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Alexandre Hollan, La quête du voir

Plusieurs expositions monographiques ont consacré le travail d’Alexandre Hollan : "Le chemin de l’arbre" en 2012 au Musée de Budapest et au Musée Fabre de Montpellier, "Questions aux arbres d'ici" en 2016 au musée de Lodève, et "L'invisible et le visible" au musée Fabre de Montpellier actuellement. Assez naturellement ces expositions ont privilégié la figure de l’arbre pour laquelle l'artiste est investi d'une relation si particulière, extrêmement sensible et fidèle. Le questionnement de la sensation et du regard mené sans discontinuité par l'artiste a fait également l'objet d'une importante rétrospective à Évreux en 2015, "Je suis ce que je vois" (1). Car, au-delà de la figure de l’arbre, l'ensemble du travail d'Alexandre Hollan n'est qu'exploration du phénomène du voir : “Je cherche quelque chose que je ne vois pas”.
Publié le 28 octobre 2017

Dans le motif

Le Buisson ardent, chêne vert, 2011 © I. Sarkantyu

Alexandre Hollan travaille sur le motif, dans le motif même (2). En effet, “C’est dans le dédoublement que je me retrouve vivant. C’est pourquoi j’ai besoin du motif” ; une recherche du vivant et de l’altérité. “Devant l’arbre ma chance est d’entrer directement en contact avec l’inconnu”, cet “inconnu m’attire”.
Aussi a-t-il voyagé dans les années 1960-1970 à travers les paysages de France dans sa voiture, véritable atelier roulant, à la rencontre des arbres et en quête d’impressions, dans la mesure où “voir commence par une impression” ; des impressions qui ne durent pas car “elles ne peuvent venir de moi”. Alexandre Hollan finit par sédentariser son geste sur un plus petit périmètre, autour d’un mazet acquis en 1984 non loin de Gignac, dans la garrigue languedocienne, à proximité des vignes, des oliviers et des grands chênes verts.
C’est là que s’est poursuivi approfondi, “le voyage dans l’arbre”.

Dans l’arbre

L’Oiseau des vignes, chêne vert, 2016 © I. Sarkantyu

A force de dessins et de présence aux arbres, Alexandre a appris à connaître chacun d’eux personnellement. Ils ont leur nom, leur caractère, leur aspect changeant parfois d’une année à l’autre. Le Grand Chêne de Viols-le-Fort “connaît la démesure ; ses branches s’étirent et veulent aller jusqu’au bout du monde.” ; Non loin de Saint-Jean, au fond d’une vallée, se cache L’Ancien, olivier de plus de mille ans, “un grand silence l’habite qui, au crépuscule, sort et remplit la vallée de sa présence”. Les chênes, Le Demi-sauvage, Le Déchêné, Le Vaste, Le Guerrier, L’Indomptable, Le Chêne volant, Le Gardien de la forêt, Le petit Poussin, Le Bienveillant, La Grande Roue, Le Glorieux, L’Oiseau des vignes…, et quelques oliviers, infusent les pensées poétiques du peintre dans sa disposition à transmettre un univers de sensations.

Choisi par l’arbre

Arbor, en 2015 (3), donnait la mesure de la présence si vivante de l’arbre à l’artiste, environné des tilleuls tricentenaires de l’abbaye cistercienne de Noirlac, lieu de l’exposition, à quelques kilomètres des grands chênes remarquables jusqu’à cinq fois centenaires de la forêt du Tronçais. “Choisi par l’arbre”, Alexandre Hollan s’était à cet endroit, encore plus approché de lui comme d’“un être très complexe”. Le même arbre était ainsi présenté dans des densités différentes allant d’un dessin puissant et réaliste vers une perception plus aérienne et spirituelle. Une rencontre neuve et profonde matière à un questionnement posé de manière inédite et plastique, dans un cheminement trinitaire : “Peut-on penser aux distinctions corps, âme, esprit ? ”(4) s’était alors interrogé l’artiste.

Écriture d’arbres

Le Verseur, olivier, 2000 © I. Sarkantyu

Sept suites d’écritures d’arbres, gouaches sur papier, 2009 © I. Sarkantyu

Depuis longtemps, Alexandre Hollan avait décomposé son regard sur l’arbre. Ainsi dès 1996 mettait-il en dessins la structure, le mouvement, la vibration, la circulation, la profondeur, l’espace, dans l’olivier Le Verseur. Violence de cette rencontre et découverte du mouvement continu, par la respiration : “Le mouvement c’est toujours quelque chose qu’il ne faut pas interrompre. Il faut trouver le souffle qui peut aller là-dedans”. Ces sensations fugitives, séries de perceptions devant les arbres par le mouvement car “l’arbre bouge, se tend et se relâche”, produisent des séries de signes, véritable écriture d’arbres.

Échapper à l’image

Energie dans l’arbre, 2012 © I. Sarkantyu

Le trait échappe à la forme des arbres. Il prend des chemins invisibles à l’œil nu dont l’existence est le fruit du travail de l’artiste. Il met en exergue les énergies internes à l’arbre, celles qui le traversent, croisement du vivant et de la spatialité. Tout doit être mouvement qui dépasse la forme, paradoxe de la réalité qui ne se situe pas dans l’image visible. Les possibilités d’un nouvel atelier en 2005 ont engagé le déploiement de grands formats.
Bénéfique sur le plan de la conscience du tracé, le dépassement de la feuille par la toile fut la voie d’une écriture nouvelle, propre à “reméditer le trait”.

Lumineuses vibrations

Le deux fois septième Grand Chêne, 2014 © I. Sarkantyu

Vie silencieuse, 2006 © I. SARKANTYU

Le fusain diffuse sa matière l’été à proximité des grands chênes et la couleur éclaire l’atelier parisien l’hiver, saison des “vies silencieuses”, ces natures mortes à partir d’objets usés et de fruits composées de couches successives d’aquarelle qui respirent le temps.
Toujours la couleur a-t-elle été utilisée par l’artiste. En témoignent les petites aquarelles réalisées depuis 1962 dans une vie de recherches. En 2012, le dessin des arbres devenu polychrome, pose un trait d’union entre deux pratiques dissociées par la géographie et les saisons. Mélange des trois couleurs primaires, le trait devient vibration lumineuse, frémissement de la vie.

Faire naître l’espace

Le Chêne dansant, 2016 © I. Sarkantyu

La relation tactile est le fondement, le sens même de l’oeuvre d’Alexandre Hollan. L’artiste cherche à “retrouver ce contact avec la réalité visible”, travaillant en contre-jour afin de laisser venir l’espace, parce que “la forme doit exister, garder son volume mais hors d’atteinte.”; “le creux appelle la forme”. La sensation de l’espace correspond à un basculement, instant où la forme s’ouvre à l’espace et l’espace prolonge la forme, point de rencontre et interpénétration des deux corps ; moment de non intervention ; faire place à l’immensité.

Dominique Dendraël, conservateur du musée du Hiéron

 


1 Évreux, Musée d’Art, Histoire et Archéologie, Maison des Arts Solonge-Baudoux, Bibliothèque-Médiathèque, 18 avril-20 septembre 2015 ; Je suis ce que je vois est le titre donné aux Notes sur la peinture et le dessin 1975-2015, rééditées en 2015 par érès dont sont issues la plupart des citations de l’artiste dans ce texte.
2 Pierre Wat, “L’épreuve de l’arbre, cinq remarques sur le travail d’Alexandre Hollan”, catalogue d’exposition Le chemin de l’arbre.
3 Présentées du 1er juin au 20 septembre 2015 à l’abbaye de Noirlac avec des oeuvres de Jean-Luc Meyssonnier, précédemment réunies à l’Espal au Mans en 2013 dans une exposition intitulée “Voir l’Arbre”.
4 Arbor, Alexandre Hollan, Jean-Luc Meyssonnier, Abbaye de Noirlac, p. 16.

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