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Bibliothèque Apostolique Vaticane : « Souvenirs de Babel », une exposition d’Alain Fleischer

La Bibliothèque Apostolique Vaticane a inauguré le 1er mars dernier sa cinquième exposition sur le dialogue entre patrimoine et art contemporain, consacrée cette fois-ci à l’œuvre d’Alain Fleischer. Comme l’explique le Bibliothécaire S.E. Mgr Angelo Vincenzo Zani, l’artiste « photographe, réalisateur et écrivain invite les visiteurs à pénétrer dans les salles de la Bibliothèque Vaticane comme dans une nouvelle Babel où se trouvent rassemblées toutes les traces jusqu’à la plus lointaine et la plus infime de cette dispersion décrétée par Dieu face aux hommes qui tentaient de se faire un nom par leurs propres moyens ».
Publié le 19 avril 2011
Écrit par Françoise Paviot Co-directrice de la galerie Françoise Paviot

Série Papiers d’argent –  Grands hommes, Dante – 1987 © alain fleischer

La bibliothèque du Vatican est une bibliothèque universelle célèbre pour ses collections de manuscrits de toutes les époques. Son but est de « conserver les livres et les manuscrits, les actes des souverains pontifes et des dicastères de la Curie romaine, et de les transmettre à travers les siècles ». Elle doit aussi, comme le rappelait aussi Jean-Paul II « mettre à la disposition du Saint-Siège et des chercheurs du monde entier les trésors de culture et d’art dont les Archives et la Bibliothèque sont l’écrin. » (1)

  

s.t. [La salle de consultation des imprimés], après 1892 (à gauche) et dans les années 1940-1950 (à droite), archives du vatican

Répondant à l’invitation qui lui avait été faite, Alain Fleischer, artiste et photographe, a souhaité interroger ce que représente une bibliothèque aussi vaste que « La Vaticane » en se référant au modèle antique et mythologique de l’ancienne Babel dont la Bibliothèque possède une représentation qui ouvre l’exposition. Le parcours se poursuit ensuite par un riche ensemble de photographies provenant des Archives de la Bibliothèque et du Fonds Collection générale-photographies qui permet au visiteur de s’immerger dans l’histoire du lieu. L’exposition se prolonge dans les salles suivantes avec une sélection d’œuvres emblématiques du photographe et de nouvelles œuvres créées pour l’occasion.

Vue de l’exposition  © Patrick sandrin

Dans le cadre de sa mission de préservation de l’information pour les générations futures, la Bibliothèque a mis en place depuis 2010 un important projet de numérisation à grande échelle de son patrimoine. C’est pourquoi la Bibliothèque Barberini, un des fonds de la Vaticane fondé au XVIIe siècle et transporté au Vatican en 1902 (2) est aujourd’hui vidée de ses livres en instance de numérisation et est devenue « le théâtre d’une lecture fantôme ». Dans cet espace apparemment « vide », Alain Fleischer a entrepris de projeter un film qu’il a réalisé dans les immenses réserves où ont été transférés les volumes de toute taille et de tous genres. Des volumes, précise-t-il, « qu’aucun visiteur n’a jamais parcouru dans sa totalité ». La projection du film rend ainsi visible au public les ouvrages qui constituent une collection unique d’écrits sur l’histoire du monde.

Vue de l’exposition, installation dans la salle Barberini © patrick sandrin

Simultanément, toujours dans le même espace et accompagnant les images muettes du film, sont entendus « venant de partout et de nulle part » en une dizaine de langues anciennes, des textes de toutes origines, diffusés oralement. « Une rumeur confuse, mêlant diverses voix, diverses langues et divers sujets habite ainsi l’espace d’une collection de textes infinie ».

Vue de l’exposition, Série papiers d’argent © patrick sandrin

Dans les autres salles, l’artiste a présenté les images de bustes d’écrivains et de volumes de la bibliothèque qu’il a auparavant moulé dans du papier d’argent, mis en espace puis photographiés. Ce simple papier alimentaire, qu’il aime à utiliser dans son travail, se fait ainsi l’écho des sels d’argent, éléments fondateurs de toute la photographie classique. Il évoque aussi la fragilité de toute entreprise : les babyloniens étaient des bâtisseurs, des travailleurs, mais du point de vue des hébreux, leurs constructions étaient fragiles et ne pouvaient que se disloquer au cours des siècles. Enfin les photographies de moulage de livres en papier d’argent nous rappellent aussi que les étagères des bibliothèques sont peuplées de fantômes (3) qui signalent l’emplacement des ouvrages empruntés par le lecteur.

La Tour de Babel est un édifice mythique construit, selon le livre de la Genèse, par les descendants de Noé qui cherchaient à atteindre les cieux et le séjour de Yahweh. Celui-ci les dota alors d’une pluralité de langages qui empêcha toute collaboration efficace et mit fin à l’entreprise. « Il y a, dans le texte sacré deux motifs liés l’un a l’autre et répétés chacun deux fois : le châtiment de l’orgueil de l’homme qui veut se hausser jusqu’à son créateur et la dispersion linguistique ». (4) Le texte de la Genèse est relativement bref mais il a occasionné au cours des siècles et occasionne toujours de très nombreuses réflexions. On peut citer Jacques Derrida pour qui ce texte de la Genèse occupe une place toute particulière dans notre rapport au langage (5). Ce n’est pas non plus un hasard si Alain Fleischer, photographe mais aussi auteur d’une cinquante ouvrages littéraires, s’est emparé du motif de Babel pour dérouler le fil rouge de son exposition.

Du Zhenjun, Tour de Babel 2010 – Destruction  © Galerie oriane

Dans le domaine des arts graphiques et plastiques, la Tour de Babel a fait l’objet de nombreuses représentations. La Tour de Babel est le titre de plusieurs tableaux de Pieter Brueghel l’Ancien. Le plus célèbre, surnommé La « Grande » Tour de Babel, a été peint vers 1563 et est conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne. Plus proche de nous, l’artiste Du Zhenjun a conçu au début des années 2000 un projet consacré à la Tour de Babel et réalisé par un assemblage de photographies numériques. « Ces images s’articulent autour du thème du langage des nouvelles technologies donc universel mais représentent aussi l’univers d’internet où sévit une compétitivité cruelle ou chaque individu mène un combat permanent sur une scène mondialisée ».

Avec sa propre spécificité, le parcours conçu par Alain Fleischer reste fidèle au projet initial ainsi résumé par le Bibliothécaire Mgr Zani : « Car s’il y a bien un aspect qu’ont nos expositions en dialogue avec l’art contemporain, et pour ma part je pense vraiment qu’elles l’ont, c’est celui de susciter des intuitions, de faire miroiter des connexions, de montrer des chemins. Il s’agit bien là de recherche scientifique et en même temps, elles en promeuvent une autre, plus structurée et complète, contribuant ainsi comme peu d’autres initiatives à la conscience de soi de l’institution ».

Pietro Ruffo, Installation dans la salle Barberini © GIOrGIO BENNI

C’est de novembre 2021 à février 2022 que la Bibliothèque Apostolique du Vatican s’est ouverte pour la première fois à l’art contemporain avec l’exposition de Pietro Ruffo (6). Cette exposition est née comme une réflexion sur l’encyclique du pape François « Fratelli tutti », dédiée à la culture de la rencontre. Dans la série Migrations, des personnes historiques sont représentées se déplaçant sur des planisphères, chacun ayant une forme spécifique dérivée de différentes façons de projeter le globe sur une surface bidimensionnelle. Les figures volent comme des oiseaux d’un continent à un autre à l’intérieur de ce théâtre qu’est le monde, comme si ce flux migratoire ne pouvait être enfermé dans des frontières. L’espace vide mais extrêmement éloquent de la Sala Barberini a été également confié à Pietro Ruffo et pour lui aussi, cela a été l’occasion de donner voix à un manque, de susciter des réflexions : les étagères ont été occupées par des milliers de rouleaux de papier graphique posés sur toile, sur lesquels Ruffo a dessiné une forêt pour donner forme à ce qui anime l’âme du bibliothécaire et du savant.

— Françoise Paviot

 

L’exposition est ouverte jusqu’au 22 juin 2024 sur réservation sur le site de la Bibliothèque : www.vaticanlibrary.va


(1) https://www.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/speeches/1999/january/documents/hf_jp-ii_spe_19990115_librarian.html
(2) https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-4874_1934_num_51_1_7250
(3) Voir Maurice Olender « Un Fantôme dans la Bibliothèque ». 2017. La librairie du XXIème siècle. Seuil.
(4) Pierre-Lux Abramson, Le Paradis Babel et la linguistique : petite enquête sur l’histoire et la généalogie d’un cas, la Chanoine Auguste Latouche.
(5) Jacques Derrida – Des tours de Babel – 1985 https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1912251149.html
(6) Pietro Ruffo est représenté en France par la Galerie Italienne.

Les textes en italique non référencés sont d’Alain Fleischer.

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