Voir toutes les photos

PEUT-ON RÉINVENTER LE PARADIS ? L’ŒUVRE DE STÉPHAN BREUER AU MUSÉE DU LOUVRE

Parmi les œuvres récemment accueillies au Musée du  Louvre, une création singulière nous invite à reconsidérer  notre conception même du paradis : une représentation de  l'archange Raphaël, messager guérisseur, qui dialogue de  façon inattendue avec les trésors séculaires des collections du musée. 
Publié le 30 janvier 2025
Écrit par Jeanne Villeneuve
Looking for Paradise © Stephan Breuer

Cette œuvre intitulée « Looking for Paradise » [1] est signée Stephan Breuer, figure emblématique d’une nouvelle génération d’artistes qui questionne nos archétypes spirituels à l’ère contemporaine. Sa présence dans ce  temple de l’art classique n’est pas un hasard : elle témoigne d’une volonté institutionnelle d’établir des ponts entre le  patrimoine artistique et les interrogations actuelles sur la  transcendance. Le Louvre a en effet reconnu la pertinence  de la démarche de Breuer qui, dans le cadre de ses recherches sur la représentation des anges à travers  l’histoire de l’art, a proposé un regard inédit sur un tableau  de Rembrandt.

Au-delà de l’iconographie traditionnelle 

Pour comprendre la portée révolutionnaire de cette œuvre, il  faut d’abord saisir ce que Breuer nomme l’« Interface Iconique », concept central de son manifeste théorique. Selon l’artiste, l’art a toujours fonctionné comme un  médiateur entre différentes dimensions de la réalité, créant  des seuils où la transformation devient possible. Des icônes  byzantines aux perspectives de la Renaissance jusqu’aux interfaces numériques, l’art a constamment servi de technologie première pour appréhender l’invisible et  dialoguer avec l’inconnu.

Le processus technique développé par Breuer fait émerger  l’image sur une structure métallique dorée, conférant à  l’œuvre une qualité quasi immatérielle. L’image semble  suspendue entre présence et absence, matérialité et  évanescence. Cette technique permet d’explorer des  structures proches des fractales, créant une œuvre qui  émane de la lumière plutôt que de simplement la réfléchir.  Ainsi, la représentation traditionnelle de l’ange se trouve non  pas simplement actualisée, mais fondamentalement  réinventée.

La collaboration avec le Musée du Louvre, qui conserve  désormais cette œuvre dans les archives du Musée à Lens, revêt une importance symbolique majeure. Elle crée un  dialogue entre la tradition picturale occidentale et une vision contemporaine de la spiritualité. En intégrant une puce  électronique au revers de sa création, l’artiste inscrit son œuvre dans une double temporalité : celle, millénaire, de la  conservation muséale, et celle, émergente, de la  blockchain, ce réseau immuable qui constitue peut-être  notre nouvelle quête d’éternité. 

Le paradis réinventé 

« Looking for Paradise » pose frontalement la question qui  traverse notre époque : peut-on, doit-on réinventer le paradis ? Dans un monde où les cadres religieux  traditionnels se transforment, où la spiritualité emprunte des chemins nouveaux, quelle image pouvons-nous encore  nous faire de cet au-delà promis ? Le paradis, dans les traditions abrahamiques, est conçu  comme un lieu de béatitude éternelle et de communion avec le divin. Mais l’œuvre de Breuer suggère une vision plus  nuancée, plus contemporaine : et si le paradis était moins  un lieu géographique céleste qu’un état de conscience, un  seuil conceptuel où l’esprit humain entre en résonance avec une dimension transcendante ? Dans cette perspective, le paradis n’est plus seulement une destination ultérieure promise aux justes, mais un potentiel immanent, accessible par l’expérience esthétique et méditative.

L’archange Raphaël, figure traditionnellement associée à la  guérison, devient sous le regard de Breuer un guide vers  cette nouvelle conception du paradis. Son nom même, qui  signifie « Dieu guérit » en hébreu, prend une résonance  particulière : il ne s’agit plus simplement de guérir les corps, mais peut-être de soigner notre rapport même au  transcendant, de réinventer une spiritualité adaptée à notre  époque. 

Entre tradition et réinvention 

La figure de l’ange traverse les civilisations. Depuis les êtres  ailés de la Mésopotamie ancienne jusqu’aux représentations  contemporaines, ces créatures célestes ont toujours incarné  cette frontière entre le visible et l’invisible, le terrestre et le divin. Les anges, et particulièrement les archanges comme  Raphaël, occupent une position ambivalente dans cet  équilibre cosmique : ils sont à la fois messagers et  protecteurs, manifestations de l’amour divin et gardiens de l’ordre céleste. En choisissant de réinterpréter précisément cette figure,  Breuer s’inscrit dans une lignée artistique millénaire tout en  la questionnant profondément. « Qu’ils soient hiératiques  chez les primitifs italiens, enfantins chez Fra Angelico, ou  plus ambigus chez un Caravage, ces émissaires célestes  ont offert aux génies de la peinture leurs plus beaux  morceaux de bravoure » [2]. Mais là où les maîtres  classiques cherchaient à rendre visible l’invisible par les  moyens de la peinture, Breuer cherche à créer une véritable  expérience de seuil. 

Dans le tableau originel de Rembrandt [3], l’archange est peint de dos, suggérant son éloignement progressif de la sphère terrestre, tout en étant mis en valeur par un clair obscur caractéristique. Breuer transforme cette  représentation en une présence lumineuse, suspendue  dans un instant hors du temps, baignée dans l’or de son  traitement singulier. 

L’or comme matière paradoxale 

Le choix de l’or comme matériau privilégié n’est pas anodin.  Métal le plus dense et pourtant le plus malléable, l’or occupe  une place particulière dans l’histoire de l’art sacré. Des  fonds dorés des icônes byzantines aux représentations de  la lumière divine dans la peinture médiévale, ce matériau a  toujours été associé à la transcendance. 

Pour Breuer, l’or incarne cette dualité fondamentale :  matérialité extrême et potentiel d’immatérialité, il est le  support parfait pour explorer cette frontière entre le tangible et l’intangible. « Dans mon travail sur les icônes, explique  l’artiste, l’or n’est pas simplement décoratif, il est conceptuel. C’est à la fois le plus terrestre des matériaux – par sa  densité – et le plus céleste – par sa capacité à conduire et  transformer la lumière. »

Cette approche de l’or comme matière paradoxale fait écho  à la question même de la réinvention du paradis : comment  conserver la substance spirituelle tout en renouvelant  radicalement sa forme ? Comment maintenir un lien avec la  tradition tout en proposant une vision adaptée à notre  époque ? 

Une expérience transformatrice 

« Looking for Paradise » transcende ainsi sa nature d’objet  d’art pour devenir une véritable expérience transformatrice.  Plus qu’une œuvre à contempler passivement, elle constitue  une invitation à la méditation active, nous guidant vers ce  que l’on pourrait appeler notre « paradis intérieur » par  l’intermédiaire de cette figure archangélique réinventée. 

L’œuvre fonctionne comme ce que Breuer définit dans son  manifeste : une interface iconique, un seuil où différentes  dimensions de la réalité se rencontrent et se transforment  mutuellement. Le spectateur n’est plus simplement témoin  d’une représentation du divin, mais participant d’une  expérience qui questionne sa propre conception de la  transcendance. 

« Par le biais de ce travail, je cherche à me connecter au  divin, bien sûr – je ne vais pas m’en cacher », confie  Stephan Breuer. « Il y a une quête spirituelle très forte dans  mon travail, mais elle se double d’une réflexion sur la façon  dont l’art a toujours servi de technologie pour appréhender l’invisible et dialoguer avec l’inconnu. Aujourd’hui, la  question n’est plus simplement de représenter le paradis,  mais de le réinventer pour notre époque. »

En intégrant les collections du Louvre, « Looking for  Paradise » ne se contente pas d’ajouter une œuvre  contemporaine à un temple de l’art classique. Elle établit un  dialogue fertile entre notre héritage spirituel et nos  questionnements actuels, nous invitant à repenser non  seulement notre conception du paradis, mais aussi le rôle  même de l’art dans notre quête de transcendance. 

Le paradis peut-il être réinventé ? L’œuvre de Breuer  suggère que cette réinvention est non seulement possible,  mais peut-être nécessaire. Dans un monde où nos repères  spirituels traditionnels se transforment, l’art continue  d’explorer les frontières entre le visible et l’invisible,  proposant de nouvelles interfaces avec le transcendant.  « Looking for Paradise » nous rappelle que cette quête  millénaire reste profondément actuelle, et que chaque  époque doit réinventer ses propres chemins vers le divin.

Notes

[1] Œuvre authentifiée par une puce de certification de l’identité numérique : NFC (Near  Feald Communication), sécurisée sur la Blockchain Tezos. C’est une sorte de passeport  numérique inviolable. Avec Arteïa pour partenaire pour l’authentification et les traçage  des œuvres.  

[2]  Les Anges dans la peinture, par Laurent Bolard, édition Hazan, 240 pp, 162 ill.

[3] L’archange Raphaël quittant la famille de Tobie de Rembrandt-1637- : l’archange  Raphaël s’envole vers les cieux après avoir rendu la vue à Tobie.

Pour aller plus loin

À lire

Contenus associés
Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

INSCRIPTION NEWSLETTERRecevez quotidiennement nos actualités, les informations des derniers articles mis en ligne et notre sélection des expositions à ne pas rater.