elle connait bien.
Anne Gratadour utilise pour sa peinture un liant à la caséine qui fait affleurer les pigments à la surface et les rend mattes, comme le faisaient en leur temps les peintres pompéiens, donnant à ses toiles une incandescence semblant jaillir de la couleur elle-même. A l’aide de grands pinceaux brosses, jusqu’à trente centimètres, elle organise l’espace de ses toiles, certes abstraites mais dotées d’une très grande profondeur.
Nous sommes ainsi face à de grandes compositions de 240×120 cm, qui font partie d’une série de sept panneaux sur le thème de la Résurrection, créée pour l’église Saint-Merry en plein cœur de Paris. L’artiste nous avoue aimer travailler pour les églises, qui sont selon elle des lieux d’expositions privilégiés.
Les deux premières toiles, fonctionnant par pair, que nous voyons sur le mur du fond de l’atelier sont constituées de dégradés de rouges du plus sombre presque noir, au plus lumineux s’approchant des tons orangés. Les larges pinceaux permettent à l’artiste de travailler la profondeur par les aplats successifs et à l’œuvre de trouver une véritable dynamique, tout comme le choix de casser la symétrie en privilégiant une composition décentrée. A gauche c’est le tombeau dont on a roulé la pierre qui porte en son sein la lumière de la Résurrection. A droite, représenté comme issu un enfantement, c’est le Christ ressuscité, un Christ glorieux dans une mandorle de lumière. Cette référence à la maternité est très présente dans les œuvres d’Anne Gratadour, qui compare sa démarche créatrice justement à la mise au monde d’un enfant.
Les panneaux suivants introduisent du bleu, du vert, afin que l’œil soit confronté à un contraste assez fort. Les couleurs froides face aux couleurs chaudes, rouges et orangés, apportent une sensation immédiate de relief, une dynamique très envoûtante.
Très inspirée par les sujets religieux, Anne Gratadour regrette de ne pouvoir nous montrer son Chemin de Croix. Ce sont bien les réalités de l’atelier d’artiste qui nous apparaissent, et les problématiques de stockage qui en découlent. C’est par le biais d’un dépliant-éventail que nous pouvons voir les quatorze stations de cet ensemble, complétées par une quinzième, la Résurrection. « Dans une volonté picturale abstraite, il m’a semblé évident de travailler ce sujet comme un concept, dont le geste serait ce chemin de souffrance avec des pauses d’humanité vers la sérénité, la mort puis la résurrection. » nous confie ainsi l’artiste.
Le chemin de croix d’Anne Gratadour, qui a pu être exposé à l’église Saint-Séverin à Paris 5eme ou à l’église Saint-Sauveur de La Rochelle, s’accommode très bien des formes abstraites. L’absence de figuration laisse place au jaillissement de la couleur, à la présence très forte de la croix et à la puissance des lignes : c’est une expérience sensorielle forte qui laisse chacun d’entre nous se plonger dans son intériorité.
L’artiste nous parle également d’une série qui l’occupe au moment où nous lui rendons visite : il s’agit de recherches sur le thème des vendanges. Cette dernière est prétexte à l’expérimentation de nouvelles techniques, Anne Gratadour nous montre ainsi les bassines et les instruments avec lesquels elle réalise ses mélanges de couleur. Dans ses petites toiles, les aplats aux couleurs automnales réveillent les sens. L’artiste nous explique ainsi être proche des thématiques de la nature et des saisons ; elle avait proposé en 2014 à l’église Saint-Merry une toile monumentale de 12 mètres sur 4 intitulée « Moisson », qui faisait référence cette fois à l’été.
Nature, foi, lumière… ce sont des sujets fondamentaux mais pourtant essentiels qui traversent les œuvres d’Anne Gratadour, de quoi questionner chaque être humain qui rencontre, au gré de la Vie, le travail de cette artiste.
Laura Hamant