C’est une jeune femme, peut-être une grande fille. Paupières baissées, bouche close. Elle tient un animal serré contre sa poitrine. On dirait un doudou en forme de lapin, mais avec des pieds humains. Tête en bas. Ses grandes oreilles semblent avoir déterminé le « cadrage » à peine au-dessus des genoux. A moins que ce ne soit pour centrer l’attention sur le geste des deux bras qui étreignent. Un même bronze patiné les unit l’une et l’autre, ainsi que leurs formes peu affirmées : les plis de la robe se distinguent à peine de la chevelure ; le lapin tout raplati paraît « soudé » à celle qui le tient. Ils font corps. Dressée sur un socle de béton d’une trentaine de centimètres, la statue borde un des chemins d’accès au Louvre-Lens. Celui qui vient de Liévin. Ce sont des associations de cette ville qui ont commandité l’œuvre « pour rendre hommage aux plus démunis et incarner le combat contre la misère ». L’artiste s’appelle Françoise Petrovitch, l’œuvre, Tenir.
L’exposition aussi. Pour la première fois le Louvre Lens a consacré une exposition temporaire à la création contemporaine dans son Pavillon de verre [L’exposition s’est terminée le 29 octobre 2018]. Superbe initiative qui a permis à beaucoup de découvrir la sensibilité de l’artiste à travers une vingtaine d’œuvres dont un panoramique de 24 dessins créés pour l’occasion. Des « huile sur toile », des lavis d’encre sur papier de grand format, quelques plus petits, d’autres sculptures en bronze, et un ensemble en céramique où l’on retrouve notre jeune fille, bouche ouverte, serrant un lapin davantage en relief. Mais à l’endroit cette fois-ci. Moins sereine, son geste de serrer contre soi moins insistant. Derrière, un petit lavis d’encre ou la jeune fille tient le lapin… à l’envers. La force de ses images réside en partie dans l’impossibilité de les réduire en mots.
De même, les lavis, s’ils dessinent avec précision des visages, des gestes, des animaux, les grandes surfaces diluent la couleur en lacs plus ou moins autonomes. Apportant une délicate indétermination et une ambivalence, tellement adaptées aux personnages souvent adolescents, aux gestes dont on ne sait s’ils sont tendres ou cruels, s’ils racontent ou manifestent l’être secret… Tenir, c’est retenir le doudou de l’enfance contre soi comme si on voulait lui arracher. N’est-ce pas aussi serrer au risque d’étouffer ? Tenir, c’est tenir debout dans la tourmente, tenir bon malgré tout, les yeux clos dans le recueillement. Serait-ce maintenir la fragile puissance d’une humanité chaleureuse quand les calculs condamnent un peuple comme celui du bassin minier ?
Françoise Petrovitch transmet du sens à travers des émotions ténues que chacun épanouira selon sa propre histoire, ses inquiétudes ou sa quête. Selon sa foi.
Françoise Petrovitch représentée à Paris par la galerie Semiose est née en 1964 à Chambéry a bénéficié déjà de plusieurs grandes expositions dont une à mes yeux décisive, Se fier aux apparences au LAAC de Dunkerque en 2015. La statue Tenir sur le chemin du Louvre Lens est installée à demeure : la première œuvre d’art pérenne à prendre place dans le parc du musée.
Père Michel Brière
Née en 1964 à Chambéry, Françoise Pétrovitch vit à Cachan et enseigne à l’École Estienne, école du design de communication et des arts du livre à Paris. Depuis les années 90, Françoise Pétrovitch façonne une oeuvre singulière et forte à travers de nombreux médias : dessin, peinture, sculpture, vidéo, gravure et céramique. Jouant sur les formats et sur une oeuvre en constante évolution, Françoise Pétrovitch révèle un monde ambigu, silencieux et souvent inquiétant, se jouant des frontières conventionnelles et outrepassant les catégories temporelles. L’intime et le collectif, le quotidien et l’universel, animaux et êtres humains, enfance et adolescence se mêlent, explorant l’absence, le fragment, la disparition. « Françoise Pétrovitch crée une oeuvre singulière, profondément inscrite dans notre monde, nourrie de lui et pour autant terriblement intime. Au fil des mots des autres, dans la terre vernissée, dans l’encre de ses dessins – dessin dont elle est aujourd’hui l’un des réinventeurs -, Françoise Pétrovitch nous entraîne dans un univers où la parole dit le monde, et le silence l’intime. » Alexia Fabre, 2009. |