La séquence « Veni Sancte Spiritu » que l’on chante au cours de la messe du dimanche de la Pentecôte, est attribuée soit au pape Innocent III (1160-1216) soit à l’archevêque de Cantorbery Etienne Langton (1150-1228). L’essentiel pour nous est de goûter la richesse du texte qui exprime avec des mots simples une réalité que seule la poésie peut approcher, fusse de loin. Les qualités attribuées à l’Esprit-Saint semblent bien prosaïques, père des pauvres, lumière de nos cœurs, consolateur, adoucissante fraîcheur, repos, mais c’est à travers la réalité de l’expérience quotidienne que se révèle l’indicible. Voici la version grégorienne de cette séquence :
Cette voûte de l’église du Saint-Esprit (Heilig Geist Kirche) de Munich nous introduit à la musique que nous allons découvrir : l’élancement des piliers, la blancheur éblouissante des murs, la légèreté des peintures comme emportées dans le vent céleste, toute cette esthétique baroque sont particulièrement aptes à exprimer la vie mystérieuse de l’Esprit.
C’est en 1768 que le jeune Mozart compose son motet « Veni Sancte Spiritu », il avait alors 12 ans… C’est à la même époque qu’il écrit sa première messe dite « Waisenhaus Messe » ou « messe de l’Orphelinat » destinée à célébrer la consécration d’une chapelle de la Nativité de Notre Dame nouvellement construite à Vienne au sein de l’orphelinat que soutient l’Empereur.
Cette œuvre est construite selon les habitudes du temps, en plusieurs mouvements comme une brève symphonie pour chœur et orchestre. On peut s’étonner du ton général de cette musique plus proche à nos oreilles de l’opéra que de l’autel. Ce serait oublier qu’au 18ème siècle, ce qui différencie la musique sacrée de la musique profane n’est pas le style d’écriture mais la destination de l’œuvre, c’est-à-dire dans le cas présent le texte, celui d’une antienne pour le jour de la Pentecôte ;
Veni Sancte Spiritu, reple tuorum corda fidelium ; et tui amoris in eis ignem accende.
– Viens Esprit-Saint, remplis le cœur de tes fidèles ; embrase-les du feu de ton amour.
Trois éléments vont guider notre écoute :
= le jeu des alternances entre l’orchestre, le chœur et les deux solistes. Ainsi c’est l’orchestre qui ouvre cette page en un bel arpège de do majeur (do-mi-sol-do) qui emplit tout l’espace sonore en un mouvement ascendant qui nous emporte dans les hauteurs.
= une autre forme d’alternance provient des différences d’écriture musicale : une musique syllabique et verticale (tout le monde chante ensemble avec une seule note par syllabe – sans vocalise) s’oppose à une écriture dite en imitation où les voix chantent sur le même dessin mélodique mais décalées les unes par rapport aux autres : le texte est moins perceptible, c’est l’ensemble de la musique qui ne fait qu’un , texte et musique inséparables, qu’il faut entendre.
= la forme en répons, venue de la liturgie, où le texte est vigoureusement ponctué des appels « veni Sancte Spiritu » comme un refrain, une alternance entre les solistes et l’assemblée des fidèles.
Un alléluia dansant à deux temps termine ce motet dans la joie des chrétiens habités par la vie de l’Esprit.
Pourquoi chanterait-on autrement à l’église qu’à l’opéra ? La question ne se posait pas au temps de Mozart. L’important n’est-il pas de savoir pourquoi et pour qui l’on chante et d’y consacrer le meilleur de sa nature d’artiste ?
Emmanuel Bellanger