Un peu d’histoire
Cette clairière harmonieuse et paisible qui évoque les béguinages d’Europe du nord fut d’abord le lieu de vie des moniales bénédictines, installées dès l’origine de l’abbaye en 1152. L’abbaye fut dotée d’un domaine de bois et de prés dont l’exploitation devait permettre à la communauté de vivre en autarcie. Le porche de la ferme, encore bien conservé, atteste de cette vie laborieuse, en partie liée à la charge de l’hôtellerie : logements du personnel chargé de l’entretien, écurie, bergerie, porcherie, greniers à blé et à foin.
Les moniales quitteront les lieux dans le premier quart du 17ème siècle, pour être hébergées à Royallieu. Après leur départ, l’abbaye changea encore de mains plusieurs fois, sans réussir à enrayer le déclin.
Telle que nous est parvenue cette abbaye en sa clairière, le bâtiment est surprenant de simplicité et de force. Sans en connaître l’histoire dans les détails, le visiteur, le promeneur est interpelé par la « mise en scène » de cette abbaye qui crée une étrange sidération. Dans le sentiment de beauté qu’éprouvent les passants, ce n’est pas seulement la qualité de l’édifice dont on s’apercoit très vite qu’il n’est plus conforme au plan initial, mais c’est l’Histoire que l’on devine. Les grands événements au niveau national qui ont impacté cette paisible clairière, ainsi que les multiples histoires des hommes et des femmes qui ont participé à la vie locale à travers les siècles, célébrant dans cette église les différentes étapes de leur vie, jusqu’à nos jours : baptêmes, communions, mariages… Tout ce que François Rouan résume dans sa formule « le mille-feuille des siècles ».
François Rouan et Saint-Jean-aux-bois
En découvrant cette abbatiale, François Rouan a tout de suite été saisi par la sobre beauté de cet édifice. Il y a eu une véritable rencontre entre l’artiste et ce lieu chargé d’histoire. Il parle d’une « expérience de vacillement, à la fois sur le présent et sur une histoire qui vient de loin, que vous ne pouvez que pressentir et qui vous dépasse ». On pense à son expérience sensible de « butée sur la beauté », une forme de rencontre avec l’autre dont on ne sort pas indemne. « Quelque chose s’est passé, il en reste toujours une empreinte, un stigmate…». Nous ne sommes pas loin de la notion de sacré, même si pour ce mécréant, « le ciel est vide ».
En 1988, il est proposé à François Rouan de participer avec cinq autres artistes à la grande commande de vitraux pour la cathédrale de Nevers, dévastée par la guerre. Peintre reconnu depuis les années 1960, il pratique aussi la photographie depuis les années 90 et le cinéma depuis les années 2000. De fait, comme le définit Alfred Pacquement dans son texte d’introduction sur les vitraux de Bonaguil : « Il appartient à une génération d’artistes qui a cherché à renouveler l’art abstrait en optant pour un nouveau rapport à la surface et à l’espace du tableau, en s’emparant de nouvelles méthodes de travail, la découpe et le tressage, en particulier, qui est en quelque sorte devenu sa marque. Contrairement à ces artistes du mouvement « support-surface » qu’il a fréquenté à Montpellier, il n’a jamais voulu exclure la figure qui ressurgit, à peine visible parfois, enfouie dans la plupart de ses compositions. Dans tous les cas, il ne s’est pas contenté d’élaborer une esquisse pour la confier à un maître verrier qui aurait su l’interpréter, il a choisi de travailler au plus près dans la surface même du vitrail, pour contrôler tous les détails de la réalisation en dialogue bien entendu avec un atelier spécialisé. »
Dans chacun des lieux où il est intervenu, François Rouan s’est toujours attaché à prendre en compte les diverses composantes : architecturales, historiques et sacrales…..
François Rouan et l’art du vitrail
Depuis la première commande pour la cathédrale de Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte à Nevers en 1992, jusqu’à Saint-Jean-aux-Bois, les propositions et les réalisations consistent avant tout à traiter les parois de verre en rapport étroit avec l’architecture et la taille des ouvertures. A Nevers après la guerre, la grandeur des verrières demandait une attention particulière. Il fallait penser à la transparence dedans et dehors dans cet édifice marqué par l’histoire et l’histoire de l’art. Il fallait aussi s’entendre avec les autres artistes qui avaient reçu cette commande du ministère de la Culture, pour en assurer la cohérence et l’harmonie. Il a souhaité que ses vitraux évoquent le chaos et la destruction soufferts par cette ville.
Dès 1995, il est invité à concevoir les vitraux de l’église de Castelnau-le-Lez, petite ville dans les environs de Montpellier. Il est seul à intervenir dans cette curieuse petite église sur deux niveaux de sol. Ses vitraux, par leurs couleurs, leurs dimensions, leur orientation, parviennent à donner une unité à cette église, un peu bancale, en partie fortifiée, accolée à une partie plus tardive.
En 2011, il accepte, en souvenir de son ami Dominique Bozo, de faire les vitraux de l’église Saint Paterne de Montrond, charmante petite église dans laquelle des travaux récents ont mis à jour une fresque médiévale naïve. Il a su y intégrer des vitraux qui mettent en valeur la fresque, ces vitraux jouant par ailleurs leur rôle tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Entre 2011 et 2013, pour trois ans, le château de Hautefort en Dordogne reçoit François Rouan qui réalise de multiples interventions : peintures, fresques et vitraux dans la chapelle du château.
En 2014, l’association des amis de l’église du château de Bonaguil (Lot et Garonne) l’invite. Dans la petite église à l’extérieur proche du château, François Rouan propose un ensemble de vitraux avec une unité de technique, le rose à l’or et un dessin hachuré de figures obtenues en gravant en estompage le verre. Des boucles d’un fil élégant passent d’une fenêtre à l’autre, affirmant ainsi l’unité du lieu et la couleur du verre, et guident le regard.
L’atelier Simon Marcq
Depuis ses premiers travaux en 1992, c’est avec l’atelier Simon Marcq que François Rouan travaille. Cet atelier, crée en 1640 par Pierre Simon, est reconnu depuis 2006 Entreprise du patrimoine vivant. François Rouan ne fournit pas seulement un dessin, réalisé par les artisans verriers, il est dans l’atelier avec les spécialistes du vitrail, choisissant la technique idéale pour la mise en valeur des couleurs comme du dessin.
En septembre 2015, François Rouan se voit proposer par l’Association des amis de l’abbatiale de Saint-Jean-aux-Bois un projet de vitrail pour l’oculus du transept gauche. Il est si abîmé qu’on l’a obturé d’un moreau de contreplaqué. L’artiste, impressionné par l’église « saisissante d’élégance et de sobriété », écrit-il, cherche d’emblée à travailler en harmonie avec les vitraux en place. Les grisailles – si peu grises du chœur – aux entrelacs végétaux l’interpellent d’abord, mais il faut aussi dialoguer avec un magnifique vitrail axial rouge et bleu et une rosace à l’Ouest. Il travaille en symbiose avec l’Atelier de Simon Marcq dont l’origine remonte à celui de Pierre Simon, maître-verrier du mitan du XVIIème siècle. (Cet atelier a été reconnu « Entreprise du patrimoine vivant » en 2006). L’artiste et l’artisan tombent d’accord sur le maintien de la ferronnerie, une roue de char avec en son centre un grand moyeu.
Lorsque François Rouan se rend pour la première fois dans l’abbatiale, les fonts baptismaux installés sous l’oculus (ils ont été déplacés depuis) lui suggèrent le thème de la naissance auquel l’invitent également les voûtes en berceau. Il optera finalement pour un cercle zinzolin, d’un violet rougeâtre et délicat, figurant l’infini et susceptible de décliner la lumière au fil du jour et des saisons. Il renvoie aussi aux couleurs vives du vitrail de la Passion. Au centre, dans « le moyeu », un paysage édénique confus et précieux : toison végétale, algues émergeant des rochers, évoquent l’apparition du monde. Dans l’entre-deux, un réseau de figures géométriques, cercles et carrés, le ciel et la terre, font échos au décor des vitraux en grisailles du chœur.
Ce modeste oculus, on le voit, parle bien plus qu’on ne le croirait. Une fois encore, François Rouan, dans la manière qui est la sienne, a sur réinterpréter le mythe sans âge de la création du monde. « Un vitrail, disait Chagall, c’est une chose mystique qui passe par la fenêtre ».
« L’artiste doit laisser son ego à la porte de l’église », mais c’est sans doute à ce niveau que joue son aptitude à tresser les divers éléments qu’il perçoit ; sans s’assujettir à un programme iconographique contraignant, lui, le Mécréant, comme il aime à se présenter, doit répondre au défi de réaliser une œuvre du 21ème siècle qui parle aux visiteurs d’aujourd’hui et de demain.
Evelyne Lerouge, association Art présent – Extrait du catalogue « Dire ou ne pas dire »
François Rouan est à l’honneur de deux expositions à Compiègne, à l’occasion de la création du vitrail de Saint-Jean-aux-Bois. Cliquez ici pour voir toutes les informations pratiques.