Le Regina caeli laetare est l’hymne mariale qui est chantée durant le temps pascal. En voici le texte et la version grégorienne ordinaire :
Regina caeli laetare, alleluia : Quia quem meruisti portare, alleluia : Resurrexit, sicut dixit, alleluia : Ora pro nobis Deum, alleluia.
Reine du ciel réjouis-toi, alléluia : car celui que tu as mérité de porter, alléluia : est ressuscité, comme il l’avait dit, alléluia : prie Dieu pour nous, alléluia.
Il est évident qu’un texte comme celui-là a inspiré de nombreux compositeurs parmi lesquels Marc-Antoine Charpentier (1643-1704). Comme tout ce qui s’écrivait au siècle de Louis XIV, la musique obéit à quelques conventions stylistiques, ce qui lui permettait d’être « comprise » par les auditeurs. Ainsi dans cette page de Charpentier, deux éléments du langage musical sont présents : d’une part les nombreuses vocalises sur les mots laetare et alléluia qui expriment l’exubérance, la joie, l’enthousiasme. D’autre part la modulation en mineur sur les mots quem meruisti qui assombrissent discrètement cette joie en faisant allusion, mais vraiment sans insister, à la gravité des évènements et de ce que cela représente pour Marie de confiance et d’abandon. Mais la tonalité dominante de cette page est la joie, celle de Pâques débordant en volutes mélodiques qui emplissent l’espace.
Nous entendons les racines liturgiques de ce motet que Charpentier développe à partir des premières notes de l’hymne grégorienne : chacune de ses sections commence par l’incipit liturgique Regina caeli.
Mais il est une autre manière de chanter la joie pascale, qui nous révèle une autre approche de ce mystère du Christ ressuscité : la joie dont il s’agit n’est-elle pas d’une autre nature qu’une simple expression joyeuse ?
Tomas Luis da Victoria (1548-1611) que nous avons déjà rencontré dans notre article précédent nous donne cette extraordinaire page à six voix comme méditation sur le sens profond du mystère de Pâques. En voici le texte :
Surrexit pastor bonus quia animam suam posuit pro ovibus suis et pro grege suo, mori dignatus est.
Le bon pasteur est ressuscité car il a donné sa vie pour ses brebis et a été digne de mourir pour son troupeau.
La joie qui habite ce motet n’est pas exubérante même s’il s’ouvre sur une quinte ascendante, belle image de redressement de la vie après l’allongement de la mort. Les vocalises sont elles aussi présentes, particulièrement sur les mots suis, suo, dignatus. C’est, non pas sur la joie de Pâques qu’elles se déroulent mais bien sur les mots qui désignent la mission du Fils : vie donnée pour le salut du troupeau. Enfin, la gravité n’est pas absente de ce motet : la modulation impressionnante sur mori nous rappelle le sens véritable du mystère pascal du Christ : passé par la mort, il nous ouvre à la vie.
Voilà sans doute les deux caractères inséparables qui habitent cette admirable page : joie intérieure et gravité.
Emmanuel Bellanger