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La photographie humaniste est-elle une photographie sociale ?

La photographie humaniste en France est un courant qui s'est développé entre les années 30 et les années 60. Une attention particulière y était portée au sujet - la personne humaine - et à ses activités et interactions sociales (travail, loisirs, etc).
Publié le 28 février 2019
Écrit par Françoise Paviot Co-directrice de la galerie Françoise Paviot

Le terme humanisme peut se définir comme une théorie ou une doctrine qui prend pour fin la personne humaine et son épanouissement.

Le monde est fait pour l’homme à sa mesure et celui-ci a, par sa raison, le pouvoir de le dominer. On évoquait ainsi autrefois le fait de faire ses humanités. Le terme social, quant à lui et de façon très large, évoque la société et ceux qui y vivent. Quant à la photographie, les codes de la profession définissent comme « photographie sociale » tout ce qui concerne les photographes de mariage et les photographes de portraits installés en studio. Sont même proposés, à ceux qui en auraient besoin, des stages de « photographie sociale ». Mais allons plus loin.

 

(à g.) Charles Nègre, Le joueur d’orgue – 1851
(à d.) Eugène Atget, Les vanniers de la zone – 1913

La photographie, un langage social par excellence

La photographie est un langage visuel qui ne nécessite pas d’apprentissage, la perception d’une image est immédiate et le partage on ne peut plus facile. Dès son origine, avec notamment l’institution du portrait, elle s’est engagée dans une fonction sociale. Le portrait permettait de s’identifier mais aussi d’avoir une place dans la société et de la voir reconnue. Certains photographes primitifs, comme Charles Nègre, ont cherché à photographier leurs semblables dans leurs conditions de vie, de travail, malgré des conditions techniques insatisfaisantes. Un peu plus tard, Eugène Atget s’attache à prendre en photographie les petits métiers, et rapporte comme ici des images des vanniers de la zone.

La dimension sociale de la photographie humaniste

La période couverte par la photographie humaniste en France est large, des années 30 aux années 60. Elle se caractérise par des images qui témoignent du quotidien de gens ordinaires. La confiance dans l’image n’est pas mise en doute, elle est capable de témoigner du réel. On porte attention à la personne, on va à la rencontre de ses semblables, avec un regard particulier pour les plus défavorisés.

 

(à g.) Jacques Boutinot, Monsieur le curé Clary, le boucher Victor et Fernand sonneur jouant aux boules – vers 1945-50
(à d.) Willy Ronis, 1936

Chacun a son style : Doisneau avec humour,  Izis en rêveur, Willy Ronis observateur. Mais tous ont en commun l’amour du métier et l’amour de l’homme. La vie vaut la peine d’être vécue « quand même » .

Paris, ses bistrots et ses marchés est source d’images. Mais il y a aussi le Front populaires et les vacances, la banlieue et ses guinguettes. Le photographe flâne, se balade, se lie d’amitié avec le clochard, symbole d’une certaine liberté, libre de toute attache. « Loin du confort des studios j’ai préféré le contact rugueux de la rue » écrit Robert Doisneau*.

Il y a aussi le respect du sujet, les photographies ne sont pas volées. Une complicité et un dialogue d’égal à égal s’installe. Valeurs affectives du regard : tendresse, optimisme, poésie, nostalgie, naïveté, humour, générosité, beauté cachée dans la réalité, permanence derrière le changement.

Face aux manipulations dont il peut faire l’objet, le langage photographique redevient classique. On utilise des appareils de petites dimensions légers maniables. On saisit l’homme dans son environnement et on évite des gros plans ou les détails isolés. On abandonne les recherches d’angles nouveaux et on renonce aux expérimentations techniques en laboratoire.

René-Jacques, Mineur sortant de la mine, 1950

Réalité ou usurpations : les limites de la prise en compte du social dans la photographie humaniste

Cependant les événements sociaux se succèdent et le photographe n’est pas là pour abolir le temps et servir une certaine réalité. Les constats qui sont faits ne sont bien souvent pas contestataires. Il y a le Front populaire, les grèves générales et les accords de Matignon 1936. Il y a en 1937, la fusillade de Clichy qui provoque la mort de cinq personnes et plus de deux cents blessés. Il y a peu de militantisme et on ne se bat pas pour changer le monde. D’où cet aveu si poignant de Robert Doisneau : « En réalité, j’ai cédé à la facilité. Il est plus plaisant de ramasser des fleurettes que de faire des pâtés avec du mâchefer. Manque de conviction, manque de volonté car il m’en aurait fallu, de la volonté pour forcer les barrages derrières lesquels on camoufle les conditions de vie des travailleurs. » 

La célébration du travail retient plus la beauté du geste aux dépends de la pénibilité ou des inégalités. La dimension douloureuse de l’autre s’efface au profit d’un certain réalisme esthétique et un gout pour la belle image, un « merveilleux social ». Le mineur qui revient enfin à l’air libre, fait preuve d’une certaine fierté d’être sur les photographies. La relation se construit d’individus à individus sans rendre compte d’un groupe social.

Willy Ronis, Usines Citroën Javel – 1938

Statut et conditions sociales des photographes illustrateurs

Et pourtant ces photographes illustrateurs étaient eux-mêmes concernés pas les problèmes sociaux. Leur vie quotidienne était difficile et pour gagner leur vie, ils devaient savoir tout faire et tout accepter : mode publicité reportage. Izis a du coucher dans un asile de nuit, François Kollar, comme Robert Doisneau, a travaillé chez Renault, Emeric Feher chez  Peugeot Citroën. René-Jacques assurait des prises de vue journalières aux Trois Quartiers pour assurer le quotidien de ses quatre enfants.

Cependant c’est le même René-Jacques qui a joué un rôle essentiel pour faire reconnaitre la photographie dans la Loi de 1957 sur la propriété littéraire et artistique. C’est lui qui fut également expert devant les tribunaux pour défendre ses confrères.

C’est Willy Ronis qui a réalisé la très célèbre image de Rose Zehner, déléguée syndicale haranguant ses camarades. Une photographie qui n’a jamais été montrée pendant des années, la commande étant passée par la direction de Citroën et non pas par les syndicats. Il raconte avoir ouvert la porte du hangar, fait la photographie, refermé la porte et avoir gardé cette image pour lui afin de ne pas causer de tort à la syndicaliste. Cette image n’a été publiée que quelque quarante années plus tard et connu le succès que l’on sait.

Plus près de nous, Jean-Philippe Charbonnier réalise un reportage sur les mal logés.

Jean-Philippe Charbonnier, 1952

Le rôle des commanditaires : les photographes humanistes et les demandes d’illustration

Après le traumatisme de la guerre de 39/45, la foi dans l’homme est remise en question et il devient nécessaire de raviver la volonté de porter les valeurs humanistes. De nombreux organismes, Commissariat général au Tourisme, Ministère des affaires étrangères, grandes institutions internationales passent des commandes de reportages. Il s’agit de rendre compte de la France, d’en donner une nouvelle image, de témoigner de la reconstruction, de retrouver des repères identitaires.

Pour répondre aux demandes d’illustration, il arrive que le photographe ait parfois à recomposer la réalité. La vérité nue et pure ne passe pas toujours aussi si bien en photographie, mais nous savons bien que la photographie ne révèle pas la réalité, mais une vision de la réalité. C’est pourquoi elle est un medium éminemment plastique et résulte de plusieurs actions : celle d’un photographe qui prend l’image, celle d’un sujet qui pose, celle un lecteur qui va la regarder. On peut également ajouter un commanditaire qui va passer commande, un directeur artistique qui va choisir l’image, décider éventuellement de son cadrage, du support et de l’espace où elle va être reproduite. La photographie se trouve être ainsi l’objet d’une succession d’interventions.

Retenons cependant du travail de ces photographes dits «  humanistes », et dont une partie est bien souvent méconnue, une grande honnêteté, un amour du travail bien fait et un respect des valeurs humaines. Il y a toujours du plaisir et bonheur à regarder ces images poétiques, sincères et spontanés qui ont illustré tant de publication. « Merveilleux social » ? Qu’en est-il de l’efficacité de la photographie de nos jours ? Est-elle maintenant un outil de mobilisation ? A-t-elle pu acquérir le pouvoir de changer le monde ?

Françoise Paviot

* Extrait de Robert Doisneau « L’imparfait de l’objectif ».

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