Youssef Al-Musawwer, Icône de l’Anastasis, 1645, 81x 63 cm (collection Abou Adal)
Dans la tradition byzantine, on connaît deux représentations iconographiques de la Résurrection du Christ, celle de la descente aux Enfers ou l’Anastasis, qui remonte au VIIIe siècle, et celle du tombeau vide. Cette dernière a été très tôt liée liturgiquement à la mémoire des femmes myrrhophores que la tradition byzantine fête le deuxième dimanche après Pâques, alors que l’Anastasis est considérée comme la véritable scène de la Résurrection.
Cette iconographie est fondée sur l’évangile apocryphe de Nicodème (IVe siècle) selon lequel le Christ pénétra dans le monde infernal en fracassant tout ; les démons reconnurent leur défaite, le Christ livra Satan à la puissance de l’Enfer et tira Adam vers sa lumière éclatante. Quelques éléments peuvent être également repérés dans la Bible (Jb 25, 5-6 ; Os 6, 1-12 ; Is 33, 9-11 ; 1P 3, 19 ; Eph 4, 9-10).
Notre icône fait partie de la collection Abou Adal. Elle a été peinte par le peintre alépin Youssef Al-Musawwer en 1645. Ses dimensions sont de 81 cm de hauteur et de 63 cm de largeur. Elle porte l’inscription Η ΑΝΑCΤΑCΙC (la Résurrection). Nous pouvons lire, sur le fond or de l’icône en haut, une dédicace en arabe qui nous donne des renseignements, sur le nom de l’église à qui cette icône a été constituée waqf (1), le nom de l’évêque, la date et le nom du peintre :
« Cette icône a été constituée ‘waqf’ à l’église de la Sainte-Vierge […] par l’humble serviteur Youssef Al-Musawwer durant l’épiscopat du Catholique Kyr Malātyūs l’alépin en l’an sept mille cent cinquante-trois depuis Adam » (2).
Cette dédicace ne mentionne pas le nom du peintre. Néanmoins, il nous est difficile de croire qu’un peintre pouvait offrir l’œuvre d’un autre peintre. En outre, Youssef ajoute le qualificatif « Al-Musawwer » qui signifie « le peintre » ce qui confirme qu’il est bel et bien le peintre de cette icône. Par conséquent, nous pourrions supposer que cette icône a été offerte par Youssef Al-Musawwer, en tant que peintre et fidèle melkite, à son église paroissiale et ce durant l’épiscopat de Malātyūs Al-Za’īm, évêque d’Alep de 1635 à 1647, date à laquelle il fut élu patriarche sous le nom de Makāryūs III.
Le Christ jaillissant occupe le centre de la composition de cette icône peinte sur un fond doré. Son corps paraît suspendu dans l’espace : avec son corps ressuscité, il échappe aux lois du monde. Le Christ piétine les portes de l’Enfer après les avoir brisées. Il est vêtu d’une tunique blanche surmontée d’un himation doré. Il est entouré d’une mandorle composée de plusieurs nuances de bleu traversées des rayons de lumière émanant de son corps. Il saisit le poignet d’Adam et celui d’Ève qu’il arrache vigoureusement des ténèbres de la mort. La seconde main d’Ève est couverte de son maphorion en signe de révérence. Elle est habillée en rouge, symbole de la chair et de l’humanité, elle est la mère des vivants. Adam et Ève se tiennent sur un rocher qui forme une montagne à double sommet. De part et d’autre du Christ, figurent deux groupes de personnages de l’Ancien Testament. Derrière Adam, au premier rang, figurent Jean-Baptiste (ΙW[ΑΝΝΗC]) le Précurseur montrant le Christ des mains ainsi que les prophètes Zacharie (ΖΑΧΑΡΙΑ) et Moïse (ΜΟΥCΙC). Derrière Ève se tiennent, au premier rang, quatre rois du royaume d’Israël richement vêtus en train de se regarder et désignant eux aussi le Christ ressuscité. Parmi eux, nous distinguons David et Salomon. Derrière eux figurent les prophètes Daniel (ΔΑΝΙΗΛ) et Isaïe (ΗCΑΙΑ) qui avaient prophétisé la venue du Christ. Des clous et des serrures jonchent le trou noir des Enfers semblable à une caverne. Satan apparaît, sous une forme répugnante, émergeant d’un feu entre deux sarcophages en petites dimensions. Au-dessus des montagnes apparaissent les anges Gabriel (Γ) et Michel (M) les mains couvertes tenant les instruments de la Passion. Gabriel tient l’éponge et la lance et Michel la croix glorieuse.
Sur cette icône, Satan est représenté de profil, en buste, entouré des flammes de feu, levant sa tête pour regarder le Christ. Satan lève également ses deux mains pour montrer sa défaite et sa soumission au Christ. La liturgie byzantine du Samedi Saint évoque cette défaite :
Aujourd’hui l’Enfer s’écrie en gémissant : Mon pouvoir est aboli, j’ai reçu un mort semblable à tous les morts, mais je ne puis le retenir : il me dépouille de tous me sujets, il ressuscite ceux que depuis les siècles je tenais captifs ! Nous glorifions, Seigneur, ta Croix en ta sainte Résurrection (3).
Satan est souvent représenté pendant la période byzantine allongé et enchaîné en dessus des portes des Enfers piétinées par le Christ, il est parfois piétiné par le Christ lui-même. Dans la période post-byzantine, on représentait souvent aux Enfers l’épisode de la lutte de l’Ange avec Satan, épisode inspirée de l’homélie d’Épiphane de Jérusalem.
Tu es descendu jusqu’au plus profond de la terre,
Tu as brisé, ô Christ, les verrous éternels
qui retenaient les captifs
et comme Jonas sortant de la baleine,
Tu es ressuscité du tombeau le troisième jour.
Christ est ressuscité des morts,
par la mort, il a vaincu la mort ;
à ceux qui sont dans les tombeaux,
il a donné la Vie.
Charbel Nassif
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Notes
1- Donation faite à perpétuité par un particulier à une œuvre d’utilité publique, pieuse ou charitable, ou à une ou plusieurs personnes.
2- اوقف هذه الايقونة على كنيسة السيدة […] العبد الفقير يوسف المصور في رياسة السيد الكاثوليك ملاتيوس الحلبي في سنة سبعة الاف مئة وثلاثة وخمسين لآدم.
3- La septième stichère des vêpres du Samedi Saint.