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La célébration de l’Epiphanie ou de l’Adoration des Mages selon Augustin-Frison Roche

Donne l’occasion, en ce début d’année, de revenir sur l’évocation de la manifestation directe de Dieu, (souvent surnaturelle ou spectaculaire) à savoir le mystère de la « théophanie ». Plus précisément, le terme le plus adéquat à utiliser pour cette évocation, serait celui d’épiphanie. En dehors d’un certain contexte religieux, cette dernière peut même désigner une prise de conscience soudaine sur tel ou tel sujet, une révélation intérieure des plus intimes. Comme pour contempler ce chef d’œuvre étoilé dans la nuit des temps, noire et profonde : « La célébration de l’Epiphanie ou l’adoration des mages » par Augustin Frison-Roche, réalisée in situ et qui sert de support à nos lignes. Cette épiphanie nous invitera de façon ordinaire mais non dénuée de magie à parler plus généralement de solennité dans les arts.
Publié le 22 janvier 2025
Écrit par Jeanne Villeneuve
Augustin Frison-Roche, Série 7 oeuvres, La forêt est devenue une immense basilique, huile sur bois, 100 x 200 cm, © ADAGP Paris 2024

Mais, c’est de plusieurs épiphanies, de plusieurs révélations personnelles, philosophiques et profanes, de ce jeune artiste – né en 1987- qui sont à la  source de ses différentes créations picturales comme la manifestation  discrète de Dieu, dont il sera ici question, et qui autorise à mettre un S au  titre de cette exposition. Par exemple, dans sa forêt d’arbres intitulés « basilique »,

Augustin Frison-Roche, Série de 7 oeuvres, Septième jour, huile sur bois et feuille d’or, 60 x 150 cm, @ ADAGP Paris 2024

exposée dans la nef de cette belle collégiale cistercienne des  Bernardins, ou dans la série des Sept jours de la création exposée dans l’ancienne sacristie ; Augustin Frison-Roche déploie, devant nos yeux  meurtris par les affres du quotidien, la magnificence de la nature conçue par une main divine omnisciente de sa radieuse beauté, et dans des alléluias de dorure saupoudrée. « La nature est un temple » rappelle notre artiste  baudelairien. Pour ce faire, une exploration plutôt rimbaldienne cette fois, avec les multiples facettes d’un cycle inépuisable dans son éternel recommencement, arrive et se révèle à nos mémoires éblouis.  Ces séries perpétuent à leur manière si précieuse – telles des enluminures  tendues en miroir- les saisons, des impressions, des lectures de poèmes,  d’esthétisme, de la Bible sur des fonds bleu céleste, turquoise et délavés à la Odilon Redon, un emprunt juste déposé en légers glacis aussi aux Nabis et dont il faut attendre en d’interminables heures, le séchage des couches. Ailleurs, le bleu se fait bleu-vitrail descendant des rosaces de nos  cathédrales pour se nicher sur des panneaux de bois tout d’ors vêtus éblouit comme des icones byzantines. Que de réminiscences multiples jaillissant d’un long parcours enfouis dans les collections de peintures de l’Histoire de l’Art parcourent alors ces épiphanies !

Toutefois, la grande œuvre de Augustin Frison-Roche, le Grand mystère de  l’Epiphanie, de l’Apparition, de La Manifestation, voit le jour dans un contexte assurément plus chrétien ou moins profane, plus sacré peut être et au cours d’une grande fête célébrée traditionnellement et annuellement le 6 janvier. Elle commémore la manifestation de Jésus aux trois Rois Mages que Rimbaud nommait le Cœur, l’Ame et l’Esprit. [1] (Ce n’est  qu’au IX° siècle que les noms de Melchior, Gaspar, Balthazar apparaîtront). Cette manifestation spirituelle peut se faire aussi de façon plus discrète, plus symbolique : celle d’une épiphanie plus liée à la révélation de Jésus  dans des manifestations cosmiques scintillantes et moins dans une  génuflexion de tendresse. L’Epiphanie est pourtant bien la fête de la lumière ! Augustin Frison-Roche choisit en cela une représentation quelque peu traditionnelle, en digne représentant de la longue cohorte d’artistes qui l’a précédé.   

Nous allons donc nous intéresser dans ces lignes au plus bel exemple d’Epiphanie : celle de la visite des Mages (astronomes) à Bethléem (ville de naissance du roi David) guidée par la mystérieuse Etoile.
C’est l’événement central de l’Epiphanie chrétienne, l’événement central de cette exposition puisqu’elle éclate au cœur d’un parcours muséographique fluide et lumineux, au centre de notre déambulation, de notre émerveillement et après avoir nous-même suivi l’Etoile des bergers qui a guidé nos pas vers la monumentalité d’une composition féérique, onirique. La surprise de cette vision provoque un choc, à l’instar des mages qui arrivent devant la crèche portés par un désir imminent d’adoration, tendus hiératiques dans la diagonale de la composition. Le polyptique, composé de quatre panneaux de bois peints assemblés, interpelle tant par sa taille (350x 460 cm) que par sa beauté surnaturelle. D’emblée, ce qui saute aussi aux yeux des spectateurs de cette épiphanie bleue d’azur, toute orientale en poudre de lapis-lazuli broyée, c’est la dichotomie entre le sacré et le profane, entre le luxe et la pauvreté, entre la richesse et le dénuement. D’emblée, la révélation du petit Jésus présenté minuscule et isolé sur son panneau de bois indique la modestie de sa venue sur terre dans la grandiloquence et le tintamarre des rois cheminant du bout du monde ; grandes figures magistrales de géants aux manteaux brodés de mille  pierreries. On se souvient en nébuleuse, des costumes et des allures de  quelques seigneurs enturbannés qui nous plongent dans l’univers du  fabuleux du Quattrocento avec par exemple Masolino, Masaccio, Lippi ou dans le monde de la joaillerie de quelques orfèvres de prestige. Ce thème même de l’Adoration des Mages a souvent été traité par les peintres de tous  les siècles. Chez les peintres anversois au XVI° siècle, le thème était repris  non pas pour sa beauté religieuse mais pour permettre au peintre de prouver sa dextérité en peignant de belles étoffes. L’art de cette époque se  tournant délibérément vers un certain maniérisme de bonne augure pour  attacher l’exubérance et l’exagération à la pointe des pinceaux. Les mages pour Augustin Frison-Roche, sont pour lui l’occasion d’une représentation  des rois sumériens ou babyloniens, pour poursuivre ces effets de style et sont là pour accomplir les prophéties de l’Ancien Testament en évoquant le  roi Messie. Ils rappellent aussi que les peintures des catacombes romaines,  les représentaient portant le costume Perse. Ils apportent des cadeaux à  celui qu’ils viennent adorer : l’or évoquant que cet enfant nouveau-né est  roi, l’encens témoignant de sa divinité, la myrrhe symbole de la Passion et  de la mort de Jésus. On plonge dans un chatoiement de mosaïques dorées,  blanches, bleues. A l’arrière plan – et en même temps – dans un fondu  enchainé comme au cinéma, arrivent le caravansérail d’animaux  pachydermiques et tranquilles : l’éléphant, le chameau, et complète ce  tableau presque musical avec ses couleurs foisonnantes, chatoyantes.  Sur un quatrième panneau (qui peut être séparé du triptyque) en  opposition complète, est peint la manifestation de la petitesse de notre  humanité, d’un Dieu incarné en un fils unique ; sur un fond neutre et  presque au niveau de la pierre gribouillée du sol. Il n’y a plus d’étable, il n’y  a plus de foin, ou d’humble couche de paille, de vierge Marie et de Saint  Joseph, mais le silence total de notre apparente stupéfaction du sauveur des  pêcheurs, dans le froid de l’hiver. Un silence sépulcral et annonciateur de la  passion et de la mort pour l’instant encore tout petit, de Jésus. Si petit Jésus, qu’on le voit à peine ! 

Augustin Frison-Roche, L’Adoration des mages, acrylique sur toile, 350 x 460 cm, @ ADAGP Paris 2024

Nous ne sommes plus à Bethléem (ville de naissance du roi David), pourtant  représentée tout en haut du tableau comme une ville imaginaire et céleste entourée d’immenses murs, mais dans un lieu universel, sans villes  allumées, presque dans le désert. Comme l’écrit si bien Christiane Rancé  dans le catalogue de l’exposition : « La dégringolade prodigieuse suggère  l’arrêt brutal du voyage, dans le saisissement de l’Inouï : l’Incarnation de  Dieu en l’être le plus fragile, le plus démuni, le plus Neuf enfin- un Enfant à peine ébauché, à même le sol, la joue posée contre son auréole. [2] Nous sommes dans l’émotion pure, dans la dimension spirituelle pour une  fois atteinte car cette Epiphanie est bien selon son étymologie : la  reconnaissance du caractère surnaturel de l’enfant par des sages venus des  quatre coins de la terre pour l’adorer. Par ce procédé technique, de quasi  grisaille et de dichotomie entre les concepts de grand et de petits, de  couleurs et de non couleur, de dessin parfaitement maitrisé et de laisser  flouté parfaitement abandonné, nous pouvons rendre grâce à Augustin  Frison-roche, d’avoir réussi l’exploit de nous rendre Jésus accessible. En  cela, l’Epiphanie se fait Théophanie.
Ce n’est pourtant plus juste une épiphanie mais l’illustration d’un sceptre  complet, un panoptique étendu d’émotions humaines à portée des yeux. En proposant cette expérience visuelle fabuleuse, Augustin Frison-Roch suggère une nouvelle lecture de l’Adoration des Mages : Une mise en image  virtuose, une composition magistrale, une œuvre  totalement inédite et personnelle qui permet de mettre en perspective la  musique imaginée et un dessin solide qui résonnent et se reflètent l’un  l’autre. Rarement une scène d’adoration n’aura été traitée dans une belle  dichotomie, avec autant d’humanité et de somptuosité. 

Notes

[1] Catalogue de l’exposition au Collège des Bernardins 2025 « Epiphanies » Augustin  Frison-Roche, texte de Christiane Rancé, P.9  

[2] Idem p. 13

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