La cantate avait pour fonction d’introduire l’assemblée à une intériorisation de la Parole de Dieu entendue dans les lectures successives.
Dans le déroulement de l’office luthérien au temps de Bach, la cantate prenait place juste avant la prédication. Elle avait pour fonction d’introduire l’assemblée à une intériorisation de la Parole de Dieu entendue dans les lectures successives. Mais écouter une cantate en-dehors du culte n’en retire aucunement le sens. C’est le miracle de la musique de trouver en chacun de ceux qui l’écoutent sa fructueuse densité. Il en est ainsi de cette cantate BWV 121 « Christum wir sollen loben schon = Nous devons louer le Christ ».
Une cantate de Bach, c’est un parcours, une dramaturgie, une route spirituelle. Cette cantate 121 date de 1724, la deuxième année de la présence de Jean-Sébastien Bach à Leipzig comme « Cantor », c’est-à-dire responsable de la musique dans les principales églises de la ville.
Quel est donc le parcours spirituel que nous propose cette cantate ?Elle se compose de 6 parties :
Un chœur introductif
un air de ténor
un récitatif d’alto
un air de basse
un récitatif de soprano
un chœur conclusif.
Toute musique baroque se pense comme une architecture articulée autour du principe de symétrie, cette cantate en est un bel exemple. Trois types d’acteurs musicaux se partagent le chant : le chœur qui représente l’assemblée, les voix d’hommes et les deux voix de femmes pour les récitatifs, chacun jouant son rôle dans son propre registre pour nous faire parcourir un chemin de contemplation du mystère de Noël.
Le chœur chante deux strophes d’un choral du temps de Noël dont le texte est de Luther lui-même.
Bach écrit le premier chœur dans un style archaïque polyphonique qui commente chaque phrase l’une après l’autre, le thème du choral dominant à la voix supérieure en valeurs longues et régulières que doublent les instruments :
Nous devons louer le Christ maintenant, le fils de la pure Vierge Marie, aussi loin que brille le cher soleil et jusqu’aux confins du monde entier.
Son chant s’enroule autour de celui du hautbois d’amour (instrument qui évoque les bergers) dans une musique à la fois dansante et douce.
L’air du ténor qui succède à cette introduction chante sa contemplation d’un Dieu qui se fait homme en la personne de son Fils, pour le salut du monde. Son chant s’enroule autour de celui du hautbois d’amour (instrument qui évoque les bergers) dans une musique à la fois dansante et douce. Mais la tonalité de si mineur qu’a choisie Bach pour cet air n’est pas neutre : c’est celle du « Crucifixus » de la messe en si mineur. Ce que ne dit pas le texte, la musique le suggère très discrètement : la mission du Christ est à peine évoquée ici.
Puis le bref récitatif d’alto précise cette mission de l’Incarnation du Fils « qui ne connaît pas de frontière ». Ecoutez bien la fin de ce récitatif qui réserve une surprise : un accord surprenant, inattendu, qui n’a apparemment rien à voir à cet endroit, réveille l’auditeur.
L’air de basse qui suit retrouve la légèreté de la danse en une musique bondissante accompagnée par les cordes sur lesquelles sautent les archets. Cet air fait allusion à Saint Jean-Baptiste sautant dans le sein de sa mère au moment de la visite de Marie à Elisabeth :
« Quand Elisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle » Luc 1, 41.
C’est cette danse mystérieuse de Jean-Baptiste que nous donne à vivre cet air de basse plein d’énergie et de joie.
Suit un beau récitatif de soprano très expressif qui chante le bonheur des bergers et donc le nôtre, dans une spontanéité apparente où la musique s’envole brusquement dans des élans que rien ne peut retenir.
Le chœur conclusif nous ramène au culte dans le chant harmonisé du choral initial sur le texte attendu à cet endroit, celui de la doxologie :
« Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit ».
Classiquement, Jean-Sébastien Bach nous offre une longue vocalise sur le mot ‘Ewigkeit = Eternité‘.
Cette cantate 121 alterne danse et gravité, extériorité et intériorité, joie de Noël et profondeur de son message : ne sommes-nous pas conduits dans cette œuvre à l’essence même de la vraie Joie, celle de l’Espérance ?
Emmanuel Bellanger