Aux confins de la Syrie, sur les rives du Moyen-Euphrate, la petite cité frontalière de Doura Europos est l’un des plus grands témoins de l’art des Premiers Chrétiens. Avec sa maison chrétienne et ses fresques, elle raconte les débuts des édifices cultuels dans les cités romaines et de leur riche iconographie.
La première fresque représente une scène en deux temps. D’abord, à droite, un personnage masculin, imberbe, tend la main vers un homme étendu dans un lit. A gauche, ce dernier porte son lit sur son dos, effectuant quelques pas. Si le style est sommaire, le fidèle peut aisément reconnaître la scène de la Guérison du paralytique décrite dans l’Evangile de Marc (Mc 2, 1-12). La deuxième fresque, fragmentaire, laisse apparaître un bateau, esquissé en quelques traits, où s’accumulent des personnages. Dans les flots stylisés, deux hommes sont représentés, l’un attrapant l’autre par le poignet : le Christ sauve Pierre de la noyade (Mt 14, 22-33). Situées le long des parois du baptistère dans la maison chrétienne de Doura Europos, ces deux fresques incarnent le bénéfice de la sollicitude divine, à laquelle aspire le catéchumène recevant le sacrement du baptême.
Doura Europos et sa maison chrétienne
Alors que de nombreux lieux de culte anciens ont été détruits lors des persécutions au tournant des IIIe-IVe siècles, la maison de Doura Europos, délibérément enfouie à la veille de l’occupation parthe en 256, fait figure d’exception. Située contre les remparts de la cité, une partie du bâtiment, aménagée et complétée par un cycle de peintures murales datées de 232, possédait une véritable dimension religieuse : le Baptistère.
Il aurait pu se confondre avec la synagogue juive, puisqu’elle en reprenait le plan basilical aménagé pour le culte, et la bèma, zone sanctuarisée située dans la nef. Mais l’architecture traduisait déjà les nouveaux besoins de la liturgie chrétienne. Le bâtiment n’est plus orienté vers Jérusalem, mais vers l’Est, là où le soleil se lève, symbole de la dernière apparition du Christ dans sa parousie*. Quant à l’abside, abritant traditionnellement l’arche, elle est dotée d’une Table qui devient le centre de la religion chrétienne, la présence divine se révélant dans l’Eucharistie. Sa cuve aménagée indique la vocation baptismale du lieu. Notons que la religion chrétienne restant illicite à l’époque, les offices n’étaient pas célébrés dans des lieux de culte, mais chez des particuliers.
L’apparition des premières images chrétiennes
Ces fresques s’inscrivent dans un programme iconographique riche, hiérarchisé et cohérent avec la fonction du lieu. Au-dessus de la cuve baptismale, les silhouettes d’Adam et Eve côtoient la figure du Christ en Bon Pasteur, tandis que sur les parois se déploie une iconographie ayant pour fonction l’éducation chrétienne du catéchumène. Pourtant, indifférent au détail et à l’expression individuelle, leur style sommaire laisse apparaître une négligence parfois surprenante dans la représentation des événements bibliques. La formation des premières images chrétiennes s’opère en effet de manière tardive, faisant face à une aversion pour le visible, encouragée par l’interdit biblique de représenter Dieu, la crainte de l’idolâtrie païenne, et les nombreuses persécutions qui avaient lieu dans l’Empire romain. Les premières images chrétiennes, comme ici à Doura Europos, sont donc des « images-signes », qui suggèrent plus qu’elles ne montrent.
La maison chrétienne de Doura Europos est exceptionnelle à plusieurs titres, car peu de sanctuaires aux programmes iconographiques aussi riches ont été découverts depuis. Elle atteste d’une évolution majeure, que l’on retrouve également dans le judaïsme à la même date : l’apparition des images religieuses.
– Olivia Guiragossian
–
* Retour glorieux du Christ à la fin des temps en vue de l’établissement définitif du Royaume de Dieu.
–
Source : GRABAR André (1979), Les Voies de la création en iconographie chrétienne, Editions Flammarion, Paris, 442 p.
Catalogue
Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire, sous la direction de Raphaëlle Ziadé. Co-édition Gallimard et Institut du Monde Arabe, paru en octobre 2017, 208 pages. |
à voir aussi
- Les informations pratiques pour visiter l’exposition « Chrétiens d’Orient » à l’IMA en cliquant ici.