Alain Kirili, Sculpter la vie

Publié le 22 janvier 2025
Écrit par Paul-Louis Rinuy

Toujours, quand je pense à Alain Kirili (1946-2021), l’énergie de ses formes sculptées, de ses dessins dans l’espace, de toute sa personne ne cesse d’irradier en moi. C’est avec lui, grâce à lui que j’ai appris qu’on ne regarde pas avec ses yeux mais avec ses mains, sa poitrine, sa voix, l’ensemble de son corps. De cette expérience charnelle de l’art, qu’on pourrait aussi justement qualifier de spirituelle car la sculpture est un art « éminemment terrestre »,  matériellement et expérimentalement sacré,  chacune des sculptures verticales d’Alain Kirili nous apporte la preuve, le témoignage (fig.1). Défi à l’apesanteur, le titre de la belle exposition consacrée à l’artiste par la Galerie RX au tournant de 2024 et de 2025, ne sonnait pas comme une provocation ou un trait d’esprit  mais comme une évidence aisément partageable. A la lourdeur du monde, à la pesanteur qui nous retient ici bas, Alain Kirili oppose ses fers forgés et martelés, artisanalement travaillées, qui condensent la force infinie de la vie, du mouvement, du surgissement. 

Cette vie, on la voit justement dans la Crucifixion (fig. 2) qui l’incarne autant par la vibration de sa forme que par son thème. Elle n’est jamais une simple donnée biologique ou psychologique. Kirili la comprend et la dessine, la sculpte, comme relevant toujours de la renaissance, de la verticalité reconquise. « Il faut apprendre à se redresser et à faire face à ces phénomènes de pulsions négatives qui nous menacent  et traversent la société, affirmait le sculpteur  à Serge Lemoine en 2005. [1]

La toute dernière série, inouïe, des Wall sculptures (fig. 3) (2016-2020) dont on voit un exemplaire quasiment ultime au Musée de Saint-Etienne, conjugue dans l’espace des  murs peints de couleur écarlate, reproduisant le format du studio de l’artiste à New York, à des formes dansantes,  animées d’un rythme incessant. Les courbes de métal ont quitté le socle et le sol et virevoltent allégrement dans une atmosphère de lumière et de couleur. Et nous entraînent ainsi,  nous relient à la vie animant la matière et le monde. Soulever les pesanteurs du monde, nous relier les uns aux autres et surtout  à cette énergie qui fonde le cosmos, tel est le sens profond de l’œuvre d’Alain Kirili. Un sens « religieux », non car il reprendrait superficiellement  de simples motifs de l’histoire sainte, mais au sens profond et essentiel du mot de « religion » : la religion relie le ciel et la terre, le corps et l’âme, la matière et l’esprit et c’est en cette compréhension profonde du mot que je comprends cette phrase clé de l’artiste :  « Quitte à choquer les gens du monde de l’art, j’insiste et je le répète  pour dire que notre époque est beaucoup plus religieuse qu’on ne pense ».
Wall sculpture est visible dans l’exposition « Brand New ! » jusqu’au 9 mars 2025, au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne qui avait consacré au sculpteur une grande exposition en 1992.
A Paris, la Galerie RX à Paris a en charge l’Estate de Kirili et a organisé l’exposition Défi de l’apesanteur, du 5 novembre au 18 janvier 2025.

Notes

[1] Alain Kirili, Mémoires de sculpteur, Paris, ensba, 2007, p. 232.

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